CHAPITRE HI
S'évader !
Quel captif n'a eu d'autre préoccupation primordiale? Et c'était bien le cas d'Olivier, depuis l'ahurissante, la stupéfiante aventure qu'il avait vécue en compagnie de Ghislaine et de l'ami Jo.
Le nez à la paroi cristalline, il fumait une Pall Mali (une des dernières qui lui restaient) tout en contemplant le décor surprenant qu'il découvrait, au-delà du bâtiment (un préfabriqué à multiples côtés) où il était bel et bien prisonnier.
Seul dans une petite chambre. Une cellule plutôt.
Et il rageait, lui qui n'avait jamais eu aucune vocation monacale, il s'en fallait de beaucoup.
Il essayait, sans arrêt, de faire le point, se remémorant tous les détails de l'histoire. Du moins ce qu'il avait pu en observer, dès qu'il avait repris consience, après l'engloutissement de « Intrépide » au sein du nuage fantastique.
Le réveil. Ghislaine. Jo. La table venant les servir automatiquement. L'oiseauchat. Puis cet homme, au teint bizarrement mat, à reflets plus que cuivrés, vêtu d'une sorte d'armure-combinaison.
Il s'était exprimé en français, avec un accent rocailleux, et parfois un peu chantant. Il leur avait dit poliment de ne pas s'étonner, que ses semblables avaient assimilé toutes les langues de la Terre.
Ce qui avait confirmé l'hypothèse affolante de Ghislaine : nous sommes au pouvoir des extraterrestres.
Aka-Môr (il s'était présenté) leur avait alors dit qu'ils allaient être mis en présence du commandant du vaisseau spatial (tout s'enchaînait donc avec une logique implacable). Qu'ils n'aient surtout nullement à s'inquiéter, les Yaaw, originaires de la planète Alwakii satellite de Procyon venant du monde appelé par les Terriens Canis Minor à la limite de la Galaxie dite Voie Lactée, n'ayant que des intentions pacifiques.
— Est-ce pour cela que vous nous avez si proprement enlevés? avait lancé Jo, furieux.
Aka-Môr, lequel leur avait d'ailleurs paru assez antipathique en dépit de ses manières policées (un peu trop) avait alors tenté d'expliquer que, originaires des parages de l'étoile dite Procyon (que les habitants de la Terre connaissaient bien) ils voulaient tenter une alliance entre leurs deux peuples.
Une fois encore, Jo, brutalement, avait fait remarquer que des échanges interplanétaires devraient commencer de façon un peu moins violente. Aka-Môr avait alors spécifié : — Le commandant Zywaa vous expliquera quel est notre dessein !
Il s'était enquis de leur santé, de leur confort, assurant qu'on était presque arrivés à destination.
S'informant de ce dont ils pouvaient avoir besoin (De liberté ! avait grondé Jo) le natif d'Alwakii les avait priés de le suivre auprès du maître à bord.
Ils l'avaient donc accompagné, de bonne grâce apparente, Olivier comme Ghislaine préférant tenter de voir clair dans tout cela, non sans avoir fait des signes discrets à Jo pour lui enjoindre de se tenir tranquille.
Et on avait traversé derrière Aka-Môr une partie de ce qu'ils savaient à présent (ce qu'ils avaient deviné sans difficulté) être un gigantesque vaisseau spatial.
Leur sui-prise n'avait pas été mince en se trouvant en présence du Commandant. Une femme !
Et bien jolie, il leur eût été difficile de penser le contraire. Trente ans peut-être, si on transposait en rotations terrestres. Brune mais les cheveux coupés court, ce qui correspondait à son personnage, elle offrait un visage légèrement arrondi, délicat, avec des yeux un peu bridés mais d'un surprenant ton de turquoise détonnant avec son épiderme foncé comme celui d'Aka-Môr. Lèvres sensuelles, petit nez fin, elle trouvait moyen, dans sa tenue de cosmonaute pimentée d'un brin de fantaisie avec des insignes de métal (un métal inconnu rappelant le vermeil) d'offrir une grâce indéniable et on devinait un corps mince, agréablement galbé.
