Chapitre 20

La nouvelle que les Tornado britanniques avaient manqué leur véritable objectif à Al-Qubai avait profondément troublé l'homme que l'on connaissait sous le seul pseudonyme de Jéricho. Il dut prendre énormément sur lui-même pour se lever et applaudir le Raïs avec les autres qui manifestaient ainsi leur adoration.

Dans la voiture aveugle qui le ramena dans le centre de Bagdad avec les autres généraux, il resta assis silencieux à l'arrière, plongé dans ses pensées. Que l'utilisation de cet engin maintenant caché quelque part dans ce qu'on appelait Qa'ala, la Forteresse, dont il n'avait jamais entendu parler et dont il ne connaissait pas l'emplacement, que cet emploi puisse faire de nombreuses, de très nombreuses victimes, il s'en souciait comme d'une guigne. C'était sa propre situation qui le préoccupait. Pendant trois ans, il avait pris tous les risques en trahissant le régime de son propre pays. La question n'était pas tellement de savoir qu'il s'était constitué une solide fortune à l'étranger. Il aurait probablement pu en faire autant par l'extorsion ou le vol ici même, en Irak, même si cela comportait aussi un certain nombre de risques. Ce qu'il voulait, c'était fuir à l'étranger avec une nouvelle identité et un nouveau passé fournis par ceux qui le payaient. Il se serait mis à couvert chez eux, à l'abri des escadrons de la mort. Il avait pu voir quel était le sort réservé à ceux qui s'étaient contentés de voler et de prendre la fuite. Ils vivaient dans la terreur, jusqu'à ce qu'un jour, les vengeurs irakiens s'emparent d'eux.

Lui, Jéricho, désirait à la fois la richesse et la sécurité, et c'est pourquoi il avait vu d'un bon œil son contrôle passer des Israéliens aux Américains. Ils s'occuperaient de lui, respecteraient leur parole, lui fabriqueraient une nouvelle identité, lui permettraient de devenir un autre homme et de prendre une autre nationalité, il pourrait s'acheter une maison près de la mer au Mexique et vivre dans le luxe et le confort.

Mais maintenant, les choses avaient changé. S'il se taisait et si l'engin était utilisé, ils se diraient qu'il avait menti. Il n'avait pas menti, mais dans leur fureur, ils ne voudraient jamais le croire. Quoi qu'il arrive, les Américains bloqueraient son compte et il se serait donné tout ce mal pour rien. D'une manière ou d'une autre, il fallait qu'il réussisse à les prévenir qu'il y avait eu une erreur. Encore quelques risques supplémentaires, et tout serait terminé - l'Irak vaincue, le Raïs jeté bas, et lui, Jéricho, serait alors bien loin.

Il écrivit un message dans le secret de son bureau, en arabe comme d'habitude, sur ce papier fin qui prenait si peu de place. Il y expliquait ce qui s'était passé au cours de la réunion de la soirée ; que, lorsqu'il avait envoyé son dernier message, l'engin se trouvait bien à Al-Qubai comme il l'avait affirmé, mais que, quarante-huit heures plus tard, quand les Tornado étaient arrivés, il n'y était plus. Et que tout cela n'était pas de sa faute.

Il continua en racontant tout ce qu'il savait. Qu'il y avait un endroit secret, appelé la Forteresse. Que l'engin y était et que c'était à partir de là, depuis la Qa'ala, qu'il serait lancé lorsque le premier Américain franchirait la frontière irakienne.

Peu après minuit, il monta dans une voiture banalisée et disparut dans les rues de Bagdad. Personne ne se soucia de le voir agir ainsi ; personne ne l'aurait osé. Il déposa le message dans la boîte située près du marché aux fruits et aux légumes, à Kasra, puis fit une marque à la craie derrière l'église Saint-Joseph, dans le quartier des Chrétiens. Mais cette fois-ci, la marque de craie était légèrement différente. Il espérait que l'homme invisible qui ramassait ses messages ne perdrait pas de temps.

De son côté, Mike Martin quitta la villa des Soviétiques tôt le matin, le 15 février. La cuisinière russe lui avait remis une longue liste de produits frais à acheter, une liste qu'il allait être très difficile de trouver. La nourriture commençait à manquer. Ce n'était pas la faute des fermiers, c'était dû aux problèmes de transport. La plupart des ponts étaient détruits, et la plaine du centre de l'Irak est couverte de rivières qui irriguent les cultures alimentant Bagdad. Contraints de payer des droits de péage pour les franchir, les producteurs avaient décidé de rester chez eux.

Heureusement, Martin commença par le marché aux épices, rue Shurja, puis fit à vélo le tour de l'église Saint-Joseph en prenant l'allée de derrière. Il sursauta en voyant la marque de craie.

La marque affectée à ce mur précis était un huit couché, avec une petite barre qui passait à l'intersection des deux cercles. Mais il avait prévenu Jéricho auparavant qu'en cas d'urgence, ce trait devait être remplacé par deux petites croix dans chacune des boucles du huit. Et aujourd'hui, les croix étaient là.

Martin pédala de plus belle pour se rendre au marché de Kasra, attendit un peu qu'il fasse complètement jour, s'arrêta comme d'habitude pour attacher sa sandale, glissa la main dans la cachette et trouva le petit sachet de plastique. A midi, il était de retour chez lui. Il expliqua à la cuisinière furibonde qu'il avait fait de son mieux, mais que les produits frais n'arriveraient que plus tard en ville. Il y retournerait l'après-midi.

C'est en lisant le message de Jéricho qu'il comprit pourquoi l'homme paniquait. Martin rédigea lui-même un message, dans lequel il expliquait à Riyad pourquoi il croyait le moment venu de prendre directement les choses en main et de décider sur place de la conduite à tenir. Il n'y avait plus le temps de se réunir à Riyad ni d'envoyer d'autres messages. Pour lui, le pire était ce que Jéricho lui annonçait : le contre-espionnage irakien savait qu'il y avait un émetteur clandestin et qu'il émettait des messages extrêmement brefs. Il ignorait où ils en étaient de leurs recherches, mais il devait faire l'hypothèse qu'il ne lui serait désormais plus possible de rester en liaison avec Riyad. Par conséquent, c'est lui qui prenait dorénavant les décisions.

