Les lointaines montagnes du Grand Erg Brûlé se découpaient sur la clarté blafarde de Salom dont l'œil globuleux se plissait à l'horizon. Quelques étoiles pâlissantes se partageaient les îlots de ciel encore cernés par la nuit.
Allongée sur la banquette du personnair et recouverte de la veste du françao, la Syracusaine dormait. Ses traits s'étaient enfin apaisés. Accroupi près de la banquette, Tixu, à la fois anxieux et heureux, guettait sur son visage les signes avant-coureurs d'une reprise de la fièvre ou d'une nouvelle crise de délire. Il éprouvait le sentiment du collectionneur jaloux de l'œuvre d'art qu'il vient d'arracher de haute lutte à des rivaux acharnés : il n'avait pas envie de partager la beauté miraculeuse de la jeune femme, abandonnée dans son sommeil, avec les gardes dont les regards se posaient sur elle avec un peu trop d'insistance à son goût. Ces instants dérobés à la nuit lui appartenaient.
Après qu'il eut survolé un ensemble de constructions aux terrasses plates et étagées, l'appareil amorça sa descente au-dessus d'une immense surface métallique et plane. Tixu jeta un coup d'œil par le fuselage transparent et reconnut le toit de la base souterraine des françaos de la Camorre.
Bilo Maïtrelly surveillait les manœuvres d'atterrissage par le hublot de la cabine de pilotage. Les lumières clignotantes du tableau de bord jouaient dans la chevelure crépue et enflammée de Zorthias, concentré sur l'écran-bulle de paramétrage. Dans un grondement sourd, le personnair se stabilisa à cinq mètres du toit, à la perpendiculaire des vantaux d'ouverture soulignés par des linéaments sombres.
Le Prouge entra rapidement les coordonnées d'accès : or un petit clavier, mais contrairement à son attente. es panneaux ne coulissèrent pas.
« Qu'est-ce qui se passe ? maugréa-t-il en secouant sa gnasse de feu. Cette saloperie refuse de s'ouvrir !
— Essaie encore ! » ordonna sèchement le françao.
Le rugissement des moteurs stabilisateurs du personnair meurtrissait la nuit agonisante. Zorthias pianota plusieurs fois de suite sur les touches, secoua la console comme un damné puis, voyant que c'était inutile, se frappa rageusement les cuisses.
« Rien à faire ! Elle ne s'ouvrira pas ! Cette saloperie a bien choisi son moment pour nous lâcher !
— Ça ne lui ressemble pas ! » murmura Bilo Maïtrelly d'un air sombre.
Il sortit sa lunette nyctaloptique de son étui et la braqua sur la surface métallique. Il vit alors de minuscules débris éparpillés autour d'un boîtier-relais dissimulé dans l'une des charnières des vantaux.
« Remonte ! Remonte ! Ce n'est pas une panne ! Ça pue le traquenard ! Bordel de merde, remonte ! »
Zorthias inversa les manettes et enclencha brutalement les moteurs d'extraction. Une secousse ébranla le personnair qui émit un mugissement plaintif. Les gardes, déséquilibrés, furent éjectés de la banquette et projetés sur Tixu. Les trois hommes enchevêtrés roulèrent sur le plancher instable et heurtèrent de plein fouet le bas de la cloison séparant la cabine du compartiment. Dans le choc, Tixu se mordit profondément la langue. Un flot de sang força le barrage de ses lèvres. Il jeta un rapide coup d'oeil pardessus son épaule : la Syracusaine, réveillée, ouvrait de grands yeux hagards. Elle avait roulé sur elle-même mais, dans un réflexe instinctif, elle avait agrippé le bord extérieur de la banquette et raidi son bras pour s'empêcher de tomber.
Les moteurs d'extraction peinaient pour briser l'inertie générée par le surplace. Le personnair amorça enfin son ascension dans une odeur d'air surchauffé. Au moment où il prenait un peu de vitesse, un rayon vert étincelant surgit d'un angle sombre du toit de la base, écartela la semi-obscurité et vint frapper la partie inférieure de la carlingue. Une irrespirable puanteur de matériaux carbonisés envahit l'habitacle.
« Merde ! Ce salopard a crevé la protection du mémodisque central ! hurla Zorthias.
— Ça vient de là-bas ! De notre droite ! » ajouta un garde.
Les moteurs vomirent une fumée noire, hoquetèrent puis, après un dernier et sinistre crachotement, se turent définitivement. Hors de lui, en sueur, Zorthias tira sur le levier de descente automatique.
« Dégainez vos brûlentrailles ! ordonna calmement Bilo Maïtrelly à ses gardes. Dès que vous aurez posé le pied sur le toit, je braquerai le faisceau de ma lampe laser sur ces petits plaisantins pour les aveugler et les empêcher de riposter... Tixu, tu restes à l'intérieur avec la fille ! Jusqu'à ce qu'on en ait fini avec eux ! »
Le personnair tombait au ralenti. La caresse de l'air sur le fuselage profilé produisait un léger sifflement. Le françao et Zorthias sortirent de la cabine et vinrent se poster en compagnie des deux gardes de chaque côté de la trappe coulissante qui s'ouvrait lentement. Le Prouge extirpa son petit brûlentrailles de son pagne. Les doigts de Bilo Maïtrelly enserraient un tube de durai terminé par un œil rond et vitreux. Le sol n'en finissait pas de se rapprocher. La tension nerveuse était d'autant plus grande qu'ils ignoraient tout de leurs adversaires, le nombre, la disposition, la puissance de feu...
Une chose était sûre : ils voulaient la fille, vivante ou morte. Elle ne s'était pas rendormie. Elle geignait doucement, yeux mi-clos, pâle, main crispée sur le bord de la banquette. Tixu eut soudain peur de la perdre. Il lui saisit le poignet comme s'il voulait se river à elle pour l'éternité. Il perçut la palpitation ténue de ses veines sous sa peau douce et brûlante. Il perçut également le battement accéléré de son propre cœur. Les yeux bleu, vert et or de la Syracusaine se posèrent sur lui comme des papillons ivres.
Un second rayon vert se ficha dans le flanc de la coque qu'il transperça aussi facilement qu'un vulgaire tissu. Il traversa le compartiment sans toucher personne, griffa la nuit d'une lueur intense, menaçante, et ressortit de l'autre côté, n'abandonnant dans son sillage que deux trous ronds et symétriques aux circonférences noires et crépitantes.
« Mieux vaut ne pas prendre ce truc dans la tête ! » murmura Bilo Maïtrelly.
Le françao se tourna vers Tixu, comme si un sombre pressentiment s'emparait de lui :
« Tu trouveras un déremat au troisième étage de Sar Bilo. Le code d'accès au salon des transferts est : Vieil-ange. C'est la contraction des deux mots "Vieulinn" et "Orange"... Connerie de nostalgie... Tu te souviendras ? Vieil-ange... N'oublie pas le trait d'union. Pour le reste, tu te débrouilleras. Tu es un spécialiste des transferts, non ?
— Mais pourquoi est-ce que vous... ? bredouilla Tixu, alarmé par le masque de gravité et de tristesse tombé sur les traits du françao.
— Heureux de t'avoir connu, fils... », répondit simplement Maïtrelly.
Un dernier clin d'œil amical à l'attention de son complanétaire, puis il se détourna brusquement pour masquer l'émotion que risquait de trahir son regard légèrement embué.
