Chapitre 6
Je ruminai toute la journée ce qu’avait fait Val sans trouver de réponse qui tienne debout. Il y avait deux options : soit Val avait réellement pensé que j’étais possédée par un démon, soit elle m’avait attaquée pour une autre raison. Comment avait-elle pu être convaincue que j’étais possédée au point de tenter de me maîtriser au Taser ? Je ne trouvai aucune raison à son agression. Impasse.
Je tentai d’aller me coucher, mais l’idée d’être allongée dans mon lit, les yeux fermés, me crispait le ventre de terreur. Qu’allait faire mon inconscient de cette journée ? Je ne tenais pas à le découvrir.
Je me forçai à regarder un film de merde sur HBO, pensant que cela me distrairait au moins pendant un moment, mais mon esprit persistait à faire le hamster dans sa roue. J’éteignis la télévision avec un grognement dégoûté. Si je ne trouvais pas un moyen pour me sortir Val de la tête, je serais bonne à envoyer chez les fous le lendemain matin.
Je déambulai dans la maison en quête de l’antidote idéal à la réflexion. Mes pas me menèrent finalement à l’étage – ou du moins ce qui en fait office. L’agence immobilière m’avait vendu la maison et son étage et demi. Personnellement, je ne vois pas comment une maison peut comporter un étage et demi mais, apparemment, c’était ce que j’avais.
L’étage n’est constitué que d’une seule pièce et, comme j’ai tout ce qu’il me faut au rez-de-chaussée, il est rare que je monte au premier. J’ai transformé l’endroit en un grenier plutôt civilisé. Tout ce dont je ne sais pas quoi faire finit là-haut. Y compris plusieurs cartons de livres que je n’ai jamais pris la peine de vider depuis mon emménagement. Je suis une de ces personnes qui gardent tout et ne savent pas jeter un livre, même si je ne l’ai pas aimé.
Je ne sais pas comment j’en suis arrivée à me retrouver à genoux face à un de ces cartons, à fouiller dedans jusqu’à en sortir un livre de poche corné que je ne me rappelais même pas avoir. Est-ce que je l’avais même lu ? Aucun souvenir, mais quelqu’un l’avait certainement lu. S’il tombait en morceaux à force d’avoir été feuilleté, c’est qu’il en valait la peine, non ?
Espérant qu’un livre m’absorberait plus que la télévision, je me mis à lire.
Je me réveillai en sursaut, toujours assise dans le fauteuil où je m’étais installée pour lire, bien que mon livre ne soit nulle part en vue. Par contre, un bloc-notes reposait sur mes genoux.
« Val n’est pas ton amie ! ! ! Morgane, réveille-toi. Combats-moi. Dépêche-toi. Il se passe quelque chose au rez-de-chaussée ! »
Je pourrais dire qu’à la lecture de cette lettre un frisson remonta ma colonne vertébrale, mais ce ne serait pas encore assez précis pour décrire ce que je ressentis. J’étais pétrifiée. Mon cœur bondit dans ma gorge et je m’agrippai aux bras de mon fauteuil. J’avais environ deux secondes pour me convaincre encore une fois qu’il s’agissait juste d’une invention de mon inconscient. Puis j’entendis le bruit reconnaissable de pas au rez-de-chaussée.
Mon alarme ne s’était apparemment pas déclenchée. Pourtant je n’imaginais rien.
On pourrait penser qu’une dure à cuire comme moi sortirait un Uzi d’un placard et se précipiterait en bas pour affronter les méchants comme un Rambo sous amphètes.
Eh bien, je suis peut-être une dure, mais je ne suis pas stupide.
Sans faire de bruit, je m’approchai de la fenêtre qui donnait sur ma minuscule arrière-cour. Le cœur battant à tout rompre, je soulevai la fenêtre et perçus comme un murmure provenant du rez-de-chaussée. Un murmure qui reçut une réponse, ce qui voulait dire qu’ils étaient au moins deux.
Je m’assis sur le rebord de la fenêtre et basculai mes jambes dans le vide. Ma cour est bordée de rosiers et j’ai aussi une treille de rosiers grimpants devant ma chambre, celle-ci se trouvant juste sous la pièce du premier étage. Je m’accrochai à la treille en espérant qu’elle supporterait mon poids et abaissai la fenêtre.
