Le scaphandre avait subi un terrible échauffement mais, enveloppé de ses boucliers souples de refroidissement, il avait effectué son entrée dans l'atmosphère terrestre sans encombre pour sa passagère. Elle n'avait d'ailleurs rien vu, d'une part parce que le hublot avait lui-même été recouvert par les boucliers, d'autre part, et c'était sans conteste la raison principale de son aveuglement, parce qu'elle avait perdu connaissance.

Lorsqu'elle s'était réveillée, elle avait été éblouie par la lumière du soleil. Du coin de l'œil, elle avait vu que les parachutes du scaphandre s'étaient déployés. Il descendait lentement vers la chape nuageuse blanche. Son moteur auxiliaire avait cessé d'émettre son ronronnement. Seuls les sifflements de l'air sur les excroissances métalliques et sur la surface arrondie de la proue troublaient le silence profond de la stratosphère.

Elle était dorénavant la seule survivante de l'El Guazer. Elle ne savait pas ce qui l'attendait sur la Terre des origines d'où étaient partis leurs ancêtres dix mille années plus tôt (un peu plus de cent ans A.D.V.L., mais dès qu'elle essayait de convertir l'E.D.V.L. en A.D.V.L., elle commençait à souffrir de migraines) : serait-elle peuplée d'humains victimes du mal étrange dont parlait l'hymne du retour, de monstres effrayants, de créatures étranges et sanguinaires ? Serait-elle envahie par la lèpre citadine qu'évoquaient les gardiens-mémoire avec des lueurs d'effroi dans les yeux ? Son sol aurait-il conservé une consistance assez dure pour soutenir son poids ? Serait-il desséché au point qu'il formerait une croûte dure et brûlante ?

Elle sentait encore dans son bras, dans son épaule, dans son flanc la vibration du métal taillant dans les chairs. Elle avait frappé jusqu'au vertige, tranché des mains, des bras, des jambes, des têtes, ouvert des ventres, des gorges. Ivre de vengeance, ivre de sang, possédée par une ardeur guerrière, barbare.

Des images confuses traversaient son esprit...

Les arcs électriques des arquefouets convergent vers la grande porte d'entrée et empêchent l'armée des hors-caste, regroupée dans la coursive, de pénétrer dans la salle des assemblées. Le gouvernant Gil, armé d'une dague, propose alors à quelques hommes de se glisser dans les conduits d'aération qui traversent les caissons de liquide de refroidissement du vaisseau central.

« Folie ! proteste un hors-caste. La chaleur est telle, là-dessous, que nous serons carbonisés en quelques secondes.

— Pas si sûr, argumente le gouvernant Gil. Si le système ne s'est pas détérioré avec le temps, des ventilateurs extérieurs se déclenchent dès que la température augmente. Il fera chaud mais ça restera supportable. Nous sortirons par une bonde sous les gradins, nous les prendrons à revers et vous profiterez de la diversion pour investir la salle des assemblées. Qu'en pensez-vous, Ghë ? »

Tous les regards convergent vers l'élue. Elle a fini par passer une robe sur les conseils insistants du gouvernant Gil. Des gobelets de breuvage crypto, préparé par les prêtres virnâ dissidents, ont circulé de main en main et les yeux, enivrés de la puissance des levures, brillent dans la pénombre de la coursive. Elle approuve la proposition du gouvernant Gil d'un mouvement de tête. Depuis qu'elle a été délivrée des griffes des six vigiles par les hors-caste, elle n'a pas encore eu l'occasion de se servir du sabre dont le manche lui brûle la main et elle bout d'impatience d'en découdre avec les sbires des castes dirigeantes.

Une bonde a été descellée dans le plancher métallique. Des jets de vapeur brûlante ont jailli, ont ébouillanté le visage et les mains des hors-caste penchés au-dessus du trou d'homme.

« Vous êtes fou de vouloir nous entraîner là-dessous ! gronde une voix.

— Ce ne sont que de simples vapeurs de condensation », affirme le gouvernant Gil.

Joignant le geste à la parole, il écarte les hommes et s'engage résolument dans l'étroit orifice. Au bout de quelques minutes d'une attente angoissante, sa voix déformée, caverneuse, traverse le plancher métallique.

« Vous pouvez descendre. Vous ne risquez rien. »

Une cinquantaine d'hommes s'engagent un à un sur ses talons.

« Ils pourront peut-être neutraliser les arquefouets, fait observer une femme à l'issue d'un long moment de silence. Mais les paralysins ? »

Les sondes volantes, pilotées à distance par les techniciens et les prévenants, risquent en effet de s'avérer plus difficiles à contenir que les arcs électriques, des petits canons maniés directement par les vigiles.

« Immergez-vous dans les vibrions mentaux de vos frères et sœurs, pénétrez-vous de leur énergie, dit Ghë d'une voix forte. Nous trouverons le moyen de vaincre les paralysins. »

Ils lui obéissent sans discussion, sans restriction, parce qu'elle est l'élue et qu'ils ont l'habitude d'obéir. Leur docilité l'inquiète, l'effraie même : que feront-ils sur la Terre ? Se hâteront-ils de se soumettre aux premiers d'entre eux qui revendiqueront le pouvoir ?

Le groupe du gouvernant Gil opère la jonction avec la salle des assemblées en moins de dix minutes. Les regards des défenseurs, rivés sur la porte d'entrée, ne distinguent pas la bonde qui se soulève à proximité de la scène centrale, les silhouettes qui se hissent silencieusement sur le plancher, qui se faufilent entre les travées des gradins...

Les images se succédaient désormais à un rythme syncopé dans l'esprit de Ghë. Le sarcophage semblait immobilisé entre ciel et terre. Elle se demanda si l'histoire de la gravité, de l'attraction recouvrait une quel conque réalité, si elle n'allait pas flotter pour l'éternité dans l'atmosphère de la planète bleue.

Les arquefouets des vigiles, surpris par l'irruption d'assaillants dans leur dos, se détournent de la porte pendant quelques secondes, un laps de temps suffisant pour que Ghë et ses troupes se ruent en hurlant dans la salle des assemblées. L'élue n'est pas la dernière à abattre son sabre sur les formes noires qui se dressent sur son chemin. Elle frappe d'estoc et de taille, saisie d'une irrépressible rage de meurtre, et la vibration du métal se communique à son bras, à son épaule, à sa nuque. Chaque coup qu'elle porte la venge des humiliations que les vigiles lui ont infligées. La lame s'enfonce dans leur chair comme leurs sexes se sont enfoncés dans la sienne, leur sang les souille comme leur urine et leur semence l'ont souillée, leur cou se brise comme s'est brisé son hymen, leur tête s'envole comme se sont envolées ses illusions. Progressivement, les vagues des partisans de Mâa submergent les lignes des vigiles, qui cèdent sous le nombre et finissent par rompre. Malgré la lourdeur de son bras, Ghë s'acharne sur les blessés, sur les cadavres avec une violence inouïe, d'autant plus absurde qu'elle est désormais inutile. Les chocs de la lame sur les corps lui endolorissent le cou, la poitrine et le dos.

« Les paralysins ! » hurle quelqu'un.

Elle s'arrête de frapper, relève la tête et repère l'escadron menaçant des petites sondes alignées sous le plafond.