Martin lut d'abord le message de Jéricho en arabe, puis en anglais, devant le micro du magnétophone. Il y ajouta son propre message et se prépara à émettre.

Son prochain créneau d'émission était tard dans la nuit - c'était toujours la nuit, à un moment où la maison de Koulikov était endormie. Mais, comme Jéricho, il disposait lui aussi d'une procédure d'urgence. Cette procédure consistait en l'émission d'un long signal - dans ce cas, un sifflement aigu, sur une fréquence totalement différente, bien au-delà de la bande VHP habituelle.

Il s'assura que le chauffeur irakien se trouvait avec le premier secrétaire à l'ambassade, dans le centre ville, et que le domestique russe déjeunait avec sa femme. Puis, en dépit du risque, il dressa l'antenne satellite dans l'embrasure et envoya le signal aigu.

Dans la hutte radio installée dans une chambre à coucher de la villa du SIS, à Riyad, un voyant s'alluma. Il était treize heures trente. Le radio de quart, qui s'occupait du trafic de routine entre la villa et le siège de Century à Londres, abandonna ce qu'il était en train de faire, appela son collègue pour lui donner un coup de main et se prépara à recevoir Martin sur la fréquence du jour.

L'autre opérateur passa la tête par la porte. " Qu'est-ce qui se passe ?

- Va chercher Steve et Simon, c'est Ours Brun, et c'est urgent. "

L'homme s'en alla. Martin laissa quinze minutes à Riyad, puis transmit son message.

Riyad ne fut pas seul à capter l'émission. Près de Bagdad, une autre antenne satellite balayait sans cesse la bande VHP et en intercepta une partie. Le message était si long que, même compressé, il dura quatre secondes. Les opérateurs irakiens interceptèrent les deux dernières et obtinrent un relèvement.

Dès qu'il eut émis, Martin replia tout son équipement et le rangea sous les carreaux du sol. A peine avait-il terminé qu'il entendit un crissement de gravier. C'était le domestique russe qui, dans un élan de bonté, avait traversé le jardin pour lui offrir une cigarette, une Balkan. Martin accepta avec beaucoup de remerciements et de courbettes. Le Russe, fier d'avoir montré sa bonne nature, retourna à la maison. Pauvre idiot, songeait-il, quelle vie...

Quand il fut à nouveau seul, le pauvre idiot se mit à écrire d'une fine écriture arabe, sur une feuille du bloc de papier pelure qu'il conservait sous sa paillasse. Pendant ce temps, un génie des radiocommunications, le major Zayeed, était penché sur un plan de la ville à grande échelle, et se concentrait tout particulièrement sur le quartier de Mansour. Lorsqu'il eut achevé ses calculs, il les vérifia une nouvelle fois et appela le général Rahmani au quartier général du Mukhabarat, situé à moins de cinq cents mètres du losange allongé que constituait le quartier Mansour, coloré en vert sur son plan. Ils convinrent d'un rendez-vous à seize heures.

A Riyad, Chip Barber faisait les cent pas dans le salon de la villa, une feuille de papier imprimé à la main. Il transpirait comme cela ne lui était pas arrivé depuis son séjour chez les marines, trente ans plus tôt. " Mais bon sang de bon sang, qu'est-ce qu'il fabrique ? demanda-t-il aux deux officiers britanniques qui se trouvaient avec lui.

- C'est facile à deviner, Chip, ça fait un bout de temps qu'il est là-bas. Il est soumis à une tension terrible. Les méchants sont en train de rappliquer. La sagesse serait de le faire sortir de là, immédiatement.

- Ouais, je sais, c'est un sacré bonhomme, mais il n'a pas le droit de faire ça. C'est nous qui tenons le robinet, rappelez-vous.

- Nous le savons parfaitement, répondit Paxman, mais c'est quelqu'un de chez nous et il est à des kilomètres d'ici, dans le pétrin. S'il décide de rester, c'est pour terminer le boulot, autant pour vous que pour nous. "

Barber se calma.

" Trois millions de dollars. Mais bon Dieu, comment est-ce que je vais dire à Langley qu'il vient d'offrir à Jéricho encore trois autres millions supplémentaires pour nous donner la bonne réponse, cette fois ? Cet enculé d'Irakien n'avait qu'à la trouver du premier coup. Pour autant que nous sachions, il pourrait continuer comme ça indéfiniment, juste pour se faire un peu d'argent.

- Chip, l'interrompit Laing, nous parlons d'une bombe atomique.

- Peut-être, grommela Barber, peut-être parlons-nous d'une bombe atomique. Peut-être Saddam a-t-il réussi à avoir suffisamment d'uranium. Tout ce que nous avons, ce sont les calculs d'un certain nombre de scientifiques et ce que prétend d'autre part Saddam, en supposant qu'il l'ait vraiment prétendu. Bon Dieu, Jéricho n'est qu'un mercenaire, il peut très bien mentir comme un arracheur de dents. Les scientifiques peuvent se tromper, Saddam ment comme il respire. Et qu'est-ce qu'on a eu exactement pour tout cet argent ?

- Vous acceptez de courir le risque ? " demanda Laing.

Barber se laissa tomber sur une chaise.

" Non, finit-il par répondre, non, je n'accepte pas. OK, je vais discuter de tout ça avec Washington. Puis nous en parlerons aux généraux. Il faut qu'ils soient au courant. Mais laissez-moi vous dire une bonne chose, les gars : un jour, je verrai ce Jéricho et s'il se fout de notre gueule, je lui mettrai mon poing dans la figure et je le tabasserai jusqu'à ce qu'il en crève. "

A quatre heures de l'après-midi, le major Zayeed arriva dans le bureau de Hassan Rahmani, son plan et ses calculs sous le bras. Il expliqua avec beaucoup de soin qu'il venait d'obtenir un troisième relèvement et que cela lui permettait de réduire la surface possible à la taille du losange colorié en vert sur le plan de Mansour. Rahmani le regarda, l'air dubitatif.

" Cela fait cent mètres sur cent, dit-il. Je croyais que la technologie moderne permettait de descendre à un mètre carré.