Grâce à son bouclier d'air, le personnair se posa en douceur et sans bruit sur le sol métallique.
« Maintenant ! » chuchota le françao.
Ils se ruèrent dans un ensemble parfait sur le toit de la base, les deux gardes sur la gauche de l'appareil, Maïtrelly et Zorthias sur la droite. Le faisceau blanc de la lampe laser fouilla fébrilement l'obscurité, heurta l'angle formé par l'extrémité de la surface métallique et le mur d'un immeuble mitoyen, repartit aussitôt dans l'autre sens. Lorsqu'il localisa enfin un groupe d'agresseurs, quatre hommes aux uniformes gris masqués de blanc et une silhouette immobile enfouie dans un ample vêtement vert, ni les gardes ni Zorthias n'eurent le temps de presser la détente de leur brûlentrailles : des disques sifflants, surgis d'un repli de la nuit, leur tranchèrent la gorge. Il y eut d'abord le bruit mat de la chute des corps sur la surface métallique, puis le froissement de l'acier sur les chairs et les os et le gargouillement du sang.
Tixu qui avait observé la scène depuis le ventre du personnair se serra contre la Syracusaine et cria au françao :
« Venez vous abriter à l'intérieur ! »
C'était stupide : les rayons verts se jouaient de la résistance des matériaux de la coque mais aucune autre idée ne lui vint à l'esprit.
Maïtrelly jeta la lampe laser, se saisit du brûlentrailles ensanglanté de Zorthias dont la tête exsangue se détachait peu à peu de son tronc et recula en lâchant quelques rafales. Ils n'avaient pas eu l'ombre d'une chance. Il se souvint des paroles de Tixu, la veille, lors du repas dans le salon de Sar Bilo : Contre eux, vous ne pourrez rien faire, ils devineront toutes vos intentions... Un disque lui cisailla le creux de l'épaule. Ses jambes flageolèrent et il tomba à genoux. Malgré les pétales vénéneux et glacés de la douleur qui se déployaient en lui, l'instinct de survie le poussa à se relever. Il fit encore quelques pas, tituba, sa bouche vomit un flot de paroles et de sang :
« Tixu ! Tixu Oty!... Vis ! Vis pour moi!... Pour Orange ! »
Un deuxième disque lui perfora la base du crâne et ressortit, luisant et empourpré, au ras de sa pomme d'Adam. Sa tête n'était plus reliée au cou que par des lambeaux de chair sanguinolente. Il buta contre le cadavre décapité de Zorthias, son seul ami et confident depuis la mort de Sif Kérouiq, et bascula à la renverse. Il ne reverrait jamais Vieulinn la Verte, sa belle province d'Orange, mais son interminable et douloureux exil venait de prendre fin.
Paniqué, horrifié, Tixu se vit perdu, seul et désarmé face à cette redoutable petite troupe. La Syracusaine laissait échapper des sons incompréhensibles, des bribes de phrases incohérentes qui retentissaient comme des appels dans le silence de mort tombé sur le toit de la base. Il posa la main sur ses lèvres pour la réduire au silence. Une précaution inutile : c'était elle qu'ils voulaient, et la créature habillée de vert, forte de son extraordinaire potentiel télépathique, savait qu'elle était a bord. Le souffle tiède et précipité de la jeune femme caressait sa paume. Leurs deux visages n'étaient qu'à dix centimètres l'un de l'autre. Il eut envie de l'étreindre, de l'embrasser, d'écraser ses lèvres sur ses paupières, sur ses joues, sur son cou. Ils allaient mourir, et elle, tout contre lui, ne se rendait compte de rien, ne le •voyait même pas.
Les hommes masqués de blanc longeaient maintenant le personnair. Ils ne cherchaient pas à étouffer le claquement de leurs chaussures sur le toit métallique.
Le rectum de Tixu se contracta. Il eut l'impression rue les contenus de sa vessie et de ses entrailles allaient se répandre dans son pantalon empoissé de sueur. Il se sentait terriblement impuissant, incapable d'infléchir le : ours du destin. Le dieu Lézard était venu à son secours sur les dunes de Rajiatha-Na, mais à présent il ne se manifestait plus, il l'abandonnait à son sort. Pourquoi n'avoir permis de la sauver si c'est pour me la reprendre aussitôt ? Est-ce que ça aussi, ce n'est pas monstrueux ?...
Il entendit le frôlement de leurs épaules sur le flanc rebondi de l'appareil. La jeune femme gémissait en sourdine, ses tremblements faisaient onduler la veste chinée du françao.
Une tache claire se découpa dans l'ovale de la trappe. Un masque, une combinaison grise... Au travers des étroites fentes oculaires luisaient des braises maléfiques. Deux lignes sombres et parallèles sillonnaient l’avant-bras sous une manche relevée de la combinaison : le rail d'un lance-disques.
Une cascade de pensées échevelées, dérisoires, futiles, de visions absurdes, incongrues, submergea l'esprit de Tixu. Il aurait fallu frapper l'intrus, qui prenait appui sur le bord de la trappe pour se hisser à l'intérieur du compartiment, charger la Syracusaine sur ses épaules, fuir, tenter quelque chose. Mais ses muscles paralysés refusaient de lui obéir. Il essaya désespérément de se remémorer les paroles de Kacho Marum... La force, 1 invincibilité... Des rigoles de sueur glacée rampaient le long de sa colonne vertébrale. Une brume tourbillonnante, triste et sale, noyait son cerveau.
L'homme masqué de blanc se reçut souplement sur le plancher, se releva et tendit le bras vers Tixu, qui pressa la main de la Syracusaine, fiévreuse et inconsciente, et lui jeta un dernier regard lourd de regrets. Il partait rejoindre son complanétaire Bilo Maïtrelly dans les mondes de l'au-delà. Les deux Orangiens s'étaient rencontrés la veille dans de curieuses circonstances, ils allaient être tués tous les deux sur Point-Rouge la nuit même où leur planète fêtait ses vingt siècles d'indépendance. Pour une Syracusaine qu'il ne connaîtrait jamais... Etrange caprice du destin...
Il ferma les yeux et ressentit instantanément un sentiment de soulagement. C'était comme s'il lâchait d'un seul coup toutes les prises, comme si plus rien n'avait d'importance. Un sifflement prolongé retentit au-dessus de sa tête. Il attendit l'impact du disque sur sa gorge. Quelques secondes plus tard, étonné d'être toujours en vie, il entrouvrit les paupières. Le tueur avait disparu ! La jeune femme était toujours là, allongée sur la banquette... Vivante elle aussi !
Tixu se demanda s'il ne rêvait pas. Puis il entrevit des mouvements confus au travers des parois du personnair et s'enhardit à ramper jusqu'à la trappe coulissante.
Les tueurs aux masques blancs s'étaient regroupés quelques mètres plus loin autour de l'homme au large capuchon vert. Les souples ventouses d'atterrissage d'un taxiboule, qui volait tous feux éteints, effleuraient le toit du personnair. Un rayon vert fusa et percuta la bulle de pilotage du petit appareil, y creusant un trou de la grosseur d'un poing.
Les lamelles en rideau d'une écoutille s'ouvrirent sous le ventre du taxiboule et deux hommes dégringolèrent sur le toit du personnair. La bulle aérienne, légère et maniable, reprit instantanément de l'altitude dans un miaulement rageur et se fondit dans les vestiges de la nuit prise d'assaut par les prémices blafardes de Feu Vert.
