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Puerto Montt est très vague dans ma mémoire. C’est toujours resté l’endroit où je descendais du train et où les voyages vers le sud commençaient pour de bon. Mais mes souvenirs fragmentaires me suffisaient pour voir Sarita marchant sur le quai fouetté par les vagues et le vent. Dans ma profession, on développe d’invisibles antennes de langouste. Elles ont soudain fonctionné et j’ai senti que Sarita était en danger. J’ai pris le téléphone et j’ai composé la longue série de chiffres qui m’ont mis en liaison avec le Chili.

Pendant l’attente, j’ai calculé le décalage horaire. À Hambourg, nous étions le 17 juin et il était presque deux heures du matin. Au Chili c’était encore la veille, il serait bientôt neuf heures du soir, et comme à Puerto Montt les gens ont l’habitude de se coucher tôt, j’avais des chances de trouver Sarita chez elle.

Une voix de femme a répondu, aussitôt remplacée par celle d’un homme.

— Qui est à l’appareil ?

— Je suis un ami de Sarita et j’appelle d’Allemagne. Est-ce que je peux lui parler ?

— Fichez la paix à ma fille ! a répondu l’homme, et il a raccroché.

Je suis resté avec le téléphone dans la main et j’ai pensé que les événements prenaient une tournure qui me plaisait de moins en moins.

Je me suis rappelé Sarita durant son bref passage à Hambourg :

— Alors ? Vous m’acceptez comme correspondante ?

— Nous ne pouvons pas te payer. Pas pour le moment.

— Ça m’est égal. Tout ce que je vous demande, c’est de ne pas me laisser seule au bout du monde…

Sarita était en difficultés. Je ne pouvais pas préciser lesquelles, mais des gens qui osent faire naviguer un bateau dont l’immatriculation est un certificat de décès ne sont pas des sentimentaux.

Il restait environ une heure avant que Nilssen ne rappelle. J’ai téléphoné à mes associés et nous avons convenu de nous retrouver au bureau à cinq heures du matin. J’ai meublé le temps en pensant à ce personnage mystérieux qui, comme tous les « vengeurs », commençait à m’inspirer de la sympathie.