« Pourquoi n'attaquent-ils pas ? »

Les milliers de partisans de l'élue se pressent maintenant dans l'immense salle. Le gouvernant Gil se fraye un difficile passage jusqu'à Ghë.

« Elles sont téléguidées par les techniciens ou les prévenants, dit-il d'un air préoccupé. Leur immobilité m'inquiète.

— Elle nous est pourtant favorable, avance Ghë.

— Elle cache quelque chose. Nous devrions nous rendre immédiatement dans les vaisseaux de tête. »

Le sarcophage pénétra dans la couche nuageuse. Ghë se vit environnée d'étranges écharpes brumeuses, grises et blanches. Elle croyait savoir que les nuages étaient les créatures nées de l'union des masses atmosphériques froides et des masses atmosphériques chaudes (elle avait lu quelque chose à ce sujet dans la bibliothèque du quartier des célibataires, avant que les restrictions d'oxygène ne contraignent les hors-caste à rester confinés dans leur cabine), mais elle ne pensait pas qu'ils auraient cette consistance vaporeuse, effilochée. Son imagination, aussi limitée que les coursives et les cabines de l’El Guazer, aurait été incapable de concevoir une telle étrangeté.

Les vaisseaux de tête sont déserts, comme vidés de leurs occupants. Un homme vient en courant à leur rencontre. Son visage livide et ses yeux exorbités expriment une indicible frayeur. Il est vêtu d'une combinaison verte de technicien.

« Harp, un partisan, dit le gouvernant Gil.

— Les gouvernants et les autres castes se sont... embarqués à bord des navettes, bredouille Harp qui rencontre des difficultés à reprendre son souffle.

— Pas grave, dit Gil. Nous prendrons les navettes restantes.

— Ils ont déclenché la fonction K... » C'est au tour de Gil de pâlir.

« Combien de temps nous reste-t-il ? demande-t-il d'une voix blanche.

— Quinze... quinze minutes A.D.V.L.

— Si nous agissons vite, ce sera suffisant pour nous embarquer et nous éloigner du souffle de l'explosion ! »

Ghë comprend, aux lueurs de désespoir qui lui embrasent les yeux, que le gouvernant Gil essaie d'abord de se convaincre lui-même.

« Mes supérieurs ont commis une erreur, gémit Harp. Une terrible erreur : ils ne se sont pas rendu compte que la fonction K ne s'appliquait pas seulement au train de vaisseaux, mais également à l'ensemble des navettes de débarquement. Les hommes qui ont conçu ces appareils ne voulaient pas non plus que des ennemis puissent s'enfuir à bord des vaisseaux de liaison. Je viens moi-même tout juste de m'en apercevoir. »

Un silence tendu ponctue ces paroles. Des chuchotements alarmistes fusent de la tête de la colonne et se répandent comme une traînée de poudre dans les coursives. Le gouvernant Gil déglutit et demande, d'une voix enrouée :

« Tu es sûr de tes informations ?

— Certain, dit Harp, soufflant la fragile flamme d'espoir qui brille encore dans les yeux de Ghë. Je suis entré dans la cabine de pilotage central. Les ordinateurs de bord sont formels. Mes supérieurs ont cru que l'alerte K ne concernait que le train principal et n'ont pas pris le temps d'examiner sur les écrans de contrôle.

— Arrêtons immédiatement le processus !

— Impossible ! Il faudrait démonter tous les circuits électroniques. Trois jours E.D.V.L. de boulot... Nous sauterons mais eux aussi. Il ne restera rien ni personne de L’El Guazer... »

Le gouvernant Gil jette un coup d'oeil pardessus son épaule. Les visages derrière lui sont des masques de désespoir.

« Tu prétends que nous sommes perdus, Harp ?

— Je ne le prétends pas, je l'affirme.

— Nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour sauver l'élue ! Au nom de Mâa et des voyantes... »

Le technicien Harp lève les yeux sur Ghë. Il entrouvre la bouche, la referme, l'ouvre de nouveau, mais les mots ne se décident pas à franchir le barrage de ses lèvres. Il semble être en proie à une terrible lutte intérieure. Les lumières des projecteurs des vaisseaux de tête s'engouffrent dans la coursive, se réfléchissent sur les gouttes de sueur qui perlent sur son crâne lisse.

« Il y a peut-être une solution, lâche-t-il d'une voix hachée.

— Eh bien ? Le temps presse ! glapit le gouvernant Gil.

— Un... un scaphandre autonome de dérive... Je l'avais préparé pour moi au cas où les choses tourneraient mal...

— Je ne peux pas accepter ton sacrifice ! » s'exclame Ghë.

Le gouvernant se tourne vers elle, lui saisit les épaules et la dévisage avec ardeur.

« Si un seul de nous doit être sauvé, c'est toi, Ghë, dit-il d'une voix ferme. Toi qui as été choisie par les cryptos de vision, toi qui as été reconnue par Mâa et les voyantes, toi qui es le cadeau d'El Guazer à l'humanité. Si tu refuses, nous aurons effectué ce long périple pour rien, nous nous serons sacrifiés pour rien. Vis, Ghë, accomplis ton destin, et nous vivrons à travers toi. Tu seras notre mémoire. Vis et nous affronterons la mort avec courage, avec fierté, en souvenir de toi. »

Une formidable clameur ponctue son discours.

Le scaphandre émergea de la chape nuageuse et Ghë vit enfin la Terre. Une émotion intense l'étreignit, comparable à celle qui l'avait saisie lorsqu'elle avait aperçu le point bleu de la planète des origines dans l'immensité du ciel. Elle tenta de discerner des habitations ou des traces de civilisation mais elle ne remarqua rien d'autre que des reliefs ocre et bruns traversés en leur centre d'un interminable et étroit ruban bleu. Pourquoi avait-il fallu que les cent mille passagers de L’El Guazer meurent pour qu'elle vive ? Le visage épouvanté du technicien la hanterait jusqu'à la fin de ses jours.

« Combien de temps, Harp ? s'impatiente le gouvernant Gil.

— Dix minutes...

— Elle ne risque pas d'être prise dans le souffle de l'explosion ? »

Ghë s'est glissée dans le scaphandre. Ils ne sont que quatre à avoir accompagné l'élue, le gouvernant et le technicien dans le sas d'éjection. Les autres sont restés dans les coursives. Ils se sont tous pris par la main, ont formé une longue chaîne humaine qui s'étend sur quatre vaisseaux. La gravité, la sérénité ont supplanté la colère, la révolte, le désespoir. Ils ont entonné l'hymne du retour et jamais le chant de l'espoir n'a résonné avec une telle force dans L’El Guazer.

« Je ne sais pas », souffle Harp.

Il regrette à présent d'avoir proposé son scaphandre à l'élue. S'il a suivi l'enseignement de Mâa et des voyantes, c'est surtout parce qu'il est doté d'un esprit naturellement rebelle, que c'était une manière de s'affirmer vis-à-vis de ceux de sa caste. Il ne peut plus maintenant se déjuger, prisonnier de la parole donnée, otage des autres partisans. Il sera probablement le seul à mourir avec des regrets. Il a programmé le parcours du scaphandre jusqu'à l'entrée de l'atmosphère terrestre et le déploiement automatique des parachutes. Il démarre le moteur auxiliaire, referme soigneusement le hublot (il reste un technicien, un amoureux du travail bien fait) et ouvre la valve d'oxygène. Il entrevoit les yeux brillants de Ghë au travers de la vitre et un accès de rage le suffoque. Le gouvernant Gil l'écarté d'un geste brutal et, d'un petit signe de main, salue une dernière fois l'élue. Elle ne l'entend pas, mais elle croit deviner qu'il lui souhaite bonne chance. Elle lui sourit, elle ne verse aucune larme mais les remords l'assaillent, la harcèlent, la dépècent. L'hymne du retour, clamé par des milliers de poitrines, domine le grondement du moteur de son scaphandre. Alors, comme elle ne sait pas comment leur témoigner sa reconnaissance, elle chante avec eux.