Des coups sourds ébranlèrent soudain la carlingue du personnair. Tixu releva la tête et observa les deux hommes qui dansaient un étrange ballet au-dessus de lui. Leurs jambes et leurs genoux écartés donnaient la curieuse sensation qu'ils étaient assis sur le vide. Ils étaient vêtus de sortes de combinaisons de toile grossière, l'une grise et l'autre couleur bronze, composées d'une veste large, liée sur le côté par une cordelette, et d'un pantalon bouffant. Le plus âgé des deux portait en outre une courte surveste bleue et un bonnet de coton blanc.
L'Orangien comprit qu'ils s'affairaient à esquiver, avec une virtuosité stupéfiante, les disques tournoyants décochés par les tueurs aux masques blancs. Lorsqu'ils ne parvenaient pas à les esquiver assez rapidement, ils les bloquaient d'une parade du poignet. Et, ce n'était pas le moins surprenant, les disques ricochaient sur leurs poignets dépourvus de toute protection et n'y laissaient pas une seule égratignure ! Déviés de leur trajectoire, ils ricochaient violemment sur le métal du toit dans un crissement de tôle froissée et soulevaient des gerbes d'étincelles.
En même temps qu'ils s'employaient à parer les disques tueurs, les deux hommes poussaient de longs cris suraigus, à la limite de l'audible. Tixu devina qu'ils se servaient de leur voix exactement comme d'une arme. Les tueurs aux masques blancs s'affaissèrent les uns après les autres. La poire à rayon vert et des dizaines de disques scintillants libérés de leur étui dorsal s'éparpillèrent sur le toit de la base.
Restée seule, l'énigmatique silhouette verte n'esquissa pas la moindre tentative de fuite. Deux soleils aunes chargés d'énergie brillaient dans la pénombre de son capuchon.
Le chevalier Long-Shu Pae se concentra longuement sur le Xui. Il pressentait qu'il n'avait pas affaire à un adversaire ordinaire. Un Scaythe d'Hyponéros, probablement... Il avait l'impression de se trouver au bord d'un gouffre insondable.
« Chevalier ! Je vous demande de me le laisser ! rugit
Filp Asmussa. Je vous rappelle qu'il s'agit de ma mission!... Ma mission ! »
Cette appropriation était déplacée, ridicule, indécente même. L'orgueil entraînait le guerrier à commettre de graves imprudences, mais Long-Shu Pae préféra ne pas insister. Le Xui était si subtil, si volatile qu'il pouvait s'évanouir au moindre souffle de contrariété. Il hocha la tête et se tint prêt à intervenir au premier signe de faiblesse de son cadet.
Filp Asmussa injecta toute la puissance de son mental dans son cri de mort. De violentes convulsions secouèrent la silhouette verte. Le son, une sorte de ululement provenant du bas-ventre et non de la gorge, s'amplifia, s'acharna sur elle. Elle plia mais ne rompit pas. Une sueur abondante perlait sur le front plissé du guerrier que la résistance de son adversaire commençait à fatiguer.
Long-Shu Pae vit que Filp Asmussa était en difficulté. Il descendit mentalement dans le lac du Xui, au point de convergence des énergies vitales.
Mais il n'eut pas besoin d'entrouvrir la bouche et de libérer son propre cri : la silhouette fléchit enfin et s'effondra de tout son long sur le sol métallique, au milieu des masques blancs, des uniformes gris et des disques dispersés. Epuisé mais soulagé, Filp Asmussa arbora un petit air de triomphe que Long-Shu Pae jugea quelque peu puéril.
Le chevalier s'engouffra dans le compartiment du personnair et dévisagea Tixu, ensanglanté, abasourdi, qui eut toutes les peines de l'univers à contenir la force pénétrante de ce regard pourtant éteint, mort, comme absent du visage anguleux.
« La fille ? demanda le chevalier d'une voix sèche.
— Elle est là, répondit Tixu en désignant la banquette.
— Vivante ? »
Ses questions étaient des coups de fouet secs et précis. L'Orangien se redressa péniblement et essuya machinalement, d'un revers de manche, le sang coagulé sur ses lèvres et son menton. Sa blessure à la langue lui élançait et rendait son élocution difficile.
« Oui... mais mal en point... A cause de la fièvre, du virus... Qui... qui êtes-vous ?
— Peu importe ! répliqua Long-Shu Pae. Ce que nous voulons, c'est récupérer la fille. Rassurez-vous : ce n'est pas pour la vendre ! Nous avons seulement besoin de certaines de ses connaissances... »
Filp Asmussa fit alors son entrée. La sueur plaquait ses cheveux noirs et bouclés sur ses tempes et son front. Ses yeux de jais, agrandis par la fatigue d'une nuit sans sommeil et surtout par la violence du combat mental livré contre l'homme à l'acaba verte, brillaient de satisfaction. Un bel homme ! se dit Tixu. Et un homme dont les gestes racés trahissaient les origines nobles. Quelqu'un de la même catégorie sociale que la Syracusaine. Lui, elle le regarderait peut-être...
« Vous voyez, guerrier ! La jeune femme est là, bien vivante ! s'exclama Long-Shu Pae. Ils se sont tous entretués pour l'avoir. Ils ont coupé eux-mêmes les mauvaises herbes et il ne nous reste plus qu'à la cueillir comme une fleur !
— Si ce sont des congratulations que vous recherchez, chevalier, je vous les accorde ! » lâcha Filp Asmussa d'un ton méprisant.
L'animosité qui régnait entre les deux hommes n'échappa pas à Tixu qui avait compris, aux titres qu'ils se donnaient, qu'ils appartenaient à l'Ordre absourate. Comme tout natif des mondes affiliés à la Confédération de Naflin, il avait entendu maintes fois vanter les mérites et chanter les louanges de l'Ordre. Sur Orange par exemple, l'histoire — magnifiée — de la chevalerie absourate avait été intégrée depuis trois siècles standard aux programmes scolaires. Voilà en tout cas qui expliquait l'efficacité meurtrière de leur intervention.
« Il est bien loin le temps où je recherchais les félicitations, guerrier ! déclara Long-Shu Pae. Je vous ferai simplement remarquer que vous n'étiez pas d'accord avec mon plan. Et pour clore le chapitre des félicitations, je ne vous en décernerai pas pour la qualité de votre prestation ! Votre cri de mort a perdu de son unité contre votre dernier adversaire : imaginez qu'il ait été armé et tirez-en vous-même les conséquences...
— Je l'ai vaincu, c'est l'essentiel ! se défendit Filp Asmussa, mortifié.
— L'essentiel est de ne pas trahir le Xui ! »
L'air songeur, le guerrier se frotta vigoureusement la joue.
« Sans vouloir me justifier à tout prix, ce... cet homme ne possédait pas un mental ordinaire... J'avoue qu'il m'a déstabilisé... Mon cri s'est peu à peu émoussé, comme si... comme s'il se perdait dans le vide. Un vide immense, bien plus grand en tout cas que mon lac de Xui... J'ai même été surpris de le voir tomber. Je n'ai eu aucune de mes sensations habituelles...