- Si j'avais une émission de plus longue durée, oui, ce serait possible, expliqua patiemment le major. Je peux capter un faisceau pas plus large qu'un mètre. Coupez ça avec un autre relèvement de même largeur et vous obtenez bien votre mètre carré. Mais dans notre cas, les émissions sont extrêmement courtes. Il émet, et deux secondes après, plus rien. Le mieux que je puisse obtenir, c'est un cône très étroit centré sur le récepteur, mais il s'élargît proportionnellement à la distance. Peut-être un angle d'une seconde d'arc en relèvement. A quatre kilomètres, ça fait déjà une centaine de mètres. Mais le résultat est tout de même une zone assez réduite. "

Rahmani regarda le plan. Il y avait quatre constructions dans le losange.

" On pourrait aller faire un tour là-bas et voir ce qui s'y passe ", suggéra-t-il.

Les deux hommes allèrent faire un tour dans Mansour avec le plan et explorèrent toute la zone colorée. Le coin était très résidentiel. Les quatre résidences étaient isolées les unes des autres par des murs et possédaient toutes leurs jardins privés. Ils terminèrent à la nuit tombante.

" On va faire une descente demain matin, dit Rahmani. Je vais faire boucler discrètement le quartier. Vous savez ce que vous cherchez. Vous allez là-bas avec vos spécialistes et vous fouillez les quatre maisons l'une après l'autre. Et quand vous aurez trouvé, vous aurez votre espion.

- Il y a un problème, remarqua le major. Vous voyez cette plaque en cuivre, ici? C'est une résidence de l'ambassade soviétique. "

Rahmani réfléchissait. Il risquait de ne pas se faire féliciter s'il déclenchait un incident diplomatique.

" Faites les trois autres, ordonna-t-il. Si vous ne trouvez rien, je verrai le cas du bâtiment soviétique avec le ministère des Affaires étrangères. "

Pendant qu'ils discutaient, l'un des membres du personnel de l'ambassade se trouvait déjà à cinq kilomètres de là. Le jardinier Mahmoud Al-Khouri se trouvait dans l'ancien cimetière britannique, où il déposait un petit sachet de plastique dans l'urne d'une tombe abandonnée depuis bien longtemps. Un peu plus tard, il laissa une marque de craie sur le mur de l'immeuble de l'Union des journalistes. Repassant dans le quartier tard le soir, il vit juste avant minuit que la marque avait été effacée.

Ce soir-là se tenait une réunion à Riyad, une réunion très .restreinte dans une salle bouclée, deux niveaux sous l'immeuble du ministère de la Défense saoudien. Etaient présents quatre généraux et deux civils, Barber et Laing. Lorsqu'ils eurent terminé de parler, les quatre généraux gardèrent un silence lugubre.

" C'est bien vrai ? demanda l'un des généraux.

- Si vous voulez une certitude à cent pour cent, on ne peut pas la garantir, répondit Barber. Mais nous pensons qu'il existe une très forte probabilité que l'information soit exacte.

- Et qu'est-ce qui vous rend si sûr de vous ? demanda le général de l'USAF.

- Messieurs, comme vous l'avez certainement deviné, nous avons un agent à Bagdad depuis plusieurs mois, quelqu'un de très haut placé dans la hiérarchie du régime. "

On entendit une série de grognements approbateurs.

" On ne s'imaginait tout de même pas que tous ces renseignements sur les objectifs sortaient directement de Langley ou d'une boule de cristal, dit le général de l'Air Force, qui en voulait encore à la CIA de mettre en doute les résultats de ses pilotes.

- Le problème, reprit Laing, c'est que nous n'avons jamais réussi à mettre ces renseignements en défaut. S'il ment maintenant, c'est qu'il est vraiment trop con. Deuxième question : pouvons-nous prendre ce risque ? "

II y eut un silence qui se prolongea plusieurs minutes.

" II y a une seule chose que vous avez oubliée, les gars, dit l'homme de l'USAF, c'est la livraison.

- La livraison ?

- Avoir une arme est une chose, la balancer sur la tronche de l'adversaire en est une autre. Ecoutez, personne ne peut croire que Saddam en est déjà au niveau de la miniaturisation. C'est hypertechnique. Donc il ne peut pas lancer ce machin, s'il l'a, avec un canon de char. Ou avec une pièce d'artillerie, qui a le même calibre. Ou une batterie de Katiouchka. Ou un missile.

- Et pourquoi pas avec un missile, mon général ?

- La charge utile, répondit le volant d'un ton sarcastique. Foutue charge utile. S'il s'agit d'un engin rudimentaire, il faut compter une demi-tonne. Disons mille livres. Nous savons que les missiles Al-Abeid et Al-Tammuz n'en étaient qu'au stade du développement quand nous avons détruit leurs installations à Saad-16. Les Al-Abbas et Al-Badr, même chose. Aucun ne marche, alors ou bien ils ne sont pas prêts, ou bien ils ont été réduits en bouillie.

- Et le Scud ? demanda Laing.

- Même chose, fit le général. Le missile à longue portée, celui qu'ils appellent Al-Hussein, continue à se casser en morceaux à la rentrée, et il a une charge utile de cent soixante kilos. Même le Scud d'origine, celui qui leur a été livré par les Soviétiques, a une capacité maximale de cent soixante kilos. Trop petit.

- Il reste la possibilité d'une bombe larguée par avion ", insista Barber. Le général de l'Air Force éclata de rire.

" Messieurs, j'en prends solennellement l'engagement formel. A compter de maintenant, aucun appareil de combat irakien n'est plus en mesure d'atteindre la frontière. Et la plupart ne pourront même pas quitter la piste. Ceux qui essaieront et qui se dirigeront vers le sud se feront descendre à mi-chemin. J'ai assez de chasseurs, assez d'AWACS, et c'est pourquoi je peux prendre cet engagement.

- Et la Forteresse ? demanda Laing, Le site de lancement ?

- Un hangar top-secret, sans doute enterré, une simple piste qui mène à la sortie. Il doit abriter un Mirage, un MIG, un Sukhoi - en état et prêt à s'envoler. Mais on l'aura descendu avant qu'il ait atteint la frontière. "

La décision finale revenait à un général américain assis au bout de la table.