Zywaa leur avait offert une boisson au goût étrange et ils n'avaient pas refusé de trinquer, de porter un toast aux futurs échanges entre la Terre et ceux qui étaient nés aux rayons de Procyon.
Tandis que Ghislaine poussait Jo du coude pour le faire taire, Olivier, fort courtoisement, demandait des explications. Et c'était justement à ces explications qu'il songeait, le nez à la vitre.
Devant lui, la base. La base de ceux d'Alwakii, installée clandestinement par les astronefs venus du monde du Petit-Chien et ce depuis une dizaine d'années.
Ils avaient trouvé en cette zone un terrain favorable. Ils y avaient semé des plantes, des arbres, utilisant des semences soit venues de leur planète, soit glanées sur la Terre même. Un climat d'exception avait provoqué une telle prolifération végétale qu'à présent c'était une véritable jungle qui encerclait les terrains où s'étaient installés les extraterrestres.
Olivier, dont la cigarette s'était éteinte, observait le formidable engin qui avait enlevé la montgolfière et ses occupants. Un monstre métallique (ou de toute autre manière) monté sur trois tripodes. La forme générale : un hexagone aplati au sommet, renflé en ses flancs et naturellement pourvu d'une multitude de hublots, hérissé de nombreuses antennes.
On découvrait plusieurs autres bâtiments et les Alwakiiens allaient et venaient. Des cosmonautes, mais appartenant aux deux sexes. Et sans doute certains de ces personnages devaient aussi constituer une population sédentaire, quand le « Phteed » ainsi nommaient-ils leur astronef, était en vol. Il essayait de comprendre, se sentant accablé de paradoxes.
Ainsi, il avait pu constater, alors qu'il était encore en compagnie de Ghislaine et de Jo, que le Phteed, puisque Phteed il y avait, survolait la banquise. Or, quelques heures plus tard, on touchait terre au sein d'une jungle luxuriante. Aka-Môr, il est vrai, venant donner quelques explications succinctes aux captifs de la gigantesque soucoupe volante (Jo ne démordait pas de cette appellation ) avait bien voulu leur annoncer qu'on arrivait au pôle Sud de la Terre. Que les Yaaw s'y étaient installés après la découverte d'une région désertique, pratiquement ignorée ou tout au moins négligée des planétaires, curieusement enchâssée dans l'immensité des glaces et entretenue dans un micro-climat dont ils n'avaient pas tardé à découvrir l'origine : des sources d'eaux chaudes.
Les capter, les utiliser, avait été le travail de leurs techniciens. Ils avaient rapidement cultivé cette zone pour la rendre habitable. Le résultat dépassait leurs espérances et non seulement, assurait Aka-Môr, les végétaux avaient proliféré, mais encore une faune curieuse s'y était acclimatée, originaire de diverses régions de la Terre et d'Alwakii et venue avec les semences, les plants des deux planètes.
Olivier revoyait tout cela. Et leur entrevue, aussitôt après, avec le maître du bord. Une jeune femme d'une beauté très particulière.
Elle avait été très accueillante, jouant de ses charmes qui n'étaient pas un vain mot. C'était elle qui leur avait révélé le but de sa race et ce qu'on attendait d'eux.
Ils avaient à peine eu le temps de commenter cette surprenante explication car, presque immédiatement après l'entrevue, le « Phteed » arrivait à la base.
Depuis, Olivier vivait seul. On les avait séparés, en dépit de leurs protestations. Jo, usant de sa force, avait même tenté une véritable rébellion mais il avait été promptement terrassé par trois solides Yaaw. Le coeur déchiré, Olivier avait vu emmener une Ghislaine éplorée. Depuis, il se trouvait dans cette petite pièce, confortable certes, tout autant que les cabinesalvéoles du vaisseau spatial. Seulement il y était bel et bien enfermé. Il voyait, deux fois par jour, une fille assez jolie, une Yaaw silencieuse et souriante à l'entrée, qui lui apportait ses repas, s'informait de ce qu'il souhaitait. Comme il ne demandait jamais autre chose que de revoir sa compagne, la geôlière (qu'était-ce d'autre?) ne répondait que par un sourire évasif.