— Je ne vous blâme pas, dit Long-Shu Pae. Je veux seulement vous montrer qu'il est parfois bon de tenir compte des conseils de personnes plus expérimentées que vous... Mais nous ne sommes pas encore tirés d'affaire : la boutique de Kraouphas a été mise à sac pendant la nuit. L'une de mes mouches nous en a avertis par l'ondephone du taxiboule. Le déremat-relais de l'Ordre a été détruit...
— Vous ne connaissez pas quelqu'un qui soit susceptible de vous en prêter un ?
— Eh non ! » répondit le chevalier en haussant les épaules.
Tixu sortit du mutisme où l'avaient confiné les deux hommes, qui se comportaient exactement comme s'il n'était pas là.
« Moi, j'en connais un ! » avança-t-il timidement.
Le chevalier et le guerrier se tournèrent vers lui.
« Vous ? » s'exclama Long-Shu Pae.
Filp Asmussa parut brusquement prendre conscience de la présence de l'Orangien.
« Qui êtes-vous ? lâcha-t-il d'un ton rogue, presque menaçant.
-Tixu Oty, d'Orange. Je... j'étais un complanétaire et ami du françao Maïtrelly. Avant de mourir, il m'a donné le code d'accès à son déremat personnel...
— Comment se fait-il que vous connaissiez cette fille ?
Et comment avez-vous appris qu'elle était poursuivie par les assassins de Pritiv ? demanda Long-Shu Pae.
— C'est simple : c'est moi qui lui ai permis de passer de Deux-Saisons sur Point-Rouge, répondit Tixu. Et par la suite, j'ai eu affaire à ses poursuivants... Et... euh... une curieuse expérience m'a fait prendre conscience de la... grande importance de sa vie... Pour l'univers... et pour moi...
— Ce que vous racontez là m'a tout l'air de sornettes ! » aboya Filp Asmussa, irrité.
Une attitude pleine de défiance, la même que lorsqu'il s'était retrouvé pour la première fois devant le chevalier.
« On ne vous apprend plus à reconnaître l'accent de la vérité, au monastère ? cracha Long-Shu Pae d'une voix acide. Cessez donc de soupçonner tout le monde : personne ne songe à vous dérober votre précieuse vérité, guerrier ! »
Excédé par la remontrance du chevalier, proférée qui plus est devant un individu étranger à l'Ordre, Filp Asmussa se détourna avec brusquerie et se pencha sur Aphykit dont les gémissements s'étaient interrompus et qui s'était rendormie d'un sommeil en apparence paisible.
« Elle est encore plus belle de près que de loin ! » ne put s'empêcher de soupirer le guerrier en contemplant le visage de la jeune femme.
Bien qu'elle fût prononcée à mi-voix, Tixu perçut très nettement cette petite phrase. Une griffe amère de jalousie se planta dans son ventre. Il se sentait en position d'infériorité vis-à-vis du guerrier dont il n'avait ni la force ni la prestance. Il était de nouveau le pauvre mortel, le Tixu raté de Deux-Saisons qui noyait sa misère dans le mumbë.
« Pouvez-vous nous conduire au transféreur de cellules du françao ? demanda le chevalier d'une voix douce.
— Le personnair est hors d'usage... »
Tixu regrettait d'avoir parlé du déremat de Bilo Maïtrelly. Même si la Syracusaine était capitale pour l'Ordre et la Confédération, il ne pouvait se résoudre à la laisser sortir de sa vie. C'était un sentiment irraisonné, purement égoïste, voire mesquin, mais c'était le seul qu'il fût capable d'éprouver en cet instant précis. En un peu plus d'une journée standard mouvementée, elle avait pris une telle place dans sa vie que l'abîme creusé par une nouvelle séparation serait impossible à combler.
« Allons voir si le taxiboule n'est pas trop endommagé ! » dit le chevalier.
Joignant le geste à la parole, il se glissa par la trappe du personnair. Une fois dehors, il extirpa un lumicode d'une poche intérieure de sa bure et envoya des signaux à l'intention du taxiboule suspendu dans la clarté livide de l'aube.
Quelques minutes plus tard, l'appareil se posa sans encombre sur le toit de la base. Kraouphas en descendit par la portière bombée de la cabine de pilotage. Ses yeux s'agrandirent d'effroi à la vue des cadavres décapités jonchant le sol métallique.
« Tout va bien, chevalier ? » demanda-t-il d'un ton inquiet.
Un sourire se dessina sur les lèvres aiguisées de Long-Shu Pae. Précieux Kraouphas, dont l'éternelle expression d'épouvante dissimulait un courage indomptable !
« Nous allons embarquer dans le taxiboule. Est-ce qu'il est en état de supporter une charge de cinq personnes ?
— Ce maudit rayon l'a bien un peu secoué, mais il devrait tenir le coup... », répondit Kraouphas dont le regard venait sans cesse échouer sur la tête cireuse d'un autre Prouge : elle nageait dans une mare de sang noir qui venait lécher et teinter de pourpre les semelles de ses sandales. L'un des siens avait encore perdu la vie, cette nuit. Il songea qu'avant tout ça, avant la Confédération, avant le débarquement des raskattas, Point-Rouge avait dû être une petite planète paisible.
« Guerrier, nous embarquons ! Occupez-vous de la fille ! » ordonna Long-Shu Pae.
Ils s'entassèrent tant bien que mal dans l'habitacle exigu de la bulle aérienne. Tixu vit que le guerrier ne laissait à personne d'autre le soin de surveiller la jeune femme, qu'il maintenait contre lui d'un bras ferme et puissant. Le taxiboule décolla et gagna rapidement de la hauteur. L'Orangien embrassa du regard le toit de la base, s'arrêta sur le corps à demi décapité de Bilo Maïtrelly. Il eut un goût d'amertume dans la gorge. Il n'avait connu Bilo que l'espace de quelques heures, c'était un françao de la Camorre, un raskatta, un trafiquant, un criminel, mais Tixu quittait pour toujours un ami, un frère de combat, un père de fortune. Ses yeux larmoyèrent, une immense fatigue l'envahit, sa tête dodelina doucement contre la coque transparente.
Les éclaireurs de l'aube assiégeaient les recoins de ténèbres. Les étoiles s'éteignaient une à une comme soufflées par une invisible bouche. Une lumière verdâtre s'étirait paresseusement à l'horizon, ourlait les crêtes brisées des constructions, le mur crénelé de Matana.
« Bientôt l'entrée de Feu Vert dans le ciel, murmura Long-Shu Pae. J'espère que nous arriverons à la demeure de Métareily avant que les hommes de main de la Camorre ne découvrent son cadavre... »
Les rues des quartiers interdits s'animaient progressivement. Des passants, délogés sans ménagement des maisons de plaisir où ils avaient eu la mauvaise fortune de s'endormir, rasaient furtivement les murs, enveloppés dans des capes anonymes. Des maraudeurs, des mordus de poudre et autres miséreux fouillaient fébrilement les poubelles autosuspendues dans l'espoir d'y dénicher des restes de nourriture qui calmeraient leur fringale matinale. Des prostituées vêtues de voiles transparents ou de combinaisons ajourées désertaient par petits groupes leurs lieux de travail et semaient dans le petit matin des bouquets fanés de rires las. Les robotomates de nettoyage quadrillaient les ruelles, les venelles, leurs tentacules souples aspiraient sans relâche les détritus jonchant les trottoirs.