" Pensez-vous pouvoir trouver le refuge qui abrite cet engin ? demanda-t-il tranquillement.

- Oui, mon général. Nous avons déjà commencé à chercher. Nous pensons que cela peut demander encore quelques jours.

- Trouvez-le, et alors nous le détruirons.

- Et l'invasion est pour dans quatre jours, mon général ?

- Je vous tiendrai informés. "

Le soir même, on annonça que la date de l'invasion du Koweït et de l'Irak était repoussée au 24 février.

Plus tard, les historiens devaient fournir plusieurs raisons susceptibles d'expliquer ce délai. La première était que les marines américains voulaient déplacer l'axe principal d'attaque de quelques kilomètres à l'ouest et que cela exigeait des mouvements de troupes, des transferts de matériel et quelques autres préparatifs. C'était exact.

Une autre raison avancée plus tard par la presse était que deux pirates britanniques s'étaient introduits dans le système informatique du ministère de la Défense et avaient semé un désordre épouvantable dans les bulletins météo de la zone d'assaut, ce qui avait perturbé le choix du meilleur jour possible pour l'attaque, en tout cas d'un point de vue météorologique. En fait, le temps resta au beau fixe du 20 au 24, et ne commença à se détériorer qu'au moment même de l'assaut terrestre.

Le général Norman Schwarzkopf était un grand et solide bonhomme, physiquement, moralement et intellectuellement. Mais il n'aurait pas été un être humain, ni dans un sens ni dans l'autre, si la tension de ces dernières journées n'avaient pas commencé à produire ses effets sur lui.

Depuis six mois, il travaillait vingt heures par jour, sans aucun répit. Il avait non seulement supervisé le plus important et le plus rapide des déploiements militaires de tous les temps, il avait dû également se débrouiller dans les relations complexes avec les sensibilités de la société saoudienne, maintenir l'harmonie alors que des douzaines de rivalités intestines auraient pu faire voler la coalition en éclats, et enfin, se défendre contre les interventions pleines de bonne volonté - encore que le plus souvent inutiles et épuisantes - du Capitole.

Pourtant, ce n'était pas cela qui avait troublé son sommeil, pendant tous ces derniers jours. C'était la responsabilité écrasante de toutes ces jeunes existences qui tournait au cauchemar.

Et le Triangle figurait en bonne place dans ce cauchemar. Toujours le Triangle. C'était l'angle droit d'un triangle, allongé sur un des côtés. Le premier côté était constitué par la ligne côtière allant de Khafji jusqu'à Jubail, en passant par les trois villes de Dammam, Al-Khoba et Dhahran. Le deuxième côté du triangle était formé de la ligne frontalière qui partait d'abord de la côte en direction de l'ouest, séparant l'Arabie Saoudite et le Koweït, puis qui pénétrait dans le désert où elle devenait la frontière irakienne. L'hypoténuse était la ligne oblique reliant le dernier avant-poste isolé dans le désert à la côte, à la hauteur de Dhahran.

A l'intérieur de ce triangle, près d'un demi-million d'hommes et quelques femmes attendaient ses ordres. Ils étaient américains à quatre-vingts pour cent. Les Saoudiens étaient à l'est, ainsi que d'autres contingents arabes et les marines. Au centre, les grandes unités blindées et mécanisées américaines et, parmi elles, la lère division blindée britannique. Sur le flanc extrême, les Français.

Au début, dans son cauchemar il voyait des dizaines de milliers de jeunes gens qui se ruaient dans la brèche pour l'assaut, aspergés de produits chimiques et mourant entre les dunes de sable. Maintenant, c'était pire.

Une semaine plus tôt seulement, en contemplant le Triangle sur une carte d'état-major, un officier de renseignements de l'armée de terre avait lancé : " Peut-être Saddam a-t-il l'intention de lancer une bombe atomique jusqu'ici ? " Cet officier pensait faire une bonne blague.

Cette nuit-là, le général essaya encore de s'endormir, sans résultat. Toujours le Triangle. Il y avait trop de monde, dans un espace trop exigu.

Dans la villa occupée par le SIS, Laing, Paxman et les deux radios se partageaient une caisse de bière rapportée clandestinement de l'ambassade de Grande-Bretagne. Eux aussi étudiaient la carte, eux aussi voyaient parfaitement le Triangle. Et eux aussi sentirent la tension monter.

" Une seule de ces sacrées bombes, une toute petite, une bombe rustique même moins puissante que celle d'Hiroshima dans ce coin, une explosion terrestre ou aérienne... ", fit Laing.

Ils n'avaient pas besoin d'avoir de grandes connaissances scientifiques. La première explosion tuerait plus de cent mille jeunes soldats. En quelques heures, le nuage radioactif, après avoir aspiré des milliards de tonnes de sable contaminé dans le désert, commencerait à dériver et sèmerait la mort sur son passage.

Les bâtiments à la mer auraient le temps de s'éloigner, mais ce ne serait le cas ni des troupes ni des habitants des villes saoudiennes. Le nuage dériverait vers l'est, prendrait de l'ampleur au-dessus de Bahreïn et des bases aériennes alliées. Il empoisonnerait la mer jusqu'à la côte iranienne où il irait exterminer l'une des trois catégories d'êtres vivants dont Saddam avait décrété qu'elles n'étaient pas dignes de vivre : les Iraniens, les juifs et les mouches...

" II ne peut quand même pas la lancer, dit Paxman. Il n'a ni missile ni avion pour le faire. "

Très loin plus au nord, caché dans le Djebel Al-Hamreen, profondément enfoui dans le tube d'un canon long de cent quatre-vingts mètres et dont la portée atteignait mille kilomètres, le Poing de Dieu reposait, inerte, attendant qu'on le fasse s'envoler.

La maison de Qadisiyah n'était qu'à demi réveillée et ne s'attendait absolument pas à voir débarquer les visiteurs à l'aube. Lorsque son propriétaire l'avait bâtie, bien des années plus tôt, il l'avait construite au milieu des vergers. .Elle se trouvait à cinq kilomètres des quatre villas de Mansour que le major Zayeed se préparait à placer sous surveillance.