Il avait bien entendu tenté de sortir de sa cellule.
La porte? Il n'y fallait pas songer. Il ne distinguait même pas le système de fermeture. La fenêtre ?
Cette vitre était d'une épaisseur exceptionnelle et il savait bien qu'il lui eût été impossible de la briser.
Alors? Se morfondant en songeant à Ghislaine, à Jo, il n'avait d'autre distraction que de voir le manège des Yaaw, vaquant à leurs occupations dans cette sorte de clairière où s'élevaient les bâtiments de la base et l'aire d'atterrissage du grand navire spatial.
C'est ainsi qu'il avait pu remarquer qu'en dehors des naturels du monde de Procyon, il y avait là des personnages des deux sexes, vêtus de ces combinaisons blanches, sorte d'uniforme des Yaaw, et qui étaient certainement, eux, de véritables Terriens.
Les Yaaw relevaient d'un type morphologique bien caractéristique, reconnaissable surtout à leur épiderme bronzé à reflets de cuivre, contrastant avec des yeux bridés d'un surprenant ton de turquoise.
Dans les autres, qu'ils soient jaunes, ou noirs, ou blancs, Olivier, lui-même métissé, reconnaissait sans équivoque les diverses races de ses propres coplanétriotes.
C'était, il ne pouvait en douter, ceux qui, enlevés à diverses périodes par les Yaaw (mais dans des conditions moins spectaculaires que les passagers de l'Intrépide, de la Ville de Versailles ou les deltistes) étaient des Terriens qui avaient accepté leur sort et consenti à entrer dans les vues singulières des extraplanétaires.
Olivier jeta un regard dégoûté sur son paquet de cigarettes.
Après le mégot qui se consumait, il n'en restait que deux encore intactes.
Il s'était refusé, par principe, à ne rien solliciter en dehors d'une réunion avec Ghislaine. Ou à défaut avec Jo. Il se dit que, se mourant d'ennui et de rage impuissante dans cette étroite prison, il finirait bien par demander un paquet de cigarettes, pour tromper le temps. Comme ce serait bientôt l'heure de la seconde visite de la journée de la préposée, il se promit de souhaiter le renouvellement de sa provision de tabac. Après cette importante décision (tout prend des proportions inouïes pour celui qui vit en vase clos), il se jeta sur sa couchette et se mit à fumer l'avant-dernière.
Il pensait.
Il pensait à Ghislaine. Ou plutôt il voulait y penser.
Mais à sa grande fureur, un visage s'interposait entre la blondeur délicate de sa compagne et son évocation. Un visage un peu rond, d'un ton qui n'appartenait pas à une race terrienne, éclairé par des yeux magnifiques, d'un bleu inconnu. Et un corps deviné sous une sorte d'uniforme d'ailleurs très seyant, le corps d'un commandant de bord d'un genre incontestablement peu répandu à travers la Galaxie.
La porte s'ouvrit, silencieusement comme à l'accoutumée. Il se mit sur son séant pour voir la jeune femme et lui demander si on pouvait lui fournir un paquet de Pall Mail.
Il fut surpris de voir-un homme, cette fois. Un très jeune homme qui s'inclina, et prononça avec ce timbre bizarre des Yaaw : Monsieur Olivier Vellor... Le commandant Zywaa souhaite vous entretenir... Voulez-vous m'accompagner?
Olivier n'hésita pas. Il écrasa sa cigarette contre la paroi, bondit sur ses pieds et répondit à l'adolescent qu'il était aux ordres du commandant Zywaa.
Sans lui dire que, précisément, c'était à Zywaa qu'il songeait à l'instant. Il la revit, après avoir traversé une partie du vaste bâtiment. Une construction sans doute solide, mais dénuée de charme et évoquant quelque chose allant de la clinique à la caserne. Les Yaaw, évidemment, n'ayant guère songé au décorum. Ils croisaient en cours de route quelques natifs de la planète Alwakii. Et aussi, vêtus comme les autres de l'uniforme Yaaw, d'incontestables Terriens, Olivier vit ainsi deux filles noires, une gracieuse petite Asiatique et trois garçons de race blanche. Tous lui adressaient un salut furtif, accompagné d'un sourire en lequel il croyait lire une ombre de complicité.