Elle voit leurs silhouettes se retirer du sas d'éjection, la porte ronde se refermer. Elle ressent soudain une impression de grande vitesse et fuse dans le vide. Le scaphandre, propulsé par son moteur, s'éloigne rapidement du train de vaisseaux, masse étirée et grise qui décroît rapidement dans son champ de vision, et se dirige vers le croissant bleu et blanc de la Terre. Un sentiment de solitude l'oppresse.

Une formidable déflagration embrase l'espace, happe le scaphandre dans ses puissants remous. Le moteur ulule, monte en régime pour l'empêcher d'être emporté par le souffle incendiaire. Ghë n'a pas le temps de s'apitoyer sur le sort des passagers de L’El Guazer qu'une deuxième vague d'explosions, plus lointaine, crible la plaine céleste de somptueuses corolles de lumière. Elle prend conscience, alors que les débris enflammés des vaisseaux et des navettes se dispersent comme des comètes folles sur le fond sombre du ciel, qu'elle est l'unique survivante du peuple exilé, l'ultime fragment du grand rêve de L’El Guazer.

Le scaphandre s'approchait du sol à grande vitesse. Pourtant, dans le ciel, il donnait l'impression de ne pas avancer. Ghë contracta instinctivement les muscles pour se préparer au choc. La température grimpait rapidement à l'intérieur du petit appareil métallique et sa robe humide de transpiration se collait à sa poitrine, à son ventre, à son bassin, à ses jambes. Elle pensa qu'elle allait s'écraser sur ce sol qu'elle avait tant désiré fouler. Cette augmentation brutale de la chaleur lui rappela le calvaire qu'elle avait enduré quelques instants plus tôt au moment du franchissement de l'atmosphère planétaire.

Le scaphandre pique résolument vers la surface bleue parcourue de bandes blanches. Son moteur émet maintenant un miaulement strident. Un système de ventilation relié au moteur produisait jusqu'alors une chaleur supportable, agréable. La température s'élève tout à coup, devient intolérable. Les boucliers d'isolation thermique se déploient, recouvrent le scaphandre mais ne peuvent enrayer le brusque réchauffement de l'air confiné. Ghë, allongée à même le plancher métallique, a l'impression de se vider de son eau. De véritables rivières courent sur son corps, se faufilent entre les différents instruments de bord (dont elle n'a pas à se servir car le technicien a programmé le trajet), provoquent des petits courts-circuits, de minuscules arcs électriques qui lui rappellent les arquefouets des vigiles. Elle éprouve des difficultés grandissantes à respirer, à retenir ses pensées. C'est peut-être ça, la mort, ce départ tranquille et indolore vers les mondes de Tailleurs. Elle s'en va rejoindre les siens, ses parents, Mâa et ses sœurs, le gouvernant Gil, les partisans de l'élue... Leur sacrifice aura été vain. Elle perd connaissance et la flaque de sueur s'est tellement gonflée sous elle qu'elle a l'impression de se noyer.

Le scaphandre heurta le sol dans un fracas de métal brisé mais le choc fut beaucoup moins violent qu'elle ne l'avait supposé. Il roula le long d'une pente abrupte et parcourut une bonne centaine de mètres avant de heurter un promontoire rocheux et de s'immobiliser. Secouée, brimbalée, hébétée, Ghë eut besoin de longues minutes pour reprendre ses esprits. Elle se remémora les conseils du technicien Harp, glissa les bras sous le tableau de bord et appuya sur le premier loqueteau d'ouverture manuelle. Elle se retourna ensuite et, au prix de contorsions savantes, parvint à atteindre la seconde manette, située à l'autre extrémité de l'étroit compartiment. Le hublot se débloqua enfin dans un chuintement prolongé. Elle sentit aussitôt les caresses de l'air tiède sur sa peau, mais cet air-là n'avait pas grand-chose à voir avec la ventilation mécanique du train de vaisseaux, il colportait des odeurs, des bruissements, de la chaleur, de l'humidité, il était gorgé de vie.

Elle faillit avoir un étourdissement lorsqu'elle rampa hors du scaphandre. Son cerveau, suroxygéné, flottait dans une euphorie qui se répandait dans tout son corps. Ivre, incapable de maîtriser ses gestes, elle se heurta violemment au pourtour renforcé du hublot. Une fois qu'elle se fut extirpée de son étroite prison de métal, elle eut besoin de longues minutes pour récupérer, à quatre pattes, la tête rentrée dans les épaules, hors d'haleine. Son arrivée sur Terre n'était pas aussi glorieuse, aussi exaltante qu'elle l'avait imaginée : elle s'était vue franchir la passerelle d'un pas martial, au milieu de ses frères et sœurs d'exil, fouler le sol avec l'émotion et la fierté de ceux qui rentrent chez eux après cent siècles de pérégrinations interstellaires. La croûte terrestre, dure, coupante, lui blessait les mains. Elle se releva, chancela, dut s'appuyer au scaphandre pour ne pas tomber. La luminosité lui agressait les yeux et elle ne distinguait pour l'instant que de vagues masses brunes, ocre, et dans le lointain une vaste plaine grise. Elle fut surprise de ne pas voir de couleur bleue dans le paysage environnant, car de l'espace, la Terre paraissait essentiellement recouverte d'azur. Elle établit la relation entre l'étendue argentée et la chape nuageuse qu'elle avait traversée quelques heures plus tôt. Elle prit conscience qu'elle se trouvait sous l'une des bandes blanches et grises qu'elle avait aperçues du train de vaisseaux. Des tourbillons opaques se soulevèrent non loin d'elle, de fines particules s'engouffrèrent dans ses yeux. Un réflexe l'entraîna à refermer les paupières, mais elle ne put empêcher les poussières de se coller à la cornée, d'autant moins qu'elle était dépourvue des premiers filtres constitués par les cils et que ses glandes lacrymales mirent du temps à sécréter leur humidité protectrice. Elle fit le contraire de ce qu'il fallait faire en de telles circonstances : elle ne laissa pas le temps à ses défenses de se mettre en place et à l'aide de ses doigts elle se frotta vigoureusement les yeux. Elle ne réussit qu'à aviver la sensation de brûlure.

Les sifflements du vent résonnaient comme autant de menaces. Elle entendait également un grondement lointain, sourd, et de longs hurlements qui lui transperçaient les tympans et lui glaçaient le sang. Lorsqu'elle put enfin rouvrir les paupières, lorsque ses yeux endoloris se furent accoutumés à la luminosité, elle examina attentivement les environs : elle ne remarqua aucune habitation, aucune trace de présence humaine, seulement des reliefs bruns, découpés, pelés. Elle chercha en vain ces petits brins d'herbe verts et souples qu'elle avait entrevus dans le musée des origines de L’El Guazer, ces créatures végétales appelées arbres, ces sources et ces cascades musicales. Où était la beauté de la Terre promise par l'hymne du retour, la splendeur des aubes et des crépuscules, la fraîcheur de la verdure sous les pieds nus, le doux bruissement du vent ? Le mal mystérieux qui la rongeait avait-il transformé la planète des origines en un monde hostile, désertique ?

