LA CITADELLE HYPONEROS
Après Les guerriers du silence ( Grand Prix de l'Imaginaire et prix Julia Verlanger 1994), et Terra Mater, voici le dernier volet de ce space-opéra. Lauréat du prix Tour Eiffel de science-fiction en 1997 pour Wang, né en 1955, Pierre Bordage s'impose, de livre en livre, comme un très grand romancier populaire.
Les étoiles s'éteignent l'une après l'autre. Depuis leur lointaine citadelle, les maîtres germes de l'Hyponéros programment l'effacement de l'univers.
Le dernier espoir de l'humanité repose sur les guerriers du silence. Ils devront être douze à pénétrer dans les annales inddiques. Le mahdi Shari, assisté de Jek At-Skin, réussira-t-il à les rassembler à temps ? Tixu Oty a disparu. Aphykit, Yelle, San Francisco et Phœnix ont été cryogénisés et enfermés dans des sarcophages de verre. Oniki et Tau Phraïm se terrent dans le bouclier de corail de la planète Ephren. Et il en reste trois, dispersés, qui .ignorent l'importance de leur rôle dans l'ultime affrontement contre les Scaythes.
Pendant ce temps, un chevalier absourate déchu rencontre une voyante sur le Sixième Anneau, une jeune femme revient d'un exil de cent siècles, Barrofill le Vingt-cinquième, muffi de l'Église du Kreuz, reçoit d'étranges révélations, et, après une longue errance, Tixu Oty arrive sur un astre mort...
CHAPITRE PREMIER
Pendant quatre-vingt-dix ans, j'ai présumé qu'il suffisait d'observer le monde pour mériter le titre d'homme et donc pendant quatre-vingt-dix ans je suis resté coupé du monde. Je pensais qu'il suffisait d'isoler et de comprendre les mécanismes qui régissent l'univers et je me suis emprisonné dans les méandres de la raison. J'ai vécu pendant plus de soixante années standard sur un astre mort du cœur de Via Lactea. Je me croyais à l'avant-garde de l'humanité, je n'étais qu'à sa traîne. Je pensais qu'il me suffisait d'assister à l'avènement du vide pour justifier mon existence. L'incréé se déployait sous mes yeux, dévorait les étoiles par millions et je me contentais de m'en désoler. J'avais enterré Nahum Arratan, mon compagnon d'aventure, et je dois avouer que sa mort m'avait procuré un grand soulagement car j'en étais arrivé à éprouver un terrible sentiment de haine à son égard. Nous avions vécu pendant plus de trente années dans une redoutable promiscuité et je refusais de me contempler dans le miroir qu'il me tendait. Je sais maintenant que je ne lui ai pas pardonné son échec : notre vaisseau était hors d'usage et lui, le spécialiste en robotique, n'était pas parvenu à ramener à la vie les innombrables androïdes, robots et autres gestionnaires de mémodisques échoués avant nous sur cet astre mort. Par un étrange caprice du destin, nous étions condamnés à vivre jusqu'à la fin des temps dans un cimetière technologique, au milieu de ces centaines de vaisseaux, symboles de l'orgueil et de l'échec des hommes...
Je restai seul pendant trente ans, me transformant lentement en animal, me dépouillant de mon humanité. La fureur qui m'habitait m'empêchait de plonger en moi-même, de me réfugier dans les profondeurs apaisées de l'âme. Sans doute espérais-je inconsciemment que le néant m'avalerait et mettrait un terme à mes tourments. Rien de tel ne se produisit : l'astre mort, que j'avais baptisé Arratan par une sorte de remords tardif, refusait de se laisser happer par le vide. J'étais alors bien loin de deviner les raisons de cet inexplicable phénomène...
Sri Hampra
(« seigneur Singe » en langue sadumba)