Le développement de la banlieue sud-ouest de Bagdad avait complètement noyé la vieille maison et le bruit de la nouvelle autoroute de Qadisiyah polluait désormais ce qui avait été autrefois des plantations de pêchers et d'abricotiers. C'était pourtant encore une belle maison, dont le propriétaire était un homme prospère, retiré depuis assez longtemps. Elle était entourée de murs et le fond du jardin possédait encore quelques arbres fruitiers.

Deux camions de soldats de l'AMAM avaient été placés sous le commandement du major, et ils n'y allèrent pas par quatre chemins. La serrure de la porte principale fut .ouverte d'une rafale, le vantail tiré et les soldats se ruèrent à l'intérieur du jardin. Ils défoncèrent la porte d'entrée et tabassèrent le vieux domestique qui essayait de les arrêter.

Ils se précipitèrent à l'intérieur, ouvrant grands les placards, arrachant les suspensions, tandis que le vieil homme terrifié essayait de protéger sa femme. Les soldats saccagèrent tout et ne trouvèrent rien. Lorsque le vieillard les supplia de lui dire ce qu'ils recherchaient ou ce qu'ils voulaient, le major lui répondit rudement qu'il connaissait parfaitement la réponse et la fouille continua.

Après la maison, les soldats passèrent au jardin. C'est dans le fond, près du mur, qu'ils trouvèrent un carré de terre fraîchement retournée. Deux d'entre eux maintenaient le vieil homme tandis que d'autres creusaient. Il protesta, maintenant qu'il ne savait pas pourquoi la terre était meuble. Il n'avait rien enterré. Mais ils trouvèrent tout de même.

C'était un sac en toile grossière et tout le monde vit, lorsqu'ils le vidèrent, qu'il contenait un émetteur radio.

Le major ne connaissait rien aux appareils radio, et il se moquait d'ailleurs totalement, s'il y avait compris quelque chose, de savoir que ce vieux modèle, un émetteur Morse, était à des années-lumière de l'émetteur satellite ultramoderne utilisé par Mike Martin. Lequel émetteur était toujours caché sous le sol de la remise, au fond du jardin du premier secrétaire Koulikov. Pour le major de l'AMAM, un émetteur était un truc d'espion et c'était la seule chose qui lui importait.

Le vieil homme commença à se lamenter, disant qu'il ne l'avait jamais vu, que quelqu'un avait dû passer par-dessus le mur pendant la nuit pour l'enterrer à cet endroit, mais ils le battirent à coups de crosse de fusil et sa femme subit le même sort quand elle se mit à hurler.

Le major examina le trophée et put même constater que les hiéroglyphes inscrits sur le sac étaient des caractères hébreux.

Ils ne voulaient ni le vieux domestique ni la femme, ils voulaient l'homme. II avait plus de soixante-dix ans, mais quatre soldats l'empoignèrent par les poignets et les chevilles, face vers le sol, et ils le jetèrent à l'arrière d'un camion, comme un vulgaire sac de figues.

Le major était content. Il était intervenu sur un appel anonyme, il avait fait son devoir. Ses supérieurs seraient contents de lui. Son prisonnier méritait mieux que la prison d'Abu Ghraib. Il l'emmena au quartier général de l'AMAM puis au Gymnase. Voilà, se dit-il, le seul endroit qui convienne à un espion israélien.

Ce même jour, 16 février, Gidi Barzilai était à Paris où il montrait son dessin à Michel Lévy. Le vieil antiquaire était ravi d'être utile. On ne le lui avait demandé qu'une seule fois jusqu'ici. Il avait prêté quelques meubles à un katsa qui essayait de s'introduire dans une certaine demeure en se faisant passer pour un marchand d'antiquités.

Pour Michel Lévy, être consulté par le Mossad et pouvoir l'aider était un vrai plaisir, quelque chose de très excitant qui égayait l'existence du vieil homme.

" Boulle, décréta-t-il.

- Je vous demande pardon, dit Barzilai, qui crut s'être montré trop bourru.

- Boulle, répéta le vieil homme. Le grand ébéniste français. C'est son style, indéniablement, mais ce n'est pas un meuble de lui, il a été fabriqué trop tard.

- Alors, il est de qui ? "

M. Lévy avait plus de quatre-vingts ans et une couronne de cheveux blancs entourait sa calvitie. Mais il avait des joues bien roses et ses yeux vifs brillaient du plaisir d'être encore en vie. Il avait dit le kaddish pour tant d'hommes de sa génération.

" Eh bien, lorsque Boulle est mort, il a transmis son atelier à son protégé, l'Allemand Oeben. A son tour, celui-ci a transmis la tradition à un autre Allemand, Riesener. Je pense que ce meuble appartient à la période Riesener. Fabriqué certainement par un élève, peut-être par le maître en personne. Vous envisagez de l'acheter ? "

II plaisantait, bien sûr. Il savait que le Mossad n'achetait pas d'œuvres d'art. Ses yeux pétillaient de malice.

" Disons que je suis intéressé ", répondit Barzilai.

Lévy était absolument ravi. Ils étaient encore en train de monter une de leurs combines impossibles. Il ne saurait jamais dans quel but, mais qu'importe, cela l'amusait.

" Est-ce que ces bureaux possèdent un tiroir secret ? "

De mieux en mieux, absolument passionnant. Oh, comme c'était excitant !

" Ah, vous voulez dire une cachette ? Bien sûr. Vous savez, jeune homme, il y a longtemps, un homme pouvait très bien être provoqué en duel et mourir pour une affaire d'honneur, et une dame ayant une aventure devait donc se montrer très, très discrète. Il n'y avait pas de téléphone à cette époque, pas de télécopieurs, pas de magnétoscopes. Toutes les vilaines pensées de son amant étaient couchées par écrit. Alors, comment faire pour cacher ces lettres à son mari ? Pas dans un coffre, ils n'existaient pas. Ni dans une cassette en fer - son mari aurait exigé qu'elle lui remette la clé. Alors, les gens de la bonne société de l'époque passaient commande de meubles munis d'une cachette. Pas toujours, parfois seulement. Et il fallait que ce soit parfaitement réalisé, attention, sans quoi cela aurait été facile à découvrir.