Aussi loin que portait son regard, Ghë ne discernait rien d'autre que cette croûte sombre, rocailleuse, lugubre, surmontée d'un horizon monotone. Peut-être avait-elle atterri au mauvais endroit ? Peut-être y avait-il de la vie, de la beauté plus loin ? Elle avait faim, elle avait soif, elle se rendait compte que rester ici, près du scaphandre, reviendrait à attendre la mort. Des formes noires planaient quelques dizaines de mètres au-dessus d'elle. C'étaient d'elles qu'émanaient ces horribles cris. Elle hésita encore à s'enfoncer dans ce territoire inhospitalier, à quitter l'abri relativement sûr que lui offrait le scaphandre, puis elle se souvint que des milliers de frères et de sœurs étaient morts dans l'espace pour qu'elle puisse accomplir son destin et elle ne s'estima pas le droit de se laisser dominer par la peur. Mâa et les cryptos lui avaient révélé qu'elle appartenait à ce mystérieux groupe d'élus dont El Guazer avait eu la vision et, même si elle ne savait pas ce que recouvrait exactement la notion d'« élu », elle se devait de partir à la recherche de ses onze compagnons. Elle n'avait pas la moindre idée de la direction à suivre. Elle décida de s'orienter par rapport au grondement lointain, de marcher vers la source du bruit, un bruit qui lui rappelait le ronronnement du train de vaisseaux.

Au bout seulement de quelques dizaines de pas, elle s'aperçut qu'elle n'avait pas compté avec la gravité. Tant qu'elle était restée appuyée contre le scaphandre, elle n'avait pas vraiment ressenti les effets de l'attraction terrestre, mais maintenant qu'elle bougeait, elle avait l'impression d'affronter une surface puissamment aimantée. La pression inhabituelle sur sa nuque et ses épaules se transformait en un fardeau pesant, écrasant, et ses jambes tremblantes, tétanisées, incendiées, la portaient avec difficulté. Les formes noires et criardes se rapprochaient d'elle, comme si elles guettaient sa chute pour s'abattre sur elle et la dépecer de leurs griffes, de leur bec.

Son voisin de cabine, Jadl, n'avait pas seulement tenté de l'initier aux joies de la conversion du temps

A.D.V.L. en unités E.D.V.L., il lui avait également parlé des animaux, des créatures d'un règne inférieur dont certaines étaient des amies pour l'homme et d'autres des ennemies, des prédatrices. Lorsqu'elle relevait la tête et observait celles qui planaient au-dessus d'elle, elle ne leur trouvait rien d'amical. Leurs corps étaient revêtus de sortes d'écaillés soyeuses, souples, et elles se servaient de leurs bras pas vraiment des bras, mais aucun autre mot ne venait à l'esprit de Ghë pour se maintenir en l'air. Elle voyait, aux éclats maléfiques de leurs petits yeux ronds et noirs, qu'elles exploiteraient la moindre défaillance de sa part pour se jeter sur elle, et cette terrible perspective la galvanisait, la poussait à continuer en dépit de son immense lassitude, en dépit de la petite voix intérieure qui la pressait de s'arrêter, de s'allonger, de délasser ses membres fourbus, de glisser dans l'oubli réparateur du sommeil.

Elle ne pouvait plus se régénérer dans la mer bienfaisante des vibrions mentaux de ses frères et sœurs d'exil. Depuis qu'elle avait posé le pied sur le sol terrestre, elle ne captait aucune présence, aucune vibration mentale, comme si le mal mystérieux dont souffrait la planète avait décimé les hommes, comme si ces affreuses créatures étaient désormais les seuls habitants des lieux. En elle s'insinua un doute affreux : la vision d'El Guazer n'avait-elle pas été le rêve chimérique d'un homme en proie aux fièvres, au délire ou à la paranoïale ? Ou bien s'était-il trompé dans ses calculs ? La conversion des temps amenait une telle confusion dans les esprits que les cent siècles présumés s'étaient peut-être transformés en mille siècles, en une éternité... Elle arrivait trop tard pour empêcher l'humanité de sombrer dans le néant. Les paroles de Mâa s'élevèrent en elle, la blessèrent par l'ironie involontaire qu'elles contenaient : « Tu es le cadeau d'El Guazer à l'humanité, Ghë... » L'humanité ne recevrait jamais son cadeau tout simplement parce qu'elle n'existait plus. Ghë était un présent absurde, une élue dérisoire pour laquelle les passagers du train de vaisseaux s'étaient entre-tués. A cause d'elle, à cause de Mâa et des voyantes, à cause de croyances probablement erronées, les exilés s'étaient désintégrés dans l'espace au lieu d'atterrir, de reconquérir la planète de leurs ancêtres, d'ensemencer le ventre de la Terre, de rebâtir un monde nouveau.

Elle cessa machinalement de marcher, s'agenouilla sans même s'en rendre compte, se coucha de tout son long sur le sol, se laissa emporter par le désespoir et le dépit qui s'écoulaient d'elle. Elle perçut les cris rauques des animaux volants mais n'y prêta pas attention. L'amertume de l'échec l'emplissait tout entière et la mort lui apparaissait comme la seule issue envisageable, souhaitable. Elle resta allongée pendant un temps qu'elle aurait été incapable de déterminer, exténuée, engourdie de fatigue, goûtant la détente de son corps. Elle entrevit, par la mince ouverture de ses paupières, les créatures volantes posées à quelques mètres d'elle, immobiles, attentives. Le vent s'insinuait entre sa robe et sa peau, séchait sa sueur. Il lui sembla que des rayons de lumière s'infiltraient par les déchirures de l'horizon gris.

Ils éveillèrent en elle le souvenir des filaments à l'ineffable nitescence de sa vision crypto, le vaisseau de lumière ceint de colonnes et cerné par le vide effrayant, les sensations, les émotions, les vibrions de ses onze compagnons d'élection. Elle releva la tête, ouvrit les yeux : elle vit une tête rose, entourée d'une collerette blanc et noir. Un animal s'était approché à moins d'un mètre d'elle et tendait le cou dans sa direction.

Fracist Bogh eut besoin de plus de temps que les autres pour maîtriser le voyage psychokinétique car les dogmes kreuziens s'étaient cristallisés avec une telle force dans son inconscient qu'ils l'empêchaient de s'abandonner à la vibration de l'antra. A l'issue de l'initiation, une poignée de minutes avaient suffi à Yelle pour se transférer sur un autre continent et en revenir avec une fleur inconnue à la main, une poignée d'heures avaient suffi à Whu pour se téléporter du village jusqu'au volcan d'Exod, une journée avait été nécessaire à San Francisco et à Phœnix pour parcourir un couloir éthérique sur une distance de trois cents mètres. En revanche, Fracist Bogh avait eu beau s'escrimer de l'aube jusqu'au crépuscule, il n'était pas parvenu à visualiser ces satanées bouches de lumière dont tout le monde lui parlait ni même à descendre dans les profondeurs du silence intérieur que Whu comparait au lac du Xui.