Ils se posèrent silencieusement sur l'herbe brûlée du parc dont le jour naissant révélait les reliefs. Sar Bilo était engourdie, mais à peine le taxiboule s'était-il immobilisé que des grondements furieux retentirent et qu'une énorme chienlionne surgit d'un bosquet. Elle se précipita sur l'appareil autour duquel elle rôda en montrant les crocs. Des microparaboles captrices étaient greffées sur ses oreilles. Trois gardes en uniforme jaune sortirent à leur tour d'un bunker à demi enterré enfoui sous un épais buisson épineux. Deux d'entre eux étaient armés d'un brûlentrailles et le troisième, un maître-chienlion, brandissait une commande à reconnaissance vocale.
« Je vais voir... Attendez que je vous fasse signe ! » dit Tixu au chevalier.
Long-Shu Pae hocha la tête.
Les lamelles en rideau s'écartèrent silencieusement. L'Orangien se glissa dans l'écoutille ventrale, contourna, accroupi, une ventouse d'atterrissage et émergea du côté des gardes. La chienlionne vint immédiatement lui renifler les mollets. Elle faisait bien un mètre dix au garrot. Elle grognait et ses babines noires se retroussaient sur des crocs de plus de dix centimètres de long.
Lorsqu'ils virent Tixu, les traits des gardes, fatigués par leur nuit de veille, se détendirent.
« Ah, c'est vous ! On a eu peur que ce soit des hommes de Glaktus... Où ça en est là-bas, à Rajiatha-Na ? »
Le maître-chienlion lança des ordres brefs et gutturaux dans la commande à reconnaissance vocale. La chienlionne gémit et s'éloigna de Tixu.
« C'est fini. Nous avons récupéré la fille, répondit l'Orangien.
— Le françao n'est pas avec vous ?
— Non... Il est reparti avec Zorthias au siège de la Camorre... Une réunion urgente... »
Le maître-chienlion jeta un regard inquisiteur à l'intérieur du taxiboule.
« Ces gens nous ont aidés, ajouta rapidement Tixu. Le françao m'a chargé de les emmener à Sar Bilo en attendant son retour... »
Le garde bâilla à s'en décrocher la mâchoire. Ses deux compères avaient déjà rengainé leur brûlentrailles.
« Bon, allez-y ! Je ne vous montre pas le chemin, vous le connaissez aussi bien que moi. Ne faites pas attention aux bulles à visée optique... Je vais prévenir le permanent aux écrans de contrôle de votre arrivée.
— Merci... »
Le maître-chienlion lâcha une nouvelle bordée d'ordres dans le boîtier. La queue basse, le fauve se faufila dans le bosquet. Les trois gardes s'en retournèrent d'un pas tranquille vers leur bunker. Tixu entendit encore la voix lasse du maître-chienlion avant qu'ils ne soient totalement happés par le buisson :
« Va falloir que j'organise une chasse aux traîne-culs, une de ces nuits... Elle s'ennuie, cette bête... Il lui faut de l'action et du sang frais... »
Au travers de la bulle de pilotage, Kraouphas salua la petite troupe d'un geste de la main. Le taxiboule décolla et ne fut bientôt plus qu'un point brillant à l'horizon.
Tixu, Long-Shu Pae et Filp Asmussa, qui portait Aphykit, se dirigèrent vers la maison. Le crépi blanc et rose de la façade, les colonnades de l'entrée, les baies vitrées encadrées de bois cérusé et le toit de tuiles blanches étaient de pur style vieulinnois. Ils rappelaient à Tixu la maison de son oncle : même type de construction, mêmes couleurs, même harmonie. Pour autant qu'il s'en souvenait, la seule différence résidait dans la taille, la maison de son oncle n'étant qu'un modèle réduit de Sar Bilo, immense bâtisse de trois étages pourvue de nombreuses dépendances. En la voyant se-profiler entre les cimes des cipreniers verts, il respirait de nouveau les parfums de son enfance, les senteurs des jardins d'Orange, les odeurs sucrées et enivrantes des fliottes, fleurs mauves déployant leurs pétales au petit jour, des marguelles, fruits à l'incomparable saveur, des chênepins, arbres dont la résine poivrée embaumait les rues et les places de Phaucille. Ils ne rencontrèrent pas âme qui vive. Comme le maître-chienlion le leur avait annoncé, une nuée de bulles grésillantes, opaques et munies de micro-objectifs, les survola et les accompagna jusqu'aux colonnades de l'entrée.
La Syracusaine laissait échapper de longs gémissements. Alors qu'ils gravissaient l'escalier du perron, elle fut saisie d'une brusque crise de fièvre, se débattit et déséquilibra Filp Asmussa. D'une main le guerrier parvint à la maintenir contre lui et, de l'autre, il évita la chute en se rattrapant à la rampe de marbre blanc.
Long-Shu Pae observait à la dérobée le jeune Orangien qui marchait à ses côtés : le sang séché sur sa tunique de coton blanc montrait qu'il avait pris activement part à la bataille du désert. Il remarquait également qu'une ombre de jalousie passait sur son visage à chaque fois qu'il se retournait en direction du guerrier et de la jeune femme. Une intuition forte, claire, traversa l'esprit du chevalier : ce jeune homme, l'envoyé du destin, le grain de sable, avait un rôle capital à jouer dans la suite des événements. Un rôle dont il était à mille années-lumière de saisir l'importance. Pourtant, à le voir ainsi en proie à de mesquins sentiments d'envie, de jalousie, rien ne laissait supposer qu'il occupât une telle place dans l'avenir de l'humanité. Le sort des races humaines et mutantes des mondes recensés reposait en grande partie sur un homme sans envergure, fragile, gouverné par ses seules émotions!... Mais qui était-il pour juger, lui, Long-Shu Pae ? N'avait-il pas lui-même failli en refusant d'affronter les expériences auxquelles l'avait convié son âme ?...
Prévenu par le maître-chienlion, le permanent aux postes de contrôle avait déjà déclenché l'ouverture de la porte d'entrée. Un ordre méticuleux régnait dans le grand salon du rez-de-chaussée : banquettes-air soigneusement enroulées sur elles-mêmes, tentures-eau parcimonieusement éclairées par des veilleuses et où se devinaient les arabesques silencieuses et incessantes des poissons aux nageoires phosphorescentes, tapis de Jausnille parfaitement ajustés dans leur écrin de bois précieux, tables et chaises recouvertes de housses transparentes... Plus une trace du banquet de la veille.
Ils se rendirent au fond du salon et empruntèrent l'escalier qui montait à la mezzanine centrale du premier étage. Filp Asmussa posa sa main sur la bouche de la Syracusaine pour étouffer ses gémissements. Elle avait de nouveau ouvert les yeux. Dans ses iris chatoyants se lisait une stupeur hébétée, entrecoupée de brefs accès de lucidité pendant lesquels elle cherchait visiblement à savoir à qui appartenait cette main qui la bâillonnait et ce bras qui la portait.
Au premier étage, attirées par le bruit, les deux sœurs du Troisième Anneau, celles-là mêmes qui avaient massé Tixu quelques heures plus tôt, sortirent d'une chambre et vinrent à leur rencontre. Elles avaient troqué leurs carrés de tissu échancrés contre de longues tuniques de nuit bleu et or sur lesquelles tombaient leurs chevelures noires et lisses. Elles adressèrent un large sourire à Tixu, un sourire plus timide à Filp Asmussa elles avaient instantanément reconnu le troisième fils de Dons Asmussa, seigneur de Sbarao et des Anneaux, qu'elles avaient vu à de nombreuses reprises dans des 7 missions de bullovision consacrées à la famille régnante — et s'en retournèrent comme elles étaient venues, ombres de nuit légères, discrètes et silencieuses.