N’ayant pas eu la prévoyance de planter des rosiers sans épines, je m’égratignai tant et plus en descendant. Puis je me laissai tomber par terre et jetai un coup d’œil au coin de la maison.
Un 4 x 4 noir inconnu, aux vitres teintées, était garé dans mon allée.
Je ne vis personne dans la voiture, mais on ne pouvait jurer de rien avec ces vitres teintées. Quoi qu’il en soit, les intrus allaient finir par inspecter l’étage et je ne voulais pas qu’ils me découvrent tapie là.
Je traversai la cour en courant, le poing serré et la peur au ventre, tout en guettant le moindre cri. Tout était silencieux. Je franchis la haie de rosiers – parfois, être grande avec de longues jambes est un sacré avantage – puis continuai ma course. Le fils de mes voisins avait une cabane dans un arbre, une cachette et un poste d’observation idéaux. Pendant un instant, je pensai aller frapper à la porte d’une maison pour utiliser le téléphone, mais on était en pleine nuit et, le temps que je persuade quelqu’un de m’ouvrir – si j’y parvenais –, les intrus auraient le temps de décamper. Ou bien ils m’entendraient frapper à une porte et viendraient me chercher.
Je laisserais sans doute des traces de sang sur le sol de la cabane, tant pis, je n’y pouvais rien. Je me hissai sur les lattes de bois branlantes clouées sur le tronc de l’arbre et me contorsionnai dans la cabane. Une petite fenêtre me donnait une vue de mon allée et de ma porte d’entrée. Retenant mon souffle, immobile, je surveillai et attendis.
Pas longtemps. À peine trois minutes après m’être postée à la fenêtre, ma porte d’entrée s’ouvrit et trois silhouettes habillées de noir sortirent. Je plaquai une main sur ma bouche pour étouffer un halètement. Comme ils portaient tous les trois des cagoules de ski, je ne pus voir que leurs yeux, leur nez et leur bouche, sans même que cela soit bien net vu le noir et la distance. D’après leurs tailles et leurs silhouettes, je supposais qu’il s’agissait de trois hommes, bien qu’on ne puisse se fier aux apparences en pleine nuit. Par contre, ce qui était clair, c’était qu’ils étaient tous les trois armés jusqu’aux dents.
Je ne suis pas une fana des armes. Je serais incapable de vous dire précisément quelles armes ils portaient, mis à part que chacun avait une carabine ou un fusil, sanglé dans le dos, ainsi qu’une arme de poing dans un holster à la taille. Qui que soient ces hommes, quelle que soit la raison de leur présence chez moi, ces types ne rigolaient pas.
Ils grimpèrent dans le 4 x 4 noir et s’en allèrent. Le conducteur n’enleva pas son masque avant d’avoir quitté l’allée. J’aperçus des cheveux courts au travers du pare-brise avant. Ce fut tout. Je n’aurais su dire de quelle couleur ils étaient. Une chose est certaine, je ne réussis pas à lire la plaque d’immatriculation.
Je ne sais combien de temps je suis restée dans la cabane, tremblant sous l’effet de la peur et du froid combinés. Finalement, je décidai que les sales types ne reviendraient pas et descendis de l’arbre pour m’approcher avec précaution de ma maison, m’attendant que quelqu’un bondisse d’un des buissons pour m’attraper, mais cela n’arriva pas.
Ils avaient fermé la porte à clé en sortant. Quel genre de visiteur coiffé de cagoule de ski ferme votre porte en partant ? J’avais une clé de secours cachée dans les buissons. Pas sous un de ces trucs bidon en pierre sous lequel n’importe quel abruti avec une sale idée derrière la tête irait regarder. Non, ma clé se trouvait sous une vraie pierre.
Une fois à l’intérieur, je pris mon Taser et l’armai. Me sentant un peu moins nerveuse ainsi équipée, j’allai dans le salon et composai le 911.
Je passai le quart d’heure suivant à parcourir la maison pour voir s’il manquait quelque chose. Je ne fus pas surprise de constater que tout était là. Si ces types étaient des cambrioleurs, j’étais le Père Noël.
Juste avant l’arrivée des flics, je me glissai à l’étage et arrachai du bloc la note que je m’étais écrite. J’arrachai également les trois feuilles suivantes, pour être sûre. Je ne pensais pas que les policiers allaient fouiller ma maison aussi minutieusement, mais je ne voulais certainement pas qu’ils tombent sur ce message. J’aurais trop de mal à l’expliquer.