A l'aube, Jek, muni d'une hache, avait dégagé un passage dans l'épais rempart de ronces qui entourait le buisson du Fou. C'est là, devant les fleurs éternellement brillantes, qu'Aphykit, vêtue d'une robe blanche, avait transmis l'antra successivement à sa fille, au chevalier, à l'ancien muffi et aux deux Jersalémines. Le jour s'était levé, radieux, lumineux, et les oiseaux avaient salué de leurs trilles l'avènement de l'astre de feu. Cette atmosphère à la fois grave et joyeuse avait rappelé à Aphykit les temps heureux où le village des pèlerins bruissait de vie, où le jeune Shari, assis devant ce buisson, cherchait le sentier de l'arche, parlait pendant des heures de la chaîne vibratoire, de la source lumineuse, de la divinité humaine. Qu'étaient-ils devenus, les pèlerins qui l'écoutaient d'un air à la fois émerveillé et incrédule ? Qu'était devenu Milk Madura, ce garçon de dix ans transféré par erreur sur Terra Mater par l'employé d'une agence de la C.I.L.T. ? Qu'étaient-ils devenus, ces temps bénis où Tixu relatait à coups de phrases hachées et maladroites l'aventure qui lui avait valu le surnom de Sri Lumpa ?

Les nouveaux shânbâns, les initiés, n'avaient pas perdu de temps. A peine avaient-ils reçu l'antra qu'ils s'étaient isolés et avaient immédiatement exploré les nouvelles possibilités offertes par le son de vie. Il n'y avait rien eu de très étonnant au succès fulgurant de Yelle car elle était la fille de Sri Lumpa, l'homme qui avait redécouvert cette façon de voyager (Aphykit avait insisté sur les mérites de Tixu dans le petit discours préalable qu'elle avait tenu aux futurs initiés). Rien de très stupéfiant non plus dans la réussite rapide de Whu Phan-Li, étant donné sa maîtrise du Xui. San Francisco et Phœnix avaient connu une progression qu'on pouvait qualifier de normale et, phénomène remarquable, avaient effectué leur premier bond éthérique tous les deux en même temps bien qu'ils se fussent séparés pour s'exercer chacun de leur côté, chacun à leur rythme.

Fracist Bogh était fort dépité à la tombée de la nuit. Il n'avait réussi qu'à récolter de douloureuses migraines à l'issue de sa première journée de shânbân, et l'air réjoui de ses compagnons d'initiation, même s'ils évitaient de manifester une satisfaction trop ostentatoire lorsqu'ils venaient à le croiser, lui rappelait cruellement son propre échec. Il ne goûtait plus le bonheur des caresses de l'air et du soleil sur sa chevelure et sa peau. Pourtant, la veille, lorsqu'il avait retiré la combinaison de mercenaire et son colancor, il avait éprouvé un indescriptible soulagement, il avait eu la sensation de respirer pour la première fois depuis son enfance sur Duptinat. Il était resté un moment nu, exposé à la fraîcheur piquante de la nuit, avant de se glisser avec volupté dans le lit que lui avait préparé Jek. Au réveil, il avait trouvé un pantalon et une tunique de laine posés sur une table basse, soigneusement plies. Il avait passé avec beaucoup de plaisir ces vêtements simples, rustiques, qui sur Syracusa auraient tout juste paru dignes de mihomibêtes du Gétablan. La vue de l'anneau muffial, désormais solidement rivé à l'annulaire de Yelle, n'avait éveillé aucun regret en lui. Le corindon julien, le symbole tant convoité du pouvoir temporel de l'Eglise du Kreuz, ne pouvait tomber en de meilleures mains. Son bref passage sur le trône de souverain pontife lui apparaissait maintenant comme un cauchemar, comme une descente terrifiante dans l'enfer kreuzien.

Le soleil avait disparu depuis un bon moment derrière le massif des Hymlyas lorsqu'il rencontra Aphykit au détour du chemin. Elle comprit immédiatement, à la tension de son visage, qu'il était contrarié par ses revers.

« Abandonne l'idée du transfert, lui dit-elle. Laisse-toi simplement remorquer par l'antra, tranche les amarres qui te relient au monde des formes. La raison est perverse : elle veut d'abord comprendre le phénomène avant de l'expérimenter. Voir pour croire. Or le voyage sur la pensée requiert la démarche opposée. »

Il avait encore du mal à se faire au tutoiement, de rigueur après l'initiation (un témoignage de l'amitié qui nous lie, avait précisé Aphykit).

« Si je n'y croyais pas, je n'aurais pas appris les graphèmes de protection et de guérison inddiques ! protesta Fracist Bogh. Je n'aurais pas déserté le palais épiscopal comme un lâche !

— La lâcheté aurait consisté à vivre sur tes acquis et à rester à la tête de l'Eglise. Tu as fait preuve d'un immense courage en t'opposant aux cardinaux et aux vicaires. Je n'ai pas encore eu l'occasion de te remercier d'avoir veillé sur nos corps congelés. Pendant trois ans, tu as été notre seul pont entre la vie et la mort.

— J'ai eu le seul mérite de suivre les conseils d'un mort... »

Elle laissa errer son regard sur la voûte céleste assombrie. Quelques heures plus tôt, des lueurs vives avaient embrasé l'espace et elle n'avait pas encore trouvé d'explication cohérente à cette brusque illumination : cela avait ressemblé à une désintégration de corps célestes à l'orée de l'atmosphère terrestre.

« Ne mésestime pas tes mérites, Fracist, murmura-t-elle lentement. Ne te mésestime pas toi-même. Tu refuses d'admettre ta grandeur d'âme, tu ne t'aimes pas suffisamment... »

Elle fit quelques pas en direction des taches lumineuses du buisson du Fou et ajouta, après un moment de silence :

« Ne crois pas que je veuille te faire la morale ou te donner des leçons. J'ai mis beaucoup de temps à m'accepter et je ne suis même pas certaine d'y être tout à fait parvenue...

— Vous, Naïa Phykit ? » s'étonna Fracist Bogh.

Elle se tourna vers lui et le fixa ardemment. Il y avait de la douleur dans ses magnifiques yeux pers et or. Ses cheveux blonds, soufflés par la brise, prenaient dans la nuit naissante une blancheur insolite, semblable à l'astre nocturne qui se levait derrière les lignes brisées des massifs (Lune, avait dit Jek). Sa beauté émerveilla de nouveau le Marquinatin, qui fut effleuré par l'image de son corps figé dans le sarcophage cryo.

« Pour qui me prends-tu, Fracist ? »

La question le prit au dépourvu. Il ne trouva aucune réponse à lui fournir.

« Tu as probablement été abusé par les légendes qui courent à mon sujet, reprit-elle. Je ne suis qu'une femme en proie au doute et au chagrin. J'ai longtemps nié cette évidence et, ce faisant, j'ai nié ma propre grandeur.

— Je ne comprends pas très bien.

— Vestiges de dogmes kreuziens... L'Eglise a cherché depuis des siècles à séparer les individus d'eux-mêmes. Les préceptes et les commandements ne sont que des outils pratiques pour maintenir les fidèles dans un sentiment de culpabilité. Les fautifs ne s'aiment pas et, ne s'aimant pas, ils cherchent une solution dans le culte, ils remettent leur âme entre les mains des officiants, des prêtres, des missionnaires.