- Mais comment savoir qu'un meuble que l'on... que l'on désire acheter possède une telle cachette ? "

De plus en plus merveilleux. Cet agent du Mossad ne voulait pas acheter un bureau Riesener, il voulait le fracturer.

" Vous aimeriez en voir une ? " demanda Lévy.

Il passa plusieurs coups de fil, puis ils quittèrent son magasin et prirent un taxi.

Ils allaient chez un autre antiquaire. Lévy dit quelques mots à voix basse à son collègue, l'homme acquiesça et les laissa seuls. Il lui avait dit que s'il pouvait lui apporter une vente, il y aurait une petite commission pour lui. L'autre antiquaire était content. Les choses se passent souvent ainsi dans ce métier.

Le bureau qu'ils examinèrent ressemblait étonnamment à celui de Vienne.

" Là, dît Lévy, la cachette n'est pas très grande, sans quoi on pourrait la trouver en prenant des mesures comparatives à l'intérieur et à l'extérieur. Elle doit donc être très mince, qu'elle soit verticale ou horizontale. Sans doute pas plus de deux centimètres, cachée derrière un panneau qui a l'air plein, trois centimètres d'épaisseur, mais constitué en fait de deux plaques de bois séparées par un espace. Le difficile, c'est le bouton de commande. "

II tira l'un des tiroirs du haut.

" Touchez ici ", fit-il

Barzilai tâta avec les doigts jusqu'au fond.

" Cherchez sur le pourtour.

- Rien, dit le katsa.

- C'est parce qu'il n'y en a pas, répondit Lévy, pas dans celui-ci. Mais il pourrait y avoir une tirette ou un bouton. Un bouton très lisse, vous appuyez dessus, vous le faites glisser sur le côté et vous regardez ce qui se passe.

- Qu'est-ce qui devrait se passer ?

- Un petit déclic, et un petit morceau de marqueterie saute, poussé par un ressort. Derrière se trouve la cachette. "

Même l'ingéniosité des ébénistes du XVIII siècle a ses limites. En une heure, M. Lévy avait enseigné au katsa les dix endroits où chercher le petit bouton-poussoir qui déclencherait le ressort et ouvrirait le compartiment.

" N'essayez jamais d'utiliser la force pour en trouver une, insista Lévy. Vous n'y arriveriez pas, et cela laisse des traces sur le bois. "

II poussa Barzilai du coude et éclata de rire. Barzilai offrit au vieil homme un bon déjeuner à la Coupole, puis monta dans un taxi pour aller à l'aéroport et regagner Vienne.

Tôt ce matin-là, 16 février, le major Zayeed et son équipe se présentèrent à la première des trois villas qu'ils devaient rouiller. Les deux autres étaient bouclées, des hommes étaient postés devant toutes les issues et leurs occupants terrifiés confinés à l'intérieur.

Le major se montrait parfaitement poli, mais son autorité ne souffrait pas de discussion. Contrairement à l'équipe de l'AMAM qui opérait à deux kilomètres de là, à Qadisiyah, les hommes de Zayeed étaient des spécialistes. Ils firent donc très peu de dégâts et n'en furent pas moins efficaces. En commençant par le rez-de-chaussée, ils cherchèrent des caches possibles sous les carreaux du sol, puis continuèrent systématiquement dans toute la maison, pièce par pièce, étagère par étagère, encoignure par encoignure.

Le jardin fut également fouillé mais ils ne trouvèrent pas .trace de quoi que ce soit. Avant midi, le major jugea qu'il ne trouverait rien. Il fit ses excuses aux occupants et se retira. Il se dirigea vers le deuxième portail, pour en faire autant dans la seconde villa.

Au sous-sol du siège de l'AMAM, le vieil homme était étendu sur le dos, attaché par les poignets et la taille sur une table de bois brut, et entouré de quatre experts en matière d'aveux. A part eux, il y avait aussi un médecin, et le général Omar Khatib qui s'entretenait dans un coin avec le sergent Ali.

C'est le chef de l'AMAM qui décida personnellement des supplices à lui faire subir. Le sergent Ali leva un sourcil : aujourd'hui, il aurait sûrement besoin de mettre des bottes. Omar Khatib hocha brièvement la tête et se retira. Il avait des dossiers qui l'attendaient à son bureau, un peu plus haut.

Le vieil homme continuait à prétendre qu'il ne savait rien de cet émetteur, qu'il n'était pas allé au jardin depuis des jours à cause du mauvais temps... Les interrogateurs n'en avaient rien à faire. Ils lui attachèrent les deux chevilles à une barre qui passait entre ses cous-de-pied. Deux des quatre tortionnaires lui levèrent les pieds dans la position requise, plante des pieds face à la pièce, tandis qu'Ali et le dernier décrochaient des murs de gros morceaux de câble électrique.

Lorsque la bastonnade commença, le vieillard se mit à crier comme ils le faisaient tous jusqu'à ce que sa voix se brise puis s'affaiblisse. Un seau d'eau glacée, pris dans le coin où il y en avait un certain nombre de stockés, lui fit reprendre conscience.

De temps en temps, les hommes faisaient une pause, étirant les muscles de leurs bras fatigués par l'effort. Tandis qu'ils se reposaient, on lui versait des verres de saumure sur ses pieds réduits en charpie. Et une fois qu'ils s'étaient reposés, ils recommençaient.

Entre ses évanouissements, le vieil homme continuait à protester qu'il ne savait même pas se servir d'un émetteur radio et qu'il devait y avoir une erreur.

Au milieu de la matinée, toute la peau et la chair des pieds avaient été arrachées et l'on voyait ses os blancs briller à travers le sang. Le sergent Ali sourit et décréta que cela avait assez duré. Il alluma une cigarette et savoura la fumée tandis qu'un de ses aides brisait les jambes du supplicié à coups de barre de fer, des chevilles aux genoux.

Le vieillard supplia le docteur, il était praticien comme lui, mais le médecin de l'AMAM se contenta de regarder le plafond. Il avait des ordres qui étaient de conserver le prisonnier vivant et conscient.