Les flics partirent vers 5 heures, une fois que je leur eus dit tout ce dont je me souvenais.
Les « cambrioleurs » avaient réenclenché l’alarme en quittant la maison, tout comme ils avaient fermé la porte à clé. Je pariais qu’ils avaient agi ainsi afin qu’on pense que personne n’était jamais venu. En y réfléchissant, je me rendis compte que non seulement il ne manquait rien, mais que rien n’avait été déplacé. Des cambrioleurs furtifs.
Des cambrioleurs furtifs qui n’avaient rien volé, qui portaient deux armes chacun et qui étaient entrés dans ma maison sans détruire l’alarme. Les flics décrétèrent qu’ils avaient probablement mon code de sécurité et qu’ils avaient tout simplement déconnecté l’alarme en entrant.
Vous pouvez être sûrs que je changeai mon code à l’instant où les flics repartirent. Et vous pouvez aussi parier que je ne me suis pas couchée ensuite, malgré mon état de fatigue. Je passais les heures du petit matin, assise sur mon canapé, les yeux vitreux, effrayée, sacrément troublée. Je n’avais personne vers qui me tourner pour demander de l’aide. Pas Val qui, d’après mon démon ou mon inconscient – choisissez –, n’était pas mon amie. Pas mon frère, pour la même raison. Et pas Brian. Parce que si ma vie déjà pourrie allait partir en vrille, je refusais de l’entraîner avec moi.
À la fin de la nuit, je compris que j’allais devoir me défaire de cette attitude : « ne pas impliquer Brian ».
Je passai une bonne partie de la journée au bureau à rédiger mes rapports sur les exorcismes de Lisa Walker et de Dominic Castello. La paperasse me prend en général plus de temps qu’il faudrait mais, étant donné le manque de sommeil dont je souffrais, ce fut un miracle que j’arrive à boucler tout ça en huit heures.
Habituellement, Brian et moi ne nous voyions pas beaucoup pendant la semaine. Il travaille tard et je suis souvent en déplacement. Quand nous devons nous lever tous les deux tôt le lendemain, ça nous gâche un peu le plaisir. Pourtant, quand j’envisageai de rentrer chez moi, je repensai à ces trois hommes masqués que j’avais vus sortir de chez moi, fermant ma porte à clé derrière eux, et mon sang se glaça.
Quelles étaient les chances pour qu’ils en restent là ? On entre, on voit qu’elle n’est pas chez elle, on s’en va, on ne revient pas. Ouais, c’est ça.
Pouvais-je espérer m’en sortir une seconde fois ? Non. J’avais eu une sacrée chance la nuit dernière. Même avec mon système d’alerte inconsciente, cela aurait pu être pire.
J’avoue, je m’accrochais toujours à l’espoir que mon inconscient me dictait ces notes. Mais ma prise sur cette illusion se relâchait et une partie paniquée de ma personne insistait pour que je cède. Pourtant, ma devise est de ne jamais faire aujourd’hui ce qu’on peut repousser à demain.
Je ne pouvais passer la nuit avec Brian sans lui parler de ce qui s’était passé chez moi. Cela ne me ressemblait pas de dormir chez lui, surtout pendant la semaine. Alors je lui livrai la version officielle de la police : des cambrioleurs professionnels avaient pénétré dans ma maison pendant la nuit et avaient détalé en m’entendant descendre par le mur sous la fenêtre.
Évidemment, je n’y croyais pas ! et je ne m’attendais pas que Brian avale cette histoire non plus. Malgré tout, je dois sous-estimer mes talents de menteuse. Ça, ou bien il ne lui a pas effleuré l’esprit que je puisse lui mentir. Rappelez-vous, il a cette philosophie à la Anne Frank, comme quoi les gens sont fondamentalement bons, ce qui nous place lui et moi à des pôles opposés sur l’échelle du cynisme. Je me faisais l’impression d’être une garce – un sentiment auquel je commençais à m’habituer –, mais je me réconciliai avec lui au lit. Il a toujours été impressionné par mes talents buccaux, aussi j’exploitai sur lui tous les petits trucs que je connaissais.
Ensuite il s’endormit en chien de fusil contre moi. Je restai éveillée un long moment, j’avais peur de m’endormir malgré le besoin pressant qu’avait mon corps de s’éteindre.