Il fallut longtemps à Tixu et à Long-Shu Pae pour localiser le troisième étage : ce que Bilo Maïtrelly avait appelé troisième étage, lors de son ultime conversation avec Tixu, n'était en fait qu'un minuscule réduit situé dans les combles auquel on accédait par une plateforme gravitationnelle. Pendant qu'elle s'élevait dans un chuintement assourdi, la Syracusaine prit la main de Filp Asmussa et l'éloigna de sa bouche. Il lui retourna son plus beau sourire — et Dieu sait qu'il avait le sourire avantageux ! —, ce qui eut pour effet immédiat d'accentuer le dépit et la détresse de Tixu.
La plateforme se stabilisa devant une massive porte métallique. Les touches lumineuses d'une console brillaient à l'intérieur d'une niche murale. La jeune femme était désormais complètement revenue à elle. Blottie dans les bras du guerrier, elle suivait avec une attention soutenue le déroulement des opérations. De longs frissons parcouraient son corps enveloppé dans la veste chinée du françao. Ses yeux, soulignés de profonds cernes violacés, s'égaraient de temps à autre sur Tixu.
La mort dans l'âme, l'Orangien saisit le code secret au salon sur le clavier : Vieil-ange. Il entendit encore la voix faussement sévère du françao : « Vieil-ange, comme Vieulinn et Orange... N'oublie pas le trait d'union... Vous êtes mort pour rien, françao Maïtrelly, je vais perdre... Elle était une passagère et lui un employé, u technicien du transfert, celui qui ne servait qu'à fraye les routes de l'espace et du temps... Pour la deuxième fois en deux jours, sur deux mondes différents... C'était une fatalité.
La porte blindée pivota lentement sur ses gonds. D l'autre côté, le salon des transferts, une pièce mansardée, habillée d'une lumière bleue qui tombait de lampes-eau murales et de plafonniers. Au milieu, posée s son socle ovale, trônait une machine de forme oblongue noire, surmontée de deux cabines horizontales. Un biplace, une sacrée belle bécane, pensa Tixu en connaisseur.
La commande d'ouverture était placée sous le carénage avant. L'Orangien s'accroupit et passa l'index sur le rayon de coulissage des cabines. Au grand dépit de Tixu, le déremat de Maïtrelly n'était pas muni de décodeur A.D.N. et les lamelles transparentes des hublots s'ouvrirent comme des pétales de fleur. Il se releva et lut à mi-voix le texte qui s'afficha sur une bande déroulante du tableau de bord rétroéclairé :
« Téléporteur de marque Telvite, rayon d'action : vin années-lumière ; type de transport : tout type ; durée de téléportation : trois secondes standard par année lumière ; pour le transfert, suivre scrupuleusement les instructions lumineuses de l'écran de cabine... Telvite est un appareil Goudda & Frères de Straggion, planète Issigor... »
Il se tourna vers Long-Shu Pae :
« Il dématérialise jusqu'à vingt années-lumière...
— On avait compris ! intervint sèchement Filp Asmussa. Parfait ! Ça nous permettra d'atteindre u11 déremat-relais de l'Ordre. Peut-il transférer deux per sonnes simultanément ?
— Evidemment ! répliqua Tixu que le ton cassant d guerrier commençait à agacer. Si on programme de personnes aux mêmes coordonnées, il n'y a aucune r son qu'elles ne se rematérialisent pas au même endroit
— Vous êtes probablement un technicien, monsieur mais pas moi ! Peut-on brouiller les coordonnées de transfert ?
— Ce type d'appareil est équipé d'un programme automatique d'effacement des données... »
Tixu avait l'impression que chacune de ses réponses creusait sa propre tombe. Cependant, qu'il acceptât ou non de mettre ses compétences au service des membres ce l'Ordre ne changeait rien à l'affaire. S'il ne se montrait pas coopératif, ils se débrouilleraient sans lui, voilà tout ! Ils ne lui restitueraient pas la Syracusaine pour autant. Et puis, bien qu'il refusât de se l'avouer, il savait au fond de lui que c'était la seule solution envisageable. Elle était dans de meilleures mains que les siennes.
« Veuillez sortir immédiatement, monsieur ! lança Filp Asmussa d'un air mauvais. Nous devons maintenant composer les coordonnées secrètes du déremat-relais de l'Ordre. Hors de votre présence. Si vous — obtempérez pas, je serai dans l'obligation de vous tuer sur-le-champ. N'est-ce pas exact, chevalier ? »
Tiraillé entre deux sentiments, Long-Shu Pae hésita n long moment avant de répondre :
« C'est en effet l'un des points de règlement de 1 Ordre...
— Heureux de constater que nous sommes d'accord sur quelque chose ! C'est tellement rare ! C'est donc vous, chevalier, qui nous programmerez aux coordonnées que je vous indiquerai. A la suite de quoi, vous serez astreint au silence honorable ? Encore une fois, monsieur, je vous prie de quitter cette pièce. Il n'y aura pas de troisième sommation. »
Pétrifié, Tixu enveloppa la Syracusaine d'un long regard et bredouilla :
« Et elle?... Qu'allez-vous faire d'elle ?...
— Oubliez-la, monsieur ! vitupéra Filp Asmussa, hargneux. C'est la seule chose qui vous reste à faire. Je n'ai cas à vous fournir d'explication... »
Tixu resta immobile à côté du déremat. Il n'avait pas eu le temps de la connaître, de lui prouver qu'il valait — mieux que l'aperçu qu'elle avait eu de lui dans l'agence miteuse de Deux-Saisons. Il l'avait sortie des griffes de ceux monstres, Glaktus et Abeer Mitzo, et il voulait au moins qu'elle le sache ! Il quémandait un peu d'estime, un peu de reconnaissance...
Voyant qu'il ne réagissait pas à ses menaces, Filp Asmussa déposa délicatement la jeune femme sur le socle du déremat, se redressa et darda un regard venimeux sur l'Orangien.
Long-Shu Pae jugea prudent d'intervenir. Il se plaça entre le guerrier, concentré, déterminé, et Tixu, désemparé.
« Cessez donc de jouer les matamores, guerrier ! Vous pourriez avoir un peu de considération pour ce jeune homme ! N'oubliez pas que c'est lui et ses amis qui ont fait tout le travail à Rajiatha-Na...
— Ecartez-vous, monsieur le banni ! gronda Filp Asmussa. Ne m'obligez pas à en découdre également avec vous !
— Regardez donc en votre âme, monsieur le troisième fils du seigneur Asmussa, rétorqua calmement le chevalier. Vous n'êtes que le produit standardisé d'un système idéologique!... Un clone ! Vous êtes figé dans le temps ! Vous êtes déjà mort ! »
Ces paroles butèrent sur la résolution farouche de Filp Asmussa, campé sur ses jambes comme un fauve prêt à tuer. Long-Shu Pae, comprenant que rien ne pourrait ébranler le fanatisme aveugle de son cadet, se tourna vers Tixu.
