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Première journée
La dame à 9 têtes derrière le comptoir de la réception fixait Athéna de ses 18 yeux.
— Tu dois être la nouvelle élève que Zeus m’a dit d’accueillir.
Ahurie, Athéna essayait de décider à quelle tête elle devait répondre : la verte à l’air grincheux, la moche orange, la violette impatiente ou… ? Avant même qu’elle puisse répondre, les têtes se mirent toutes à parler en même temps.
— Athéna, c’est ça ? De la Terre ?
Athéna hocha la tête. Retrouvant enfin sa langue, elle dit qu’elle était là pour s’inscrire aux cours.
— Madame Hydre ? clama un groupe d’élèves bruyants qui était venu lui demander quelque chose.
Toutes les têtes sauf une se retournèrent pour leur répondre.
— Voilà, dit la tête orange à Athéna. Tu trouveras ton choix de cours, le code de ton casier et ton numéro de chambre dans cette pochette, poursuivit madame Hydre en la glissant vers elle sur le comptoir. Les cours ont lieu dans le bâtiment principal, étages un à trois. Les dortoirs sont en haut, les filles au quatrième et les garçons au cinquième. Des questions ?
— Hum…
Athéna avait la tête qui tournait juste à essayer de se souvenir de tout ça. Elle tira de l’enveloppe la liste des cours. Qu’était-il arrivé à la philosophie, à la rhétorique et aux mathématiques ? se demanda-t-elle. Elle vit plutôt une liste de cours dont elle n’avait jamais entendu parler là-bas, au lycée Triton. Elle cocha cinq choix : héros-ologie, sortilèges-ologie, vengeance-ologie, bêtes-ologie, et beautéologie. Elle voulait en apprendre le plus possible, et le plus rapidement possible.
Madame Hydre paraissait un peu inquiète en lui tendant les cinq rouleaux de textes d’étude, une couleur différente pour chaque cours.
— Cinq cours ? C’est beaucoup pour ton premier trimestre ici. Es-tu bien certaine ?
La dame ne savait visiblement pas à qui elle avait affaire. Tout le monde à Triton savait qu’Athéna était une prodige. Pourtant, si elle avait eu le temps de réfléchir à deux fois, elle aurait peut-être laissé tomber un cours. Mais une cloche-lyre retentit dans la salle derrière elle, et elle craignit d’être en retard.
— Oui, oui, certaine.
Jonglant avec tous les renseignements qu’elle avait reçus, elle se précipita hors du bureau.
— Attends ! N’oublie pas ceci, dit madame Hydre en lui lançant un dernier rouleau. Il était rose pâle et fermé par un ruban argenté scintillant. Les mots Manuel de l’apprentie déesse étaient écrits sur l’extérieur du papyrus en lettres de fantaisie roses.
— Merci, lui cria Athéna.
Le cadran solaire dans la cour intérieure indiquait qu’il ne lui restait que 10 minutes pour trouver son casier et se rendre à son premier cours. En se dépêchant, elle tournait la tête de tous les côtés, prenant note de tout ce qu’elle pourrait raconter à Pallas dans la lettre qu’elle lui écrirait plus tard.
Les installations de l’Académie étaient si magnifiques ! Il y avait des sols en carreaux de marbre brillant et des fontaines dorées. Et le plafond en dôme était couvert de fresques illustrant les superbes exploits des dieux et des déesses. L’une d’elles représentait Zeus combattant des géants portant torches et lances qui assaillaient le mont Olympe. Une autre le montrait conduisant dans le ciel un char tiré par quatre chevaux blancs tout en envoyant des éclairs dans les nuages. C’était son père qui se tenait là ! Soudain, Athéna fut assaillie par la tristesse. Pallas adorerait tout ça ! Si seulement elle pouvait être là pour tout voir en même temps qu’elle.
D’autres élèves dépassèrent Athéna en trombe pour entrer en classe. Elle regarda avec ahurissement un étudiant qui avait une queue écaillée et des cornes, en fixa un autre tout visqueux avec des pieds palmés et se frotta les yeux d’incrédulité en en voyant encore un autre, qui était mi-humain, mi-cheval.