Ainsi, il n'y avait pas à en douter, ceux-là — tous et toutes d'une grande beauté, donnant une impression de nature saine et solide — étaient de ses coplanétriotes qui avaient accepté la singulière collaboration offerte par les envoyés du Procyon.
Mais, que devenaient les autres? Car Olivier n'en pouvait douter, tous les kidnappés n'avaient certainement pas voulu entrer dans les vues des extraterrestres.
Toutes ces réflexions, qu'il se fit pendant les quelques minutes que dura le trajet sur les talons du jeune Yaaw, il les oublia un instant après.
Son guide l'avait fait pénétrer dans une pièce après avoir frappé et ouvert une porte qui, au bout d'un couloir quelconque, ne se distinguait nullement du reste dé l'ensemble.
Mais, une fois le seuil franchi, c'était bien autre chose. Et le Terrien était frappé par le décor somptueux qu'il découvrait.
Un style fantastique. Quelque peu barbare peutêtre avec toutes ces peaux animales qui jonchaient le sol et recouvraient l'espèce de divan-trône du fond, que surmontait un dais fait d'une étoffe inconnue d'Olivier. Des drapés chatoyants qui semblaient irradier d'eux-mêmes, sans source extérieure de lumière, ni artificielle ni naturelle, la pièce étant dépourvue de fenêtres.
Les parois disparaissaient sous d'autres draperies, sans doute de même nature mais offrant des tons variant à l'infini et changeant sous le regard. Il y avait çà et là de petits meubles délicats, aux formes contournées, bizarres. Un léger nuage flottait, odorant et lénifiant, peut-être quelque peu aphrodisiaque. Il émanait d'un objet aux contours tourmentés, représentant approximativement une tête d'animal monstrueux, tricéphale. Un brûle-parfum sans aucun doute. Et des coussins, et des jetés de tissu négligemment dispersés, le tout ponctué de points rutilants , esméraldins, brillants, comme si tout cela était serti de gemmes.
Le plafond disparaissait sous d'autres draperies encore, si bien que l'aspect général était celui d'une tente évoquant l'antiquité légendaire de la Terre. Mais Olivier s'en rendait compte, tout cela venait « d'ailleurs ».
Il avait embrassé le décor de cette étrange pièce d'un seul coup d'oeil. Mais déjà il ne voyait plus tout cela. Il ne voyait plus qu'elle.
Le commandant Zywaa, chef de la mission interstellaire ? Était-ce une plaisanterie ? C'était bien Zywaa, avec son joli visage rond éclairé des translucides yeux turquoise. Une Zywaa vêtue — si l'on pouvait dire, eu égard à sa tenue — selon une mode qui ne déparait nullement le décor dans lequel elle se complaisait à apparaître.
Le jeune guide s'était effacé si discrètement qu'Olivier, déjà fasciné par l'apparition de cette femme surprenante, ne s'en était même pas aperçu.
Zywaa était à demi étendue sur ce divan qui, légèrement surélevé, prenait des allures royales.
Près d'elle, un être vivant se vautrait et fixait Olivier de ses prunelles immenses. Bûû, l'oiseauchat.
La jeune femme jouait, comme machinalement, avec un objet qu'Olivier ne pouvait pas ne pas remarquer. Un globe à multiples facettes, légèrement luminescent, auréolé d'un joli bleu qu'il devait engendrer.
Mais, s'il eut conscience de tous ces détails, ce ne fut que bien furtivement. Interdit, il ne savait quelle attitude tenir. Elle le mit promptement à l'aise : —Cher monsieur Vellor..., voulez-vous prendre place ?
À partir de ce moment — était-ce la présence irradiant de sensualité de cette femme? Était-ce le parfum aux suaves effluves du nuage qui enrobait toutes choses? — Olivier crut vivre un instant de rêve.