Je me réveillai dans une pièce d’un blanc éblouissant.
Murs blancs, plafond blanc, plancher blanc. Du blanc partout.
Je baissai les yeux pour constater que je portais un jean blanc et un sweat-shirt blanc. Je croyais être en plein rêve, sauf que je n’avais pas le sentiment de rêver. Je me pinçai le bras et cela me fit mal.
Il y eut un bruit comme une expiration tranquille dans mon dos. Lentement, je me retournai.
Il formait une tache noire qui tranchait sur tout ce blanc. Il mesurait environ 1,95 m, ses cheveux raides d’un noir de jais étaient rassemblés en queue-de-cheval à la base de sa nuque. Un Bombers en cuir noir décoré d’œillets argentés. Un pantalon en cuir noir qui collait à ses jambes, rentré dans ses bottes en cuir noir montant jusqu’aux genoux. Une peau bronzée juste assez claire pour être caucasienne, juste assez, sombre pour suggérer que ce n’était peut-être pas le cas.
Une fois digérée cette profusion de noir, je ressentis un nouveau choc en regardant ses yeux. De la couleur de l’ambre sombre traversé par le soleil, ils étaient rivés sur moi avec une telle intensité que je me sentis clouée sur place.
Il fit un pas vers moi. Je réussis à m’arracher à ma paralysie pour reculer d’un pas. Il s’arrêta, toujours en me regardant avec cette intensité étonnante, et il leva la main comme pour dire : « Tu vois, je n’ai pas d’armes, je suis complètement inoffensif. »
Je ne savais pas ce qui se passait, mais il y avait une chose dont j’étais sûre : ce type était tout sauf inoffensif. Grand, musclé, imposant, des yeux scintillants et un visage anguleux et austère qui me faisait penser à celui d’un sérial killer. Non, pas inoffensif du tout.
Je m’éclaircis la voix en me demandant pourquoi je n’étais pas plus effrayée vu les circonstances. C’est vrai, aux dernières nouvelles, j’étais pelotonnée au lit avec mon gentil et fiable Brian. Et voilà que je me retrouvais dans une pièce blanche flippante, prisonnière d’un des types les plus effrayants que j’avais jamais vus. Ouais, mon cœur battait un peu vite, mais je n’étais pas aussi terrifiée que j’aurais dû l’être. Peut-être étais-je droguée ?
— Je suppose que nous n’avons pas beaucoup de temps, dit M. le Terrifiant.
Sa voix, une basse profonde et grondante qui fit trembler mes genoux, était assortie à son apparence.
Je parcourus la pièce vide du regard – où diable se trouvait la porte ? –, me demandant où il croyait que j’allais pouvoir m’enfuir.
Puis soudain le tueur psychopathe sourit, une expression presque malicieuse qui changea tout. L’aura de menace disparut comme si elle n’avait jamais existé. Rien chez lui n’avait changé. Il était toujours imposant, toujours habillé de ce cuir noir agressif, ses yeux semblaient toujours briller comme s’ils étaient traversés par la lumière, mais il s’était transformé. En une seconde, l’homme effrayant était devenu incroyablement sexy. Tout ça à cause d’un sourire.
— Ta capacité à me résister est étonnante, dit-il du même grondement à la James Earl Jones.
Je secouai la tête, essayant en vain de trouver ma voix qui semblait écrasée quelque part dans ma gorge. Malgré l’étrangeté de la situation, mes yeux insistèrent pour faire un nouvel inventaire de cet homme imposant, sombre et dangereux. Il ne parut pas embarrassé par mon regard. En fait, si la bosse de sa braguette était un indicateur, il appréciait même plutôt.
La chaleur embrasa mes joues. Malgré le caractère réaliste de la scène, ce ne pouvait être qu’un rêve. Je ne me ferais certainement pas surprendre en train de mater la braguette d’un inconnu comme c’était le cas à ce moment-là.
Il éclata d’un rire qui résonna profondément en moi. Ma bouche s’assécha tandis que d’autres parties de mon anatomie se mouillèrent.
— Je vois que l’apparence que j’ai choisie te plaît, dit-il, et ses yeux ambre scintillèrent à ce trait d’humour.
— Euh…
C’était la seule contribution à la conversation dont j’étais capable pour le moment.
L’expression amusée quitta aussitôt son visage et je me sentis démunie.