— Je ne vois toujours pas le rapport entre l'Eglise et vous...

— L'acceptation de soi. Je ne me suis pas acceptée, comme tous ces gens qu'on pousse à se nier, à se réduire à des dogmes. J'ai payé très cher pour apprendre à ne pas me conformer à un modèle idéalisé de moi-même. J'ai perdu Tixu et j'ai failli perdre Yelle.

— Whu soutiendrait que cela relève également et surtout de leur responsabilité.

— C'est vrai mais un amour sincère, fort, propose d'autres routes, d'autres choix. Si tu ne sais pas t'aimer,

Fracist, la route du voyage par la pensée te sera coupée. Tu te crois inférieur aux autres parce qu'ils ont réussi à découvrir les couloirs éthériques dès le premier jour de leur initiation, mais tu franchiras aisément des obstacles qu'eux mettront des années, des siècles peut-être à franchir. Les parcours humains ne sont jamais identiques et il n'en est pas un qui soit supérieur ou inférieur aux autres. Dans quel but as-tu mémorisé les graphèmes inddiques de guérison ?

— J'ai pensé qu'ils pourraient un jour me servir... A mon tour de vous poser une question : que vous inspire la disparition des Scaythes d'Hyponéros ? »

Il remarqua l'infime crispation de ses lèvres.

« Nous les reverrons bientôt, dit-elle. Sous une autre forme, sous une forme humaine. Et nous devrons les aimer. Les accepter... »

Elle lui sourit, lui posa la main sur l'épaule et s'évanouit dans la pénombre avec une telle soudaineté qu'il se demanda si elle ne lui avait pas offert au passage une petite démonstration du transfert instantané. Il prit conscience en tout cas qu'elle lui avait donné une belle leçon d'humanité.

Fracist ne trouva pas le sommeil. Il repoussa les draps, se leva, s'habilla et sortit de la chambre. Il traversa la pièce où dormait Whu qui, fatigué par ses premiers exercices de transfert, dormait à poings fermés, et sortit dans la rue principale. La maison où les deux hommes s'étaient installés (Tune des rares dont le toit fût encore imperméable et les huisseries raisonnablement pourries) se situait à une cinquantaine de mètres du buisson du Fou. Jek lui avait raconté brièvement l'histoire de ce buisson aux fleurs brillantes qui s'était spontanément formé après le départ de l'immortel gardien de l'humanité, de l'homme qui avait veillé pendant plus de cent cinquante mille ans sur les annales inddiques et avait enseigné au mahdi Shari la maîtrise des pierres volantes.

Fracist se glissa par l'étroit passage entre les ronces et s'assit en tailleur devant le buisson. L'œil blême de la Lune, haut dans le ciel, semblait le contempler d'un air narquois. La nuit estompait les reliefs, et les cris des rapaces nocturnes déchiraient le silence feutré. De nombreux historiens, y compris ceux de l'Eglise, soutenaient que tous les peuples dispersés sur les mondes du Centre et des Marches étaient originaires de Terra Mater (hormis les Scaythes, bien entendu), mais tant qu'il n'aurait pas vu de traces de l'ancienne civilisation de la planète (le volcan d'Exod et le village des pèlerins n'étaient pas pour lui de véritables traces de civilisation), cette hypothèse lui paraîtrait invraisemblable. Comme pour le voyage sur la pensée, il voulait voir pour croire. Et c'était sans doute ce trait de caractère qui l'avait poussé à embrasser la carrière kreuzienne avec tant d'enthousiasme. Il ne regrettait rien : aucun parcours n'était inférieur ou supérieur aux autres, avait dit Aphykit.

Il ferma spontanément les yeux. L'antra résonna aussitôt dans son silence intérieur. Il ne chercha pas à s'en emparer, à le plier à sa volonté comme il s'y était astreint toute la journée, il s'abandonna à la subtile vibration du son de vie, il explora les zones profondes de son esprit. Il y croisa le petit Fracist Bogh, l'enfant libre et insouciant qui jouait dans la cour de la Ronde Maison aux neuf tours en compagnie du jeune seigneur List Wortling. Il vit sa mère, la douce Jezzica, la modeste lingère qui éclatait de rire aux plaisanteries graveleuses des gardes ou des fournisseurs. Des silutes à ailes rouges s'envolaient d'un aughineux. Il n'avait jamais connu son père. Sa mère non plus ne le connaissait pas : naïve, jolie, sensuelle, elle s'était laissé posséder par tous les hommes qui étaient passés dans sa vie et elle aurait été incapable de déterminer lequel de ses innombrables amants l'avait ensemencée. Fracist lui en avait terriblement voulu et il avait profité de son internement dans T.E.P.S. de Duptinat pour couper définitivement les ponts avec elle. N'était-ce pas elle qu'il avait désespérément cherchée dans la contemplation extatique des corps en croix ? N'était-ce pas elle qu'il avait vue se déformer, se consumer, agoniser dans d'atroces souffrances ? Il contempla son beau visage fatigué, creusé, et il fut saisi d'un désir pressant de le caresser, de l'embrasser.

Il se retrouva tout à coup sur la place Jatchaï-Wortling, au centre de laquelle trônait la statue du fondateur de la dynastie du Wort-Mahort et la haie pourpre et or ornée de fleurs d'or. Les ombres allongées des neuf tours de la Ronde Maison léchaient les immeubles environnants. Il n'y avait pas remis les pieds depuis plus de vingt ans mais elle n'avait pas changé, hormis peut-être les bouches lumineuses qui, tout autour de l'esplanade, remplaçaient les entrées des rues. Elles scintillaient, estompaient les formes, semblaient s'ouvrir sur d'autres mondes. Une intuition poussa Fracist à s'engouffrer dans l'ouverture qui, comme si elle avait voulu l'attirer, brillait davantage que les autres. De l'autre côté, il aperçut une sorte de cordon étincelant qui se perdait dans le lointain. Il ne voyait plus la ville, comme s'il était passé dans une réalité immatérielle, impalpable. Il fut soudain happé par un courant d'une puissance infinie et eut la sensation d'être désintégré comme lors d'un transfert par déremat.

Il faisait jour lorsqu'il reprit connaissance. Il crut d'abord être arrivé sur une autre planète mais il aperçut, au-dessus d'une ligne de crête découpée, un astre jaune qui ressemblait comme un frère au Soleil de Terra Mater. Il en déduisit qu'il s'était transféré sur la face éclairée de la planète. Il prit alors réellement conscience qu'il avait réussi à se transporter par la seule force de la pensée et il fut envahi d'une joie profonde. Pour retourner à son point de départ, il lui suffirait d'en émettre l'intention (c'était du moins ce que leur avait enseigné Aphykit) mais il devrait patienter : une fatigue intense lui engourdissait le corps. Elle n'était pas comparable à l'effet corrigé Gloson, elle évoquait davantage une saine lassitude après une dure journée de labeur. L'air brûlant le contraignait à respirer à petites inhalations. Il entendit des trompettements au-dessus de sa tête, distingua les formes tournoyantes de rapaces que sa brusque apparition avait effrayés. Il perçut également le grondement sourd de ce qui lui parut être un cours d'eau.