Pourtant, en lui, quelque chose murmurait, lui suggérant la prudence. Tout cela était trop beau, trop séduisant.
Un piège? II luttait contre l'envoûtement qui l'envahissait et se jurait — mollement sans doute — de se tenir sur ses gardes.
Cependant il s'était incliné, avec une certaine réserve, et s'installait sur un énorme pouf. Bûû qui l'observait jeta une sorte de miaulement, quitta le divan et, mi-courant mi-voltigeant, vint sans façon s'installer sur les genoux du jeune homme.
Ce que voyant, Zywaa eut un léger rire, un rire délicieux démasquant de très jolies petites dents qui contrastaient avec les lèvres un peu trop charnues peut-être, mais qui ne la déparaient nullement : -Bûû vous accepte... BU vous trouve sympathique... Sympa, comme on dit, je crois, chez vous les Français... J'en suis ravie, l'instinct de Bûû vaut toutes les psychologies... S'il vous fait confiance, c'est tout en votre faveur !
Olivier se reprenait déjà : Je vois que vous connaissez ma langue... nos langues...
—Vous le savez déjà, nous sommes sur votre planète depuis dix de vos années, dix rotations de votre monde. Vous ne devez pas en douter, nos moyens sont... comment dire ? très importants !
— Plus que ça, sans doute. Je ne pense pas qu'une technologie terrestre soit déjà en mesure d'enlever un ballon avec ses occupants !
Elle eut encore un petit rire, fit un signe et, sans qu'Olivier comprenne comment cela s'était produit, un petit meuble se mit en marche et vint se placer entre eux deux.
Il supportait un très joli plateau de métal ouvragé où le Terrien pouvait distinguer des formes animales et végétales qui, de toute évidence, appartenaient plus à Alwakii qu'à sa planète-patrie.
Vous avez déjà goûté notre ghoov, n'est-ce pas ? Mais j'ai pensé qu'un whisky de chez vous vous ferait plaisir ? • Il y avait, sur le plateau, un service à thé complet mais également une bouteille de William Lawson's.
Et comme Olivier était un peu embarrassé pour bouger, Bûû pesant son poids, Zywaa appela l'oiseauchat qui quitta les genoux d'Olivier d'assez mauvaise grâce.
Olivier était le plus possible sur ses gardes. Mais comment n'eût-il pas été troublé ? Zywaa portait une tunique montant jusqu'à son cou gracile et dont les manches serraient les poignets. Elle était pieds nus mais les longs plis de l'étoffe tombaient délicatement sur des jambes qu'on devinait parfaites. Et ce tissu inconnu, aux tons qui semblaient ruisseler, incessamment changeants, offrait par instants une curieuse transparence. Si bien que le jeune homme pouvait se rendre compte que son interlocutrice était parfaitement nue sous ce voile trompeur. Les fleurs de sa poitrine, l'ombre du ventre bien plat, donnaient des langueurs à l'athlète qu'il était.
Femme avant tout, en digne fille du Cosmos, elle devait parfaitement se rendre compte de son émoi mais, bien entendu, continuait à parler avec détachement.
Et tout en lui versant le whisky, dont elle prit ellemême une rasade, elle reprenait : —Nous parlions, je crois, de nos moyens? Nos techniciens sont, je vous le dis sans vous offenser, quelque peu en avance sur les Terriens et aussi diverses races galactiques avec lesquelles nous entretenons des rapports...
—Ainsi, vous savez créer des nuages artificiels, bien pratiques n'est-il pas vrai pour kidnapper les pauvres terriens volants? Tous mes compliments !
—Allons ! ne montrez donc pas d'humeur...
Tenez, Olivier (il nota qu'elle devenait familière et que cela devait faire partie d'un subtil calcul). je vais vous donner une preuve de gentillesse. Je n'ignore pas que vous avez réclamé votre amie, Ghislaine...
—Dont j'ai été séparé au mépris du droit des gens ! ne put-il s'interdire de gronder.