— Tu rêves, me dit-il. En quelque sorte. Je fais de mon mieux pour communiquer avec toi. Les notes ne sont pas… un moyen approprié. Tu ne cesses de te réveiller en plein milieu.
Oh, alors c’était donc ça. Ouais, ce type était exactement le genre de messager que mon inconscient était capable d’élaborer. J’essayai de la jouer cool, en attendant que le rêve s’achève. Croisant les bras sur ma poitrine, je lui adressai mon plus beau regard de dure à cuire. Cela ne l’impressionna pas.
— Je sais que tu es train de te dire que je ne suis qu’une création de ton imagination, continua-t-il. Mais franchement, Morgane, est-ce que ton imagination a déjà été aussi nette ?
Je baissai les yeux pour éviter de croiser son regard entendu. C’était un inconnu pour moi. Il n’avait aucun droit d’avoir l’air entendu.
— Écoute, dis-je, mes yeux rivés sur un des œillets de son blouson. Je ne sais pas qui tu es ni ce que tu veux…
— Si tu avais la gentillesse de me laisser parler, je te le dirais, me coupa-t-il.
À contrecœur, je levai de nouveau les yeux vers son visage. Mon Dieu, qu’il était beau. De façon meurtrière. Je fis le geste de refermer ma bouche comme une fermeture Eclair. Il haussa un sourcil comme s’il ne comprenait pas vraiment, puis il poursuivit :
— Je m’appelle Lugh. Je suis un démon et je possède actuellement ton corps.
Quand il fronça les sourcils, la perfection de son visage en fut affectée.
— Façon de parler, je suppose, puisque je suis incapable de t’influencer sauf quand tu dors.
Je me rappelai la lettre que je m’étais écrite et dans laquelle j’avais prénommé mon démon imaginaire Lugh.
— Tu dis que je t’ai invité à me posséder alors que j’étais droguée, c’est ça ?
Il acquiesça.
— Mon premier souvenir, à mon réveil dans la Plaine des mortels, est d’être allongé sur ton lit. Tu avais été attachée. Un homme masqué t’a libérée. Il n’a rien dit et je ne parvenais pas à te faire bouger ou parler. Je crois que l’homme s’appelait Andrew, mais je n’en suis pas certain…
— Et je ne me rappelle rien de tout ça… Pourquoi donc ?
— Parce que tu étais droguée. Tu ne maîtrisais pas plus ton corps que moi.
Je ne croyais rien de tout ça – ou du moins, je m’efforçais de ne pas y croire –, mais je considérais que, même dans un rêve, il valait mieux ne pas contrarier les tueurs psychopathes capables de vous écrabouiller sans verser une goutte de sueur.
Pourquoi quelqu’un prendrait-il la peine de te coincer dans un hôte non consentant ? demandai-je. Il y a plein de volontaires.
Il fronça les sourcils, et la lumière derrière ses yeux s’intensifia.
— J’ai des ennemis parmi les miens. Des démons qui n’aiment pas le message que je porte. Je pense que quelqu’un essaie de me faire taire. Ce qui signifie aussi que quelqu’un savait que je ne serais pas en mesure de prendre le contrôle de ton corps. Ça n’était pas une bonne idée de dire à Valerie que je communiquais avec toi.
— Maintenant écoutez-moi, monsieur…
— S’ils essaient de me faire taire, ce n’est pas pour que je communique avec mon hôte.
Je laissai tomber mes mains en geste de frustration.
— Bon sang, mais qui sont ces « ils » ?
Il se rapprocha d’un pas. De nouveau, je reculai. Il pouvait bien être le type le plus mignon que j’aie jamais vu, mon envie de lui faire confiance n’était cependant pas à la mesure de ma peur.
— Je ne sais pas. Fais attention. Quelles que soient ces personnes, elles ne te laisseront pas en paix.
Il vacilla. Comme un de ces vieux films en noir et blanc.
— Bon sang ! dit-il. Tu me résistes encore. Je t’en prie, essaie de te détendre et laisse-moi te parler. Il faut qu’on décide quoi faire.
Je secouai la tête. Je ne savais pas ce que je faisais pour lui résister, mais peu importe, je désirais continuer. J’en avais assez de ce rêve, merci beaucoup.
Il vacilla encore.
Puis il disparut, et je me retrouvai seule dans la pièce blanche.
Quelques secondes plus tard, je me réveillai, pelotonnée en sécurité dans les bras de Brian.