Il était assis sur le bord d'une gigantesque faille de plusieurs kilomètres de largeur et trois ou quatre cents mètres de profondeur, au beau milieu d'un désert rocailleux. Les rapaces fondirent dans un bel ensemble à l'intérieur de la faille comme s'ils se hâtaient de reprendre une besogne que son intrusion avait interrompue. Il se pencha vers l'avant, jeta un coup d'œil en contrebas, discerna le ruban bleu d'une rivière, quelques arbres et taches vertes qui en bordaient le lit.

Il repéra, tout près de l'eau, une forme inerte d'une couleur indéfinissable tirant sur le blanc. Il affina son observation et s'aperçut que la cible manifeste des grands oiseaux était un corps humain. Il décida de se transporter au fond de la faille par la pensée, ferma les yeux mais se rendit instantanément compte que son corps se refuserait à un deuxième transfert tant qu'il n'aurait pas reconstitué ses forces.

Il calcula que plus d'une heure lui serait nécessaire pour dévaler la pente abrupte. Un délai que mettraient à profit les rapaces pour commencer à déchiqueter l'homme ou la femme allongé sur la rive. Encouragés par son immobilité, ils s'étaient posés sur le sol et convergeaient dangereusement vers leur proie. Fracist estima que celle-ci était encore vivante ou qu'elle n'était pas morte depuis longtemps, ce qui expliquait leur relative prudence. Il s'empara d'un caillou et, priant... qui ? il ne savait plus quel dieu prier... pour qu'il ne fracasse pas le crâne de l'être humain qu'il se proposait de sauver, il le lança dans la faille. Le projectile heurta le sol quelques secondes plus tard, à une vingtaine de mètres du corps inerte. Il obtint l'effet désiré puisque les oiseaux apeurés s'envolèrent en poussant des piaillements aigus. Ils ne quittèrent pas la faille cependant : ils se posèrent plus loin, guettant la première occasion de se rapprocher de leur but.

Fracist bourra de cailloux les poches de son pantalon et entama la descente. Elle lui prit davantage de temps que prévu car il ne choisit pas toujours les bons passages et se fourvoya à plusieurs reprises dans des impasses. La fatigue et la chaleur torride l'obligeaient à se reposer de temps à autre dans les zones d'ombre. Les roches gorgées de soleil lui brûlaient les mains. En outre cette descente représentait une considérable dépense d'énergie pour quelqu'un qui n'avait jamais effectué d'exercice physique depuis qu'il avait embrassé la carrière ecclésiastique. Il lui sembla entrevoir les queues sinueuses et rougeâtres de serpents se faufilant entre les pierres. Il surveillait du coin de l'œil les mouvements des rapaces qui voletaient sournoisement vers le corps inerte. Il se rivait alors à une excroissance et leur lançait un caillou. Ils s'égaillaient en trompettant mais réduisaient les distances, comme s'ils comprenaient que ces jets de pierres ne constituaient pas une menace réelle mais une simple manœuvre d'intimidation.

En se rapprochant, Fracist vit que ce corps était celui d'une femme. Elle était allongée sur le dos. Sa pâleur lui donna à penser qu'elle était morte, puis il se rendit compte que sa poitrine se soulevait à intervalles réguliers sous sa robe. Elle était totalement glabre ou bien elle s'était soigneusement rasé la tête et les sourcils, ce qui était une initiative singulière par une telle chaleur. Elle avait visiblement voulu s'abreuver à l'eau de la rivière, mais elle s'était écroulée quelques mètres avant de l'atteindre. Sa peau d'une blancheur étonnante même sur Syracusa où la blancheur de la peau était l'un des critères esthétiques les plus prisés, il n'en avait jamais vu d'aussi pâle et son absence totale de pilosité en faisaient un être totalement inadapté dans un environnement désertique. Comment avait-elle atterri ici ? Que faisait-elle au fond de cette gigantesque faille ?

La pente s'incurvait vers le bas et les derniers mètres s'avérèrent beaucoup plus faciles à parcourir que le reste de la paroi. Lorsqu'ils le virent sauter sur le sol recouvert d'une mousse jaune et rêche, les rapaces s'envolèrent vers le haut de la faille en poussant des cris de dépit. Couvert de sueur, il s'agenouilla à côté de la femme, lui passa la main sous la nuque et lui souleva délicatement la tête. Elle entrouvrit les paupières. Il constata qu'elle n'avait pas de cils mais que son regard étrange, comme inachevé, s'accordait parfaitement à sa beauté diaphane. Elle paraissait très malade en tout cas, sinon mourante. Il la tira doucement vers le bord de la rivière, recueillit de l'eau dans le creux de sa main et lui en humecta les lèvres. Son front était aussi brûlant que les pierres de la paroi. Totalement démunie de défense sous des latitudes aussi caniculaires, elle souffrait probablement d'une insolation. Les rougeurs de ses bras et de ses jambes étaient les prémices de graves brûlures.

Il retira sa tunique, la plongea dans la rivière et lui en recouvrit la tête.

Puis il la transporta dans une zone d'ombre et lui entrouvrit les lèvres pour la contraindre à boire quelques gouttes d'eau. Elle avait gardé les paupières ouvertes mais ses yeux, dont l'iris bleu pâle se confondait presque avec le blanc, le fixaient sans le voir. Son âme quittait lentement son corps et il ne restait à Fracist que la ressource de l'assister dans son agonie. Or il n'avait pas envie qu'elle meure parce que, bien qu'il ne la connût pas, il pressentait qu'elle le réconcilierait avec cette partie féminine de lui-même qu'il n'avait jamais acceptée. Le vent léchait la sueur de son torse nu. Il contempla pendant un moment la surface miroitante du large cours d'eau.

Lui revint à l'esprit le souvenir d'un antique livre-papier dont les pages jaunies recelaient des symboles antiques, mi-lettres mi-figures géométriques : l'occasion lui était offerte d'essayer les douze graphèmes inddiques de guérison. Il prit conscience qu'Aphykit ne lui en avait pas parlé de manière fortuite quelques heures plus tôt. Il se releva et marcha fébrilement jusqu'au bord de la rivière. L'haleine brûlante du soleil lui incendia la nuque, les épaules et le dos. Il se rappela ses visites à la petite pièce de la bibliothèque interdite. Il se souvenait parfaitement des symboles de guérison, qu'il avait mémorisés avec autant de soin que les graphèmes de protection, mais il eut beau fouiller dans les recoins de son esprit, il n'y trouva pas d'éventuelles instructions quant à la manière de les utiliser.

Il retourna près de la jeune femme, s'accroupit à côté de sa tête. La fixité et l'absence d'expression de ses yeux l'alarmèrent. Il posa son oreille sur sa poitrine, décela les très faibles battements de son cœur. Alors il lâcha toutes les prises et ressentit un éblouissement fulgurant à l'intérieur de lui. Il eut l'impression que ses veines charriaient de la lave en fusion. Ce n'était pas une chaleur comparable à celle du Soleil, mais une énergie d'une puissance infinie, une force qui venait d'un autre espace, d'un autre temps, et qui agissait à travers lui. De l'index il traça les graphèmes de guérison sur le corps de l'inconnue en commençant par la tête et en finissant par le bas-ventre. Il ne marquait aucun temps d'hésitation, il savait de manière spontanée que chaque symbole correspondait à un point précis de l'organisme, au crâne, au front, à la gorge, au cœur, au foie, à la rate... Il renforçait les défenses immunitaires d'un être fragile, tombé sur Terre comme un ange blessé, il semait des graines de vie dans un terreau malade.