Zywaa eut un geste apaisant : —Puisque vous savez dans quel but nous agissons...
—N'avez-vous pas deviné que je suis de ceux qui refusent de se prêter à ce... à cette ignominie ?
—Nous en reparlerons, Olivier... En attendant je veux vous rassurer sur le sort de celle qui vous est chère. Regardez !
Elle s'était emparée du globe bleuté qu'il avait remarqué dès son arrivée. Il la vit manipuler quelques petits boutons de métal placés à sa base, sans doute les commandes. Elle se recula un peu et lui fit signe de regarder un peu au-dessus de l'objet.
Stupéfait, Olivier vit se dessiner, en trois D. une silhouette qu'il reconnut immédiatement. Ghislaine.
Une Ghislaine qui lui apparaissait sous la forme d'une petite personne d'une trentaine de centimètres. Elle n'était pas seule et il la voyait discutant avec un couple. Évidemment des Terriens.
—Êtes-vous satisfait ? Ces jeunes gens avec lesquels nous l'avons mise en contact étaient les aéronautes de la montgolfière Ville de Versailles.
Votre amie n'est donc pas isolée et vous le voyez, elle ne semble pas malheureuse. Fort bien traitée je vous assure...
—Mais captive ! Mais séparée de moi !
—Si vous acceptiez de nous aider, soupira Zywaa, comme toutes les choses s'arrangeraient aisément !
Cette fois, il bondit : — Accepter ! Et il y a de nos coplanétriotes qui ont fait cela : accepter ! De devenir des étalons pour les hommes... Des... de malheureuses poulinières pour les femmes !... Ce sont ceux et celles, bien sûr, que vous avez incorporés dans vos rangs et qu'on voit aller et venir, habillés comme les Yaaw !
C'est tout à fait cela, Olivier. À cela près que notre entreprise n'a rien d'avilissant !
À vos yeux ! Pas aux miens ! Et je suis sûr que Ghislaine...
—Ghislaine a refusé, c'est vrai !
—Comme ceux de la Ville de Versailles... Comme mon copain Jo !
Zywaa sourit mais cette fois avec une forte nuance d'ironie : —De lui... Êtes-vous bien sûr?
Il ne répondit pas. Il regardait l'image animée de Ghislaine, doucement ému, oubliant un instant la beauté fascinante de Zywaa.
Image qui s'effaça. Zywaa venait de toucher d'autres boutons. Et cette fois, en hologramme, ce fut Jo qui apparut.
Olivier manqua s'étouffer. Jo portait la tenue des Yaaw.
Et lui non plus n'était pas seul. Mais qui l'accompagnait n'était pas un couple. Une seule personne.
Une Yaaw à coup sûr et en dépit de la petitesse de la vision, Olivier pouvait distinguer les admirables yeux turquoise, avec leur petite allure asiatique, la particulière beauté des filles venues de Procyon. L'attitude des deux petites marionnettes ainsi projetées était sans équivoque.
Un déclic et les hologrammes s'effacèrent, laissant Olivier totalement abasourdi.
—Ainsi Jo... Jo a accepté !
Il sera des nôtres, cher Olivier. Et cela, je vous le dis avec plaisir, grâce au charme, à l'intelligence de Ykaya...
Olivier eut une moue d'écoeurement : —Cette... cette fille ?
—Vous voilà bien dégoûté... Feriez-vous tant le difficile si une d'entre nous... une Yaaw de la planète Alwakii s'offrait ? Et songez, ami cher, qu'il n'y aurait rien de déshonorant, mais tout au contraire qu'il serait glorieux de procréer une race neuve, d'être le pionnier biologique et pourquoi pas? psychologique, d'un monde neuf né de nos deux planètes?
Olivier voulait parler. Mais une boule se formait dans sa gorge et, il demeura sans voix. 11 se leva, eut un geste furieux, tôiijôurs sans parler. Il fit quelques pas dans la pièce, suivi du regard autant par Bûû que par Zywaa.
Il revint vers elle, fit face.
Les yeux turquoise plantaient leur regard dans le sien.