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Lundi 24 janvier 1966
Le commissaire Silvestri organisa une discrète conférence à laquelle il invita les chefs des unités qui, dans tout le Connecticut, étaient lancées à la recherche du monstre.
— Dans une semaine, dit-il, cela fera un mois qu’il a enlevé sa dernière victime, et nous ignorons totalement s’il a changé de méthode – un kidnapping tous les mois –, ou s’il reviendra à l’ancienne – un tous les deux mois. De ce point de vue, le dernier en date aurait simplement été une façon de fêter le Nouvel An.
Du jeudi 27 au jeudi 3 février, il y aura une équipe chargée de surveiller, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, chacun de ceux que nous suspectons. Même si nous n’obtenons pas de résultats, ce sera un processus d’élimination : en cas de disparition d’une nouvelle jeune fille, nous pourrons innocenter tout suspect que nous n’aurons pas perdu de vue.
— Et si aucune ne disparaît ? demanda un flic de Stamford.
— Alors, nous recommencerons fin février. Tous les éléments dont nous disposons – intervalle entre deux enlèvements, kidnapping de nuit, robe de soirée, corps décapité mais non démembré – trahissent de profonds changements dans la méthode du tueur, mais nous ne pouvons être sûrs qu’ils seront permanents. Qu’il soit seul ou qu’il ait un complice, il a beaucoup d’avance sur nous. Il va falloir s’accrocher, les gars.
— Et si une fille est enlevée sans qu’aucun suspect ne puisse être impliqué ? dit un flic de Hartford.
— Alors, nous élargirons nos recherches à de nouveaux suspects, sans abandonner les anciens. Je passe la parole à Carmine.
Il avait peu de choses à dire.
— Holloman est un cas à part : nous y avons de nombreux suspects. Les autres équipes surveillent les violeurs connus pour leur propension à la violence, ce qui n’est pas le cas de nos suspects, c’est-à-dire tout le personnel du Hug, plus trois autres, soit trente-deux personnes en tout. À nous seuls, nous ne pouvons les surveiller vingt-quatre heures sur vingt-quatre, c’est pourquoi je demanderai des volontaires pour nous assister. Il nous faudra des hommes d’expérience, qui ne risqueront pas de s’endormir à leur poste. Merci d’avance pour votre aide.
Vingt-neuf membres du Hug, ainsi que le professeur Frank Watson, Wesley Le Clerc et même le professeur Robert Mordent Smith seraient donc observés en permanence. Ce qui posait d’énormes problèmes logistiques.
Beaucoup de suspects du Hug vivaient en bordure de la Route 133, ou juste à côté : les Smith, les Ponsonby, les Finch, Mme Polonowski, Frank Watson, les Chandra et les Kyneton.
C’était une route à double voie, très sinueuse, qui allait d’un village à l’autre mais n’offrait guère d’endroits où se cacher : pas de bas-côtés assez larges, de centres commerciaux avec leurs parkings, ou d’aires de repos.
Seuls Tamara Vilich et Marvin Schulman, installés dans Sycamore Street, tout près du centre d’Holloman, tout comme Otis et Cecil, qui vivaient dans la 11e Rue, étaient faciles à surveiller.
Juste à côté de Ponsonby Lane, Major Minor, le motel minable proche de la Route 133, serait le théâtre de mystérieuses activités nocturnes.
Carmine, Corey et Abe se partageaient la surveillance des Ponsonby, à raison de huit heures chacun. Si Carmine avait choisi Charles et Claire, c’est qu’ils n’avaient guère retenu l’attention jusque-là, et que de toute façon il ne croyait guère que cette surveillance donnerait de résultats. Ils trouvèrent à se cacher dans un bosquet de lauriers de montagne, à une cinquantaine de mètres de la maison, après s’être assurés qu’on ne pouvait y parvenir que par le chemin d’accès, et qu’il ne donnait nulle part ailleurs.
Carmine avait tout vérifié à l’avance, découvrant, en particulier, que les Forbes étaient les plus difficiles à observer : leur maison était au bord de l’océan, sur un plateau, au milieu d’une pente assez raide, bordée de buissons. Même chose pour les Smith, à cause du tertre couvert d’arbres sur lequel se dressait leur demeure.
Le Prof, il est vrai, était toujours en observation, et la police de Bridgeport gardait l’œil sur lui. Heureusement que Carmine avait pratiquement éliminé les Finch de sa liste de suspects : pas moins de quatre de leurs chemins donnaient sur la Route 133. La police de Norwalk surveillait Schiller, celle de Torrington Walter Polonowski et sa maîtresse.
Pourquoi donc Carmine pensait-il que ces gigantesques efforts resteraient stériles ? Peut-être parce qu’il savait que les fantômes ne se laissent voir que s’ils le veulent bien...