Assis en tailleur devant le buisson aux fleurs lumineuses, Jek percevait l'horrible bruit du blouf, qui, seconde après seconde, dévorait les étoiles par milliers.
Il ressentait dans sa chair même l'agonie de l'univers.
Naïa Phykit n'avait pas eu le temps de lui apprendre à voyager sur ses pensées. Il n'était pas un guerrier du silence, et devant la catastrophe il se sentait terriblement impuissant. Artrarak n'avait pas prévu que le blouf réussirait à neutraliser les êtres de légende qui portaient les derniers espoirs des humanités.
Il n'avait pas eu le temps de faire connaissance avec Yelle.
C'était une petite peste, mais il était amoureux d'elle. Pourquoi le monstre l'avait-il cryogénisée ? Que voulaient-ils faire de son petit corps gelé, là-bas, sur Syracusa ? Il aurait tant voulu voler à son secours, comme un chevalier de l'espace, mais il ne disposait d'aucun moyen de transport. Pas même de ses pensées...
L'aube se levait et la nuit battait en retraite, semant des traînes d'obscurité dans son sillage. Bientôt, il n'y aurait ni jour ni nuit. Rien d'autre que le vide. Le fruit sec qu'il grignotait du bout des dents avait un goût amer.
Soudain, un rayon d'une clarté aveuglante se détacha de la voûte céleste et se posa sur le buisson. Le soleil, pourtant, n'avait pas encore paru. Jek leva la tête et aperçut une silhouette auréolée de lumière qui marchait sur le rayon. Lorsque ses yeux se furent accoutumés à la luminosité, il distingua un homme aux cheveux bruns et ondulés, vêtu d'une tunique brillante à demi déchirée, d'un pantalon bouffant noir et de sandales. Le petit Anjorien crut d'abord qu'un dieu en haillons descendait du ciel pour lui rendre visite.
Le dieu s'immobilisa deux mètres au-dessus du sol. Il semblait s'être perché sur le buisson. La lumière n'était pas extérieure à lui, mais jaillissait de lui.
« Bonjour. Je suis Shari Rampouline. »
Le cœur de Jek s'emballa.
« Le mahdi des Hymlyas ?
— Tu es seul ici ? Où est ma mère Aphykit ? Où est son enfant que je ne connais pas ? Où sont les pèlerins ? »
Le petit Anjorien se releva et, à coup de phrases heurtées et de mots hésitants, lui raconta ce qu'il était advenu d'Aphykit, de Yelle et de ses deux amis jersalémines.
« Et Sri Lumpa est parti affronter le blouf... », conclut-il.
Shari descendit jusqu'au sol, sortit du rayon lumineux, s'avança vers lui et lui posa la main sur le crâne. Une chaleur intense se diffusa dans tout son corps.
« Ils ne sont pas morts, c'est l'essentiel. Je vais t'apprendre à voyager sur les pensées et nous irons les délivrer... Mais avant, je t'emmènerai voir ma douce Oniki et mon enfant sur la planète Ephren. Je n'ai pas encore eu l'occasion de les embrasser... Leur aide m'a été précieuse pour entrer dans le temple de lumière. L'Hyponéros, celui que tu appelles le blouf, est encore plus terrible que tu ne crois. Il ne mange pas seulement les étoiles, il ronge la conscience même des hommes qui les créent. Quant à Sri Lumpa, mon père Tixu, je sais quel terrible sacrifice les humanités ont exigé de lui. Je l'ai lu dans les annales inddiques... Elles sont d'une incroyable beauté. Je t'emmènerai un jour les contempler... Comment t'appelles-tu ?
— Jek... Jek At-Skin...
— Eh bien, Jek At-Skin, que dirais-tu de commencer ton apprentissage tout de suite ? »
Les larmes qui coulaient des yeux de Jek étaient maintenant des larmes de joie.