« Faites ce qu'il dit ! Il est détenteur d'un ordre de mission émanant du collège décisionnel de l'Ordre. De ce fait, rien ni personne ne le ferait dévier d'un atome de son objectif. Passez sur le palier. Je vous y rejoindrai après la programmation.
— Mais... je ne peux pas l'abandonner ! protesta Tixu en désignant la Syracusaine d'un index tremblant de rage et de désespoir. C'est également... ma mission ! »
Long-Shu Pae le dévisagea intensément et chuchota :
« Je ne vous demande pas de l'abandonner... Les obstacles dressés par le sort ne sont pas insurmontables. Vous trouverez une autre solution plus tard. Si vous vous opposez maintenant, vous serez déraciné ! Abattu ! De toutes les vertus, la patience est la plus honorable.
Si c'est votre rota individua, votre destin, de la retrouver, vous la retrouverez... »
Il posa la main sur l'épaule de l'Orangien et l'entraîna, avec douceur mais fermeté, vers la porte métallique. Tixu contempla une dernière fois la Syracusaine. Elle capta son regard et, depuis le socle où elle était à demi allongée dans une position qui découvrait jusqu'aux hanches ses jambes nues et repliées, le fixa à son tour de ses yeux brillants de fièvre et d'ardeur. Il s'efforça de graver dans sa mémoire la lumière intense de ce regard à la fois limpide et troublé. Il avait toujours cru en une sorte de prédestination, bien pratique, parfois, pour justifier ses échecs, particulièrement durant son séjour sur Deux-Saisons où l'humidité et l'alcool s'étaient conjugués pour révéler une absence de volonté quasi pathologique. Il lui fallait se résigner encore une fois, se laisser reprendre par la spirale infernale de sa rota individua, de sa médiocrité, se réveiller avec la gueule de bois après une nuit peuplée de rêves étranges et merveilleux. Tixu, le pauvre mortel, retombait durement sur terre après avoir volé avec les dieux.
Au moment où ils franchissaient le seuil de la porte, la Syracusaine tendit le bras et cria :
« Attendez ! »
Avant que Filp Asmussa n'ait eu le temps d'intervenir, elle se releva d'un bond, rejeta la veste chinée du françao et courut vers les deux hommes, vêtue de sa seule chemise écrue, lacérée et sale, auréolée de l'or de ses cheveux.
« Laissez-moi un moment avec lui, dit-elle au chevalier. Prévenez votre ami que je le rejoindrai dès que j'en aurai fini. »
Long-Shu Pae s'écarta sans protester ni poser de question et se rendit auprès de Filp Asmussa, interdit.
La Syracusaine fixa Tixu avec attention. Malgré la fièvre qui la rongeait, un sourire éclatant illuminait le visage creusé de fatigue de la jeune femme.
« Je suis Aphykit, fille de Sri Alexu. » Sa voix n'était qu'un lointain et mélodieux murmure. « Vous m'avez sauvé la vie par deux fois. Une première fois sur Deux-Saisons. Une seconde fois ici, aux portes du désert. A présent je dois me rendre sur Selp Dik, conformément à la volonté de mon père, pour y rencontrer le mahdi Seqoram. Vous voyez, je ne vous mentais pas quand je mendiais un transfert à votre agence de Deux-Saisons. Mais je vous ai méprisé, et de cela je vous demande... Je... »
Elle fut prise de vertige et chancela. Tixu la rattrapa par la taille et la serra contre lui. Elle s'abandonna sur son épaule. Il perçut l'odeur et la tiédeur de son corps au travers des étoffes, la caresse de ses cheveux sur son cou, l'écrasement de sa poitrine sur son torse. Elle se redressa, creusa les reins, leva son sublime visage vers lui et dit d'une voix haletante :
« Avant de vous quitter, j'aimerais vous faire un présent... »
L'haleine d'Aphykit lui effleurait les lèvres, il inhalait l'air qui sortait de sa bouche. Il lui sembla que c'était l'air le plus délicieux qu'il lui eût été donné de respirer.
« Le plus précieux des cadeaux... Le son... l'antra... A partir du moment où vous êtes venu à mon secours, ils ne vous lâcheront plus... Ils vous traqueront... Les Scaythes... L'antra vous protégera... des pensées d'investigation... de mort... »
Un voile opaque ternissait ses yeux.
« Vite... Je suis habilitée à vous donner le son... Voulez-vous le recevoir ?... »
Elle ne tenait plus sur ses jambes. Tixu resserra son étreinte.
« Je suis prêt, souffla-t-il.
— De par... de par la... tradition... inddique et les maîtres... »
Elle faisait visiblement des efforts surhumains pour conserver sa lucidité, comme un naufragé épuisé qui s'efforce coûte que coûte de maintenir sa tête hors de l'eau. Elle énuméra une suite de noms aux sonorités étranges.
« Voici votre son, l'antra de vie... Vous n'aurez nul... nul besoin de l'invoquer. Il se met de lui-même au service du shanyan, de l'initié... A condition que le shanyan ne cherche pas à l'utiliser à des fins... personnelles ou destructrices,.. C'est un engagement... Quel... quel est votre nom ?
— Tixu Oty.
— Eh bien, shanyan Tixu Oty... dorénavant vous serez uni au son que voici... »
Elle secoua énergiquement la tête pour ne pas sombrer dans l'inconscience. Puis elle libéra un son vague et incompréhensible où dominaient les sonorités a et m. Un son qui ne sortait pas seulement de sa gorge mais qui semblait traverser l'espace et le temps... Une fulgurante décharge d'énergie s'abattit sur Tixu qui faillit relâcher la jeune femme. Aphykit, évanouie, s'affaissa comme un pantin désarticulé. Un feu dévorant se diffusa dans tout le corps de l'Orangien, dans sa tête, dans son ventre, dans sa colonne vertébrale, dans ses membres. Il se sentit écartelé, désintégré, comme lors d'un début de transfert de cellules, à cette différence près que la sensation se prolongeait de façon interminable, insupportable. Une sueur brûlante perla sur sa peau, le salon des transferts devint flou, se transforma en un délire tourbillonnant d'images chaotiques.
Quelqu'un s'approcha d'eux, lui arracha la Syracusaine et la porta vers le déremat. Il crut voir des taches brunes, bronze, or, écrues se glisser dans les cabines fuyantes. Le son, le serpent de feu, cherchait sa place, bouleversait tout sur son passage. Une main lui agrippa l’épaule. Il se laissa raccompagner par Long-Shu Pae jusqu'au palier où il s'assit contre une cloison. La porte métallique se referma dans un claquement sec.
Quelques instants plus tard, alors qu'il n'avait pas encore repris ses esprits, le chevalier revint s'asseoir près de lui.
« Ils sont partis. Que comptez-vous faire à présent ?
— Je ne sais pas... bredouilla Tixu. Peut-être... peut-être partir à sa recherche... Je... j'ai tellement besoin d'elle.. , »
Long-Shu Pae hocha la tête d'un air pensif et déclara :
« Vous avez besoin d'elle car elle est votre moteur. Mais elle a besoin de vous car vous êtes sa force en innocence ! Il semblerait que vos destins soient indissociablement liés. Je m'en suis douté lorsque je vous ai vu au chairmarché, j'en ai été certain lorsque je l'ai vue venir vers vous et vous transmettre sa connaissance.