De l'autre côté de la ville, le major Zayeed termina la fouille de la seconde villa à quatre heures de l'après-midi, au moment même où, à Paris, Gidi Barzilai et Michel Lévy sortaient de table. Cette fois encore, il n'avait rien trouvé. Il fit ses excuses au couple terrorisé qui avait assisté à la fouille systématique de sa maison, quitta les lieux et se dirigea vers la troisième et dernière villa avec son équipe de recherche.

A Saadoun, le vieillard s'évanouissait de plus en plus fréquemment et le médecin intervint auprès des tortionnaires pour qu'ils lui laissent le temps de récupérer. On prépara une seringue et on lui fit une injection intraveineuse. L'effet fut pratiquement immédiat, il sortit de son coma pour se retrouver dans un état quasi éveillé et ses nerfs retrouvèrent toute leur sensibilité.

Lorsque les aiguilles qui chauffaient dans le brasero furent devenues rouges, on les introduisit lentement dans le scrotum et les testicules rabougris.

A la sixième fois, le vieil homme tomba de nouveau dans le coma et, cette fois, le médecin intervint trop tard. Il se débattit comme un fou, la sueur ruisselait sur son visage, mais tous les stimulants, injectés directement dans le ur, ne réussirent pas à ramener le supplicié à la vie.

Ali quitta la pièce et revint cinq minutes plus tard avec Omar Khatib. Le général jeta un coup d'œil au corps et des années d'expérience lui apprirent sur-le-champ quelque chose qui ne nécessitait pas un diplôme en médecine. Il se retourna et balança au médecin une terrible claque en pleine figure.

La force du coup et la réputation de l'homme qui lui avait administré cette correction envoyèrent le médecin par terre au milieu de ses seringues et de ses flacons.

" Crétin, hurla Khatib, sors d'ici. "

Le docteur ramassa ses petites affaires dans sa mallette et sortit à quatre pattes. Le Tourmenteur contemplait le travail d'Ali. Il régnait dans la pièce une odeur que les deux hommes connaissaient de longue date, un mélange de sueur, de terreur, d'urine, d'excréments, de sang, de vomi et celle écœurante, de la chair brûlée.

" II a nié jusqu'au bout, dit Ali. Je peux le jurer, s'il avait su quelque chose, nous aurions fini par lui tirer les vers du nez.

- Mets-le dans un sac, ordonna sèchement Omar Khatib, et dépose-le chez sa femme pour les funérailles. "

C'était un grand sac blanc de toile forte, deux mètres de long sur soixante centimètres de large, et on le jeta sur le pas de la porte de la maison de Qadisiyah à dix heures du soir. Lentement et avec beaucoup de difficultés car ils étaient vieux tous les deux, la veuve et le domestique tirèrent le sac, le rentrèrent dans la maison et le posèrent sur la table de la salle à manger. La vieille femme resta debout devant la table à hurler sa douleur.

Le vieux serviteur, Talat, se dirigea vers le téléphone, mais il avait été arraché du mur et ne marchait plus. Il prit le répertoire de sa maîtresse qu'il était incapable de lire et descendit la rue jusque chez le pharmacien. Il demanda à ce voisin d'essayer de joindre le jeune maître - l'un ou l'autre des deux fils, peu importe.

A la même heure, tandis que le pharmacien essayait de passer son appel par le réseau téléphonique délabré, et que Gidi Barzilai, de retour à Vienne, rédigeait un message pour Kobi Dror, le major Zayeed rendait compte de sa journée infructueuse à Hassan Rahmani.

" II n'y est pas, dit-il au chef du contre-espionnage. S'il y avait été, je l'aurais trouvé. II est donc dans la quatrième villa, la maison du diplomate.

- Tu es sûr de ne pas te tromper ? lui demanda Rahmani. Ce ne pourrait pas être dans une autre maison ?

- Non, mon général. La maison la plus proche de ce bloc de quatre villas est très en dehors de la zone indiquée par les interceptions. L'émetteur se trouvait à l'intérieur du losange tracé sur le plan. Je serais prêt à le jurer. "

Rahmani hésitait. Se livrer à une fouille chez des diplomates n'était pas une sinécure, ils fonceraient au ministère des Affaires étrangères pour déposer une protestation. Pour pénétrer dans la résidence du camarade Koulikov, il faudrait qu'il remonte haut, le plus haut possible.

Quand le major fut parti, Rahmani téléphona au ministère des Affaires étrangères. Il eut de la chance : le ministre, qui passait son temps à voyager ces derniers mois, se trouvait à Bagdad. Mieux encore, il était toujours à son bureau. Rahmani prit rendez-vous pour le lendemain matin à dix heures.

Le pharmacien était un homme de ur, il recommença donc ses tentatives toute la nuit. Il ne réussit pas à joindre le fils aîné, mais, grâce à quelqu'un qu'il connaissait dans l'armée, il parvint à faire passer un message au second des deux fils de son ami décédé. Il lui fut impossible de lui parler directement, mais son contact dans l'armée transmit le message.

Le fils cadet le reçut à l'aube le lendemain à sa base, loin de Bagdad. Dès qu'il eut connaissance de la nouvelle, le jeune officier prit sa voiture et se mit en route. En temps normal, le trajet ne lui aurait pas demandé plus de deux heures. Ce jour-là, 17 février, il en mit six. Il y avait des patrouilles et des barrages sur les routes. En faisant état de son grade, il réussissait à doubler tout le monde dans la queue. Il montrait son laissez-passer et on le laissait aller.

Mais la méthode ne pouvait pas marcher avec les ponts détruits. A chaque fois, il devait attendre le bac. Il était midi lorsqu'il arriva à la maison de ses parents, à Qadisiyah.

Sa mère courut se jeter dans ses bras et se mit à pleurer contre son épaule. Il essaya de lui tirer quelques détails sur ce qui s'était exactement passé, mais elle n'était plus très jeune non plus et se trouvait dans un état d'hystérie totale.

Finalement, il l'emmena dans sa chambre. Dans le désordre de médicaments que les soldats avaient laissé sur le sol de la salle de bains, il trouva un flacon de somnifères que son père "utilisait lorsque le froid hivernal réveillait son arthrite. Il en '"donna deux à sa mère qui s'endormit bientôt.