Trois filles en particulier attirèrent son attention. Même parmi tous ces autres êtres immortels étonnants, ces filles se démarquaient. L’une d’entre elles était extraordinairement belle, arborant une longue chevelure dorée et chatoyante. La deuxième, qui avait les cheveux courts et noirs, déambulait avec confiance, un carquois rempli de flèches accroché sur le dos et un arc à l’épaule. La troisième était pâle et délicate, avec des cheveux roux bouclés. Elles avaient toutes les trois des silhouettes gracieuses et étaient vêtues de tuniques amples appelées chitons, une mode qui faisait rage en Grèce. Et leur peau luisait légèrement, tout comme la sienne.
Les têtes se tournaient sur leur passage à mesure qu’elles avançaient dans le hall. Comme Athéna les regardait bouche bée elle aussi, elle vit qu’elles portaient toutes les trois des colliers en or identiques avec une breloque formant les lettres ADS entrelacées.
— Hé ! les apprenties déesses ! leur cria quelqu’un en leur envoyant la main.
C’était donc à ça que correspondaient les lettres ADS !
En haut des marches, Athéna remarqua trois autres filles, dont la peau avait la couleur des feuilles au printemps, qui avaient de longs cheveux d’un vert si profond qu’ils semblaient noirs. Elle regarda leur visage et fut interloquée. C’étaient des triplettes ! En tous points identiques sauf en une chose : seules deux d’entre elles avaient la peau chatoyante.
En les dévisageant, elle se rendit compte qu’elles aussi la dévisageaient.
— Salut, dit-elle en souriant.
Mais le trio tourna la tête d’un seul mouvement. Elle essaya très fort de ne pas se sentir blessée. Si ces filles étaient hautaines, cela ne signifiait pas pour autant que tout le monde serait comme elles, se dit-elle. Après tout, elle ne pouvait s’attendre à se faire des tas d’amis dès le premier jour.
Soudain, un garçon devant elle déploya des ailes géantes, ce qui la surprit au point de laisser tomber plusieurs de ses rouleaux. Un professeur qui passait par là attrapa le garçon par l’une de ses oreilles pointues.
— Pas de métamorphose dans les couloirs. Tu viens d’attraper un point d’inaptitude, jeune dieu.
Athéna s’agenouilla pour ramasser ses affaires. Tout ici était si différent de ce qui se passait là-bas à la maison. C’était fascinant, mais aussi un peu effrayant. À Triton, elle avait essayé très fort d’être comme les autres enfants, mais elle s’était toujours sentie différente. Peut-être qu’ici, où tout le monde était un peu bizarre, réussirait-elle à être elle-même ?
— Hé, tu es nouvelle ? demanda une voix. D’où viens-tu ?
En se relevant, Athéna regarda avec surprise la fille qui venait de lui adresser la parole. Ses cheveux étaient striés de mèches bleues et dorées, et sa frange, en forme de point d’interrogation, était collée sur son front. Sa peau ne chatoyait pas. Était-elle une mortelle ? Est-ce que ce serait impoli de le lui demander ?
— Comment t’appelles-tu ? demanda la fille, malgré le fait qu’Athéna n’avait pas encore répondu à ses deux premières questions.
Accompagnant Athéna dans le couloir, l’étrangère était un vrai moulin à paroles. Elle semblait poser toutes les questions qui se présentaient à son esprit.
Apercevant son casier, Athéna s’arrêta et l’ouvrit. Lorsque la fille fit une pause pour reprendre son souffle, Athéna lança :
— Je m’appelle Athéna. Et toi, comment…
Mais avant même qu’elle puisse terminer, la fille lui envoya encore des questions.
— Athéna, hein ? Alors, quand es-tu arrivée ici ? Ce matin ? Quels cours suis-tu ?
Athéna abandonna l’idée de pouvoir placer un mot et mit le plus de choses possible dans son casier.
— Alors, qui as-tu à la première période ? continua la fille. Est-ce que c’est…
— Salut, Pandore, dit une autre voix.
Athéna se retourna. C’était l’une des trois magnifiques déesses qu’elle avait remarquées plus tôt ; celle aux cheveux d’or portant un collier avec la breloque ADS. Ses longues tresses luisantes étaient entrelacées de rubans et retenues par des barrettes en forme de coquillage qui étaient assorties à ses yeux bleus pétillants et à la ceinture qu’elle portait à la taille de son chiton blanc. De près, c’était une beauté à couper le souffle, comme aucune autre que n’ait jamais vue Athéna, même dans la revue Adozine.