— Comment... comment savez-vous ce qu'elle m'a transmis ? demanda Tixu, encore ébranlé par l'expérience qu'il venait de vivre. D'où vous étiez, vous ne pouviez pas entendre... »
Le serpent de feu s'était niché quelque part en lui, il percevait sa subtile vibration, quelque chose d'indéfinissable, quelque chose comme un bruissement de source ou encore une sorte de murmure silencieux. Un pâle sourire éclaira la face ascétique du chevalier.
« Je sais reconnaître la valeur d'une initiation.
— Pourquoi avez-vous permis qu'on nous sépare puisque vous pensez que nous sommes indissociables ?
— Je suppose qu'il n'y avait pas moyen de faire autrement, soupira le chevalier. A quoi aurait servi que j'affronte le guerrier Asmussa ?... L'eau est le plus sûr moyen de saper le rocher... Pour ne l'avoir pas compris plus tôt, je me suis heurté à bien des difficultés tout au long de ma vie. Quand le vent souffle, il faut l'accepter, plier tout en poursuivant fixement sa propre idée. Moi, j'ai fait l'inverse : j'ai résisté de face, j'ai été déraciné et j'ai perdu le fil de mon existence!... Je ne puis vous donner les coordonnées secrètes du relais de l'Ordre, de par le silence honorable auquel je suis astreint. Mais rien ne m'interdit de vous dire que ce déremat-ci peut vous expédier jusqu'à Marquinat, distante de Point-Rouge de dix-neuf années-lumière. Là-bas, il vous sera possible de dénicher un autre déremat à long rayon d'action qui vous enverra directement sur Selp Dik. Pendant que j'y suis, je puis même vous donner le nom d'un très vieil ami qui cache dans son grenier l'un des premiers modèles de déremat privé. Une antiquité, mais toujours en état de marche... Enfin, aux dernières nouvelles que j'ai eues de cet ami, et cela remonte maintenant à quinze années standard... il habitait Duptinat, la capitale, rue de l'Orfèvrerie-Sacrée. Il était lui-même orfèvre et réalisait des ouvrages de commande pour les multiples temples de la théogonie marquinatine... Il était aussi et surtout mon premier correspondant civil lorsque j'ai reçu la tonsure... »
Il retira son bonnet de coton, pencha la tête et montra le rond de peau luisant au milieu de ses cheveux gris.
« Pas terrible, hein!... On s'y habitue... Il s'appelle Géofo Anidoll. Pourquoi ne tenteriez-vous pas votre chance par là-bas ? A présent, je dois prendre congé de vous. N'oubliez pas : Géofo Anidoll, rue de l'Orfèvrerie-Sacrée, Duptinat. Dites que vous êtes envoyé par le chevalier Long-Shu Pae... il vous écoutera... Long-Shu Pae... Adieu, et vous, allez jusqu'au bout de votre âme ! » Tixu prit rapidement sa décision. Long-Shu Pae l'aida à se relever. La porte étant restée entrouverte, l'Orangien n'eut pas besoin de recomposer le code. Luttant contre le vertige, titubant, il se dirigea vers la machine noire.
Le chevalier sortit sans encombre de Sar Bilo. Dans les couloirs de la maison silencieuse il ne croisa que les deux femmes du Troisième Anneau qui le guidèrent jusqu'à une issue dérobée donnant directement sur la rue. L'énorme disque de Feu Vert était déjà haut dans le ciel.
Il décida de se rendre à la base souterraine de la Camorre, à l'endroit où avait eu lieu la bataille contre les assassins de Pritiv et le Scaythe d'Hyponéros. Quelque chose le tracassait depuis le début : il trouvait curieuse la manière dont le cri de Filp Asmussa, un cri de qualité médiocre — en tant qu'instructeur au monastère de Selp Dik, il n'aurait même pas toléré ce cri de la part d'un aspirant — avait agi sur le Scaythe. Il n'aurait pas su dire exactement pourquoi, mais il y avait eu quelque chose d'invraisemblable dans le déroulement de ce combat. Il avait ressenti la fantastique puissance mentale du Scaythe, et le fait que ce cerveau au potentiel surhumain ait cédé aussi subitement à l'assaut désordonné, incontrôlé, de Filp Asmussa demeurait pour lui une énigme. La réponse se trouvait peut-être sur le cadavre... si les hommes de main de la Camorre ne l'avaient pas retiré du toit de la base.
La voûte céleste se parait maintenant d'une somptueuse teinte vert clair. Les ultimes lambeaux de ténèbres s'effilochaient sur les derniers archipels d'étoiles mourantes. Long-Shu Pae croisa quelques silhouettes pressées, furtives. Les placides robotomates achevaient de nettoyer les trottoirs en émettant leur ronronnement monocorde. Le chevalier fendit un groupe de prostituées débraillées qui lui lancèrent des apostrophes égrillardes.
Il marcha encore un bon moment, traversa pratiquement les quartiers interdits sur toute leur largeur puis s'enfonça dans la ruelle pavée qui donnait sur le toit de la base. Le bruit de ses pas se répercutait d'une façade à l'autre des hauts immeubles striés de taches de lumière.
Il atteignit enfin l'immense surface plane et métallique. Une odeur de sang séché flânait dans l'air frais du matin. Il aperçut des cadavres et, plus loin, les quelques têtes qui avaient roulé, prises d'assaut par des nuées de grosses mouches rouges et bourdonnantes. Apparemment, l'alerte n'avait pas été donnée. Il s'avança encore et chercha du regard la tache verte de l'acaba. Il ne la vit pas.
Il sentit soudain la brûlure d'un regard sur sa nuque. Il se retourna. Le Scaythe, enfoui dans les replis de son acaba, se dressait à cinq pas derrière lui. Le même que le guerrier croyait avoir tué une heure plus tôt !
Un coup monté ! pensa Long-Shu Pae. Leur machine de guerre est plus puissante que celle de l'Ordre, mais le rôle de ce Scaythe était de faire croire le contraire au légat du conseil décisionnel. Ils nous ont manipulés, ils ont endormi la méfiance de l'Ordre. C'est la fin... la fin...
Dans un réflexe instinctif, il se concentra sur le Xui et ouvrit la bouche pour lancer son cri de mort. Une douleur effroyable lui vrilla le cerveau.
Le mahdi Seqoram est-il encore vivant ?... O dieux, pourquoi n'ai-je pas été jusqu'au bout de mon âme ?... Jusqu'au bout de moi-même... Ses mains n'eurent pas le temps de parvenir jusqu'à ses tempes. Il s'affaissa lourdement sur les pavés de la ruelle. Son crâne heurta le bord anguleux du trottoir et éclata comme un fruit mûr.
CHAPITRE XII
Rois, empereurs, créatures d'histoire,
Miroirs, reflets des peuples,
En votre nom, sujets persécutés,
De votre gloire, en vain profit,
La Roue du temps passera,
L'implacable fléau des siècles,
Quand tyran humble se fera,
L'humble couronné sera,
Quand bourreau victime se fera,
Victime graciée sera,
Quand chasseur bête se fera,
Bête épargnée sera,
Quand débauché pur se fera,
Pur admiré sera,
Quand vieillard enfant se fera,
Enfant proclamé sera...
Quand tyrans serviteurs se feront,
Serviteurs aimés seront.
Stances prophétiques de Terra Mater
Région des Rocheuses englouties