Lorsqu'il eut achevé sa tâche, il retira son pantalon, s'aida d'une pierre tranchante pour le déchirer et en faire une couverture sommaire qu'il étendit sur la poitrine et le ventre de la jeune femme. Il la veilla pendant plusieurs heures, jusqu'à ce que le soleil rougeoyant s'abîme derrière la ligne supérieure de la faille. Il retraça les graphèmes de guérison à plusieurs reprises, puis, le soir venu, il fut saisi d'une irrésistible envie de se baigner dans la rivière. L'eau fraîche le revigora il ne s'était pas immergé dans l'élément liquide depuis son enfance à Duptinat. Il s'essuya vigoureusement à l'aide de feuilles séchées et s'assit contre la paroi, les bras croisés sur sa poitrine pour lutter contre la fraîcheur mordante déposée par la nuit naissante. Il assista au lever de la Lune, belle et pleine comme une femme

Zone de Texte:

enceinte, s'assura une dernière fois que sa protégée dormait paisiblement et finit par sombrer dans un sommeil peuplé de cauchemars.

Un cri strident le réveilla.

Les coursiers du jour se répandaient dans la plaine céleste, abandonnant sur leur passage des traînes rose pâle.

La jeune femme, dévêtue, était entrée dans la rivière jusqu'à mi-cuisse. La façon qu'elle avait de progresser dans l'eau montrait qu'elle affrontait un élément nouveau pour elle. Fracist se leva, étira ses muscles engourdis par la fatigue et le froid et se dirigea vers la rive. Elle pressentit sa présence, se retourna et le fixa avec un mélange de joie, de curiosité et de crainte. Il la trouva merveilleusement belle dans la lumière de l'aube. Elle sortit de l'eau, s'avança vers lui, eut un geste surprenant : elle leva le bras et lui caressa les cheveux. Il se demanda si elle parlait le nafle interplanétaire.

« Je suis Fracist Bogh...

— Vous êtes un habitant de la Terre ? » demanda-t-elle.

Son langage, l'inflexion sur les accents toniques principalement, se rapprochait davantage du spatiel préhistorique que du nafle moderne mais ils se comprenaient et c'était l'essentiel.

« La Terre ? Vous voulez sans doute parler de cette planète, de Terra Mater ? Mon monde d'origine est Marquinat et je viens de Syracusa... »

Elle cessa de lui caresser les cheveux et le scruta d'un air interrogateur.

« Et vous ? poursuivit-il. D'où venez-vous ? »

Elle désigna le ciel d'un geste du bras.

« De L’El Guazer, du train de vaisseaux. Tous les miens sont morts... »

Les paroles du mahdi Shari dans le tube gravitationnel du sous-sol du palais épiscopal revinrent à l'esprit de Fracist. Aux deux Jersalémines, au muffi de l'Eglise, à ta fille et à toi, il convient d'ajouter un ancien chevalier absourate et une créature dans un train de vaisseaux...

« Tu es la douzième... » murmura-t-il autant pour lui-même que pour son interlocutrice.

Une lueur s'alluma dans les yeux de la jeune femme.

« D'après Mâa et les voyantes, je suis l'élue et j'entre pour un douzième dans l'avenir de l'humanité ! » s'écria-t-elle.

Il la prit par les épaules et lui sourit.

« Quel est ton nom ?

— Ghë.

— Bienvenue sur Terra Mater, Ghë. Tu es parvenue au terme de ton voyage. »

Entre deux bains dans la rivière (Ghë comprenait maintenant ce que recouvraient les paroles de l'hymne du retour, la beauté de la Terre lui était enfin révélée), ils se reposèrent à l'ombre d'un grand rocher et se racontèrent leurs vies respectives. Ghë fut surprise d'apprendre que la Terre était dorénavant une planète déserte.

De son côté, Fracist considéra l'aventure des passagers de l’El Guazer comme la preuve manquante de l'origine terrestre des peuples des mondes du Centre et des Marches. Il eut également beaucoup de mal avec la conversion des temps et son air marri arracha un rire à Ghë, son premier rire depuis bien longtemps. Ils avaient tant de choses à dire qu'ils ne virent pas passer les heures, qu'ils oublièrent la faim (peut-être parce qu'ils avaient besoin l'un et l'autre de se nourrir avant tout de tendresse). Au crépuscule, Ghë s'était réconciliée avec les hommes et Fracist avec les femmes. Chacun de leur côté, ils commençaient à envisager l'éventualité d'une communion charnelle mais un reste de peur ou de pudeur les dissuada de passer à l'acte, et ils se contentèrent de se caresser avec les yeux et les mots.

« Je dois prévenir les autres de ta présence. Aphykit ou le mahdi Shari viendra t'initier à l'antra et tu apprendras à voyager sur tes pensées.

— Inutile d'attendre ! » fit une voix.

Saisis, ils se retournèrent et aperçurent une silhouette dans la clarté rouille du crépuscule. Fracist reconnut immédiatement le mahdi Shari bien qu'il ne fût pas vêtu de la même tenue que lors de son passage dans les souterrains du palais épiscopal.

« Nous étions inquiets et je suis parti à ta recherche, ajouta Shari. Je me rends compte que c'était pour la bonne cause : tu as trouvé la onzième étincelle du dewa inddique.

— La onzième ? s'étonna Fracist Bogh.

— La douzième se manifestera bientôt. Elle sera éteinte. Aurons-nous assez de force, assez de cohérence pour la faire briller de nouveau ? »

CHAPITRE XXIV

Le dieu Mars dit un jour aux N-le Martiens : « Mon père Jupter m'envoie vous donner le secret de l'immortalité. Ce secret vous permettra d'éloigner le semeur de vide. Mais si vous l'égarez, le semeur surgira du néant pour vous jeter dans les abysses de l'oubli.

— Quel est le secret ? demandèrent les N-le Martiens.

— Il est simple : n'oubliez jamais d'adorer le dieu qui dort en vous. »

Mars s'en retourna dans son royaume.

Les hommes de N-le Mars ne comprirent pas ses paroles et ils se hâtèrent de les oublier. Les prêtres leur présentèrent de nouveaux dieux, de nouvelles idoles, à qui ils vouèrent des cultes fanatiques. Ils commencèrent à se diviser, à s'entre-tuer, et la terre de la planète se gorgea tellement de sang qu'elle en devint éternellement rouge.

Leurs cris de terreur et de haine réveillèrent le semeur de vide qui dormait dans les abysses. Il se leva, prit une apparence d'homme et s'en vint sur N-le Mars. Lorsqu'ils l'aperçurent, les hommes épouvantés se rappelèrent les paroles du dieu Mars. Ils tentèrent d'exhumer le dieu qui dormait en eux, mais ce fut trop tard : le semeur de vide les anéantit et leur monde fut projeté à jamais dans la faille abyssale.

Cette histoire te fait peur, ô toi qui me prêtes une oreille attentive ? Aime ton dieu intérieur et va sans crainte.

 

Légende de N-le Mars, recueillie de la communauté n-le martienne de la planète Alemane. Traduction de Messaodyne Jhû-Piet.

03 - La citadelle Hyponeros
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