— Quoi de neuf, Aphrodite ? demanda Pandore, en lui souriant. Ouah ! Où as-tu trouvé cette magnifique ceinture ?
Avant que la séduisante jeune déesse puisse placer un seul mot, Pandore se retourna pour regarder passer un jeune dieu.
Splouch, splouch, splouch.
Ses pieds faisaient des bruits de succion, et il laissait des empreintes humides derrière lui. Il tenait à la main une lance à trois dents. Avec sa peau et ses yeux turquoise, c’était le plus beau jeune dieu qu’avait vu Athéna jusque-là. Et il ressemblait en tous points à la statue que Pallas et elle avaient vue en Crète. Celle de…
— Poséidon ! Hé, où as-tu eu cette fourche super ? vociféra Pandore en le suivant.
— Ça s’appelle un « trident », l’informa-t-il.
Athéna les suivit du regard.
— Est-ce que Pandore est mortelle ? demanda-t-elle.
— Es-tu nouvelle ici ? demanda Aphrodite en même temps.
Les deux se mirent à rire.
— J’imagine que la curiosité de Pandore est contagieuse, dit Aphrodite.
Elle changea de côté les rouleaux qu’elle portait sur la hanche.
— Je commence, poursuivit-elle. Oui, Pandore est une mortelle. On peut le savoir à sa peau, qui ne chatoie pas comme la nôtre. À toi, maintenant.
Athéna lui sourit. Aphrodite n’était pas seulement magnifique, elle était aussi gentille.
— Je suis Athéna, dit-elle. Et, oui, je suis nouvelle. J’ai posé la question au sujet de Pandore parce que je me demandais si les mortels avaient le droit de venir à l’école ici. J’ai une amie sur Terre qui est mortelle et j’ai pensé que peut-être elle pourrait…
Aphrodite secoua la tête, devinant sans doute ce qui allait suivre.
— Pandore n’est pas n’importe quelle mortelle. Les dieux ont pris grand soin d’elle lorsqu’ils l’ont créée, lui transférant des dons bien spéciaux.
— La curiosité ? devina Athéna.
— Ça et d’autres choses aussi, dit Aphrodite.
— Mais est-ce que d’autres mortels viennent à l’école ici ? J’ai vu trois filles un peu plus tôt, dit Athéna. Des triplettes à la peau verte. Et la peau de l’une d’elles ne chatoyait pas.
— Méduse, dit Aphrodite en hochant la tête. Ses deux sœurs sont des déesses, mais pas elle. Seuls quelques-uns des mortels particuliers invités par Zeus ont la chance de fréquenter l’Académie avec nous. De nouveaux élèves, tant des mortels que des immortels, vont et viennent chaque trimestre selon son bon vouloir. Tu dois être bien spéciale pour qu’il t’ait invitée.
Spéciale ? Elle espérait sincèrement l’être, car il semblait que Zeus puisse décider de la renvoyer à la maison si elle n’était pas à la hauteur, comprit soudain Athéna avec effarement. Imaginez un peu, son propre père la renvoyant de l’Académie du mont Olympe. Ce serait si gênant, sans parler de la terrible désillusion qui suivrait.
À ce moment-là, un héraut apparut à un balcon au bout du couloir.
— Le premier cours de l’année scolaire commence maintenant ! annonça-t-il d’une voix forte et importante. Il frappa ensuite la cloche-lyre avec un petit maillet.
Ping ! Ping ! Ping !
— Oh non ! Nous sommes en retard ! s’exclama Athéna. Elle attrapa son rouleau pour le premier cours et l’enfonça dans son sac. Hissant la courroie du sac sur son épaule, elle referma son casier brusquement.
— T’en fais pas, dit Aphrodite calmement. Les profs sont toujours un peu plus indulgents le premier jour. Alors, quel cours as-tu ?
— Héros-ologie, dans la classe 208, dit Athéna.
Elle avait déjà mémorisé son horaire de cours et les numéros de salle correspondants.
Aphrodite sourit, ce qui la rendait encore plus éblouissante.
— Moi aussi. Allons-y.