Dans la cuisine, il ordonna au vieux Talat de préparer du café pour eux deux et ils s'assirent à table pendant que le serviteur lui racontait ce qui s'était passé depuis la veille à l'aube. Quand il eut terminé, il montra au fils de son maître décédé le trou du jardin où les soldats avaient découvert le sac. Le jeune homme inspecta le mur de clôture et trouva les traces laissées par l'intrus qui était venu de nuit pour l'enterrer. Puis il rentra dans la maison.

On fit attendre Hassan Rahmani, ce qu'il n'appréciait guère, mais il finit par voir le ministre des Affaires étrangères, Tarek Aziz, un peu avant onze heures.

" Je ne suis pas sûr de bien vous comprendre, lui déclara le ministre, en le fixant comme une chouette à travers les verres de ses lunettes. Les ambassades ont parfaitement le droit de communiquer avec leur capitale par radio, et leurs transmissions sont toujours codées.

- Oui, monsieur le ministre, et elles viennent de l'immeuble de la chancellerie. Cela fait partie du trafic normal. Ici, c'est différent. Nous parlons d'un émetteur clandestin, comme ceux qu'utilisent les espions, un émetteur qui envoie des messages très brefs à un récepteur dont nous sommes certains qu'il n'est pas à Moscou mais beaucoup plus près.

- Des émissions très brèves ? " s'enquit Aziz.

Rahmani lui expliqua de quoi il s'agissait.

" J'ai toujours du mal à vous suivre. Pourquoi un agent du KGB, et il s'agit sans doute d'une opération montée par le KGB, enverrait-il des messages très courts depuis la résidence du premier secrétaire, alors qu'il a parfaitement le droit d'en envoyer de beaucoup plus puissants depuis l'ambassade?

- Je l'ignore.

- Alors, il faut que vous me fournissiez une meilleure explication, général. Avez-vous idée de ce qui se passe en dehors de votre bureau ? Savez-vous que tard hier soir, je suis rentré de Moscou après des discussions prolongées avec M. Gorbatchev et son représentant, Evgueni Primakov, qui était encore ici la semaine dernière ? Savez-vous que je suis revenu avec des propositions de paix qui, si le Raïs les accepte - et je dois lui en parler dans deux heures -, pourraient amener l'Union soviétique à demander une réunion du Conseil de sécurité et empêcher les Américains de nous attaquer? Et en face de tout cela, à ce moment précis, vous me demandez d'humilier l'Union soviétique en ordonnant une descente dans la villa du premier secrétaire ? Franchement, général, vous êtes devenu fou. "

Tout était dit. Hassan Rahmani quitta le ministère en pestant, mais les mains vides. Il y avait pourtant une chose que Tarek Aziz ne lui avait pas interdit de faire. Entre ses murs ou dans sa voiture, Koulikov était intouchable. Mais les rues, elles, n'appartenaient pas à Koulikov.

" Je veux qu'on l'encercle, ordonna Rahmani à sa meilleure équipe de surveillance en rentrant à son bureau. Faites ça discrètement. Mais je veux que ce bâtiment soit placé sous haute surveillance. Si des visiteurs arrivent ou s'en vont, et il doit bien y avoir des visiteurs, je veux qu'ils soient filés. "

A minuit, l'équipe de surveillance était en place. Ils restèrent assis dans leurs voitures sous le couvert des arbres qui entouraient les quatre murs de la résidence de Koulikov et surveillèrent les deux extrémités de la seule rue qui y conduisait. D'autres, un peu plus loin, mais en liaison radio avec les premiers, préviendraient si quelqu'un approchait et suivraient tous ceux qui sortiraient de la maison.

Le fils cadet était assis dans la salle à manger et contemplait le long sac de toile qui contenait son père. Il laissait les larmes couler sur son visage et faire des taches humides sur sa vareuse d'uniforme, en se remémorant les jours heureux d'autrefois. Son père était alors un médecin prospère, avec une grosse clientèle ; il soignait même les familles de quelques membres de la communauté britannique auxquels il avait été présenté par son ami, Nigel Martin.

Il repensait à l'époque où son frère et lui jouaient dans le jardin des Martin avec Mike et Terry et se demandait ce qu'ils étaient devenus.

Au bout d'une heure, il remarqua que les taches sombres sur la toile s'élargissaient. Il se leva et se dirigea vers la porte.

" Talat !

- Maître?

- Apporte-moi des ciseaux et un couteau de cuisine. "

Resté seul dans la pièce, le colonel Osman Badri découpa le sac de toile sur trois côtés. Il tira le haut de la toile et la replia. Le corps de son père était presque totalement nu.

Selon la coutume, c'était là le rôle d'une femme, mais il ne pouvait pas laisser cela à sa mère. Il demanda de l'eau et des bandes, il baigna et lava le corps déchiqueté, il remit en place les pieds brisés, redressa les jambes fracturées et couvrit les parties noircies. Il pleurait en travaillant ; et le fait de pleurer fit de lui un autre homme.

A la tombée de la nuit, il appela l'imam du cimetière Alwazia, à Risafa, afin de régler les détails pratiques des funérailles, le lendemain matin.

Ce dimanche matin, 17 février, Mike Martin était .allé faire un tour en ville sur son vélo puis était rentré après avoir fait ses achats et vérifié s'il n'y avait pas de marque de craie sur les trois murs. Il était de retour à la villa avant midi. Pendant l'après-midi, il s'occupa du jardin. M. Koulikov, bien qu'il ne fût ni chrétien ni musulman et qu'il ne respectât ni le jour saint des musulmans, le vendredi, ni le dimanche des chrétiens, était resté chez lui avec la grippe et se plaignait de l'état de ses rosiers.

Tandis que Mike Martin travaillait dans les plates-bandes, les équipes du Mukhabarat se mettaient discrètement en place de l'autre côté du mur. Jéricho, raisonnait-il, ne pouvait pas matériellement prendre connaissance de son message avant deux jours. Martin comptait donc faire la tournée des marques de craie le lendemain soir.

L'enterrement du Dr Badri eut lieu au cimetière d'Alwazia un peu après neuf heures du matin. Les cimetières de Bagdad avaient du travail par les temps qui couraient et l'imam avait beaucoup à faire. Quelques jours plus tôt, les Américains avaient bombardé un abri antiaérien, faisant plus de trois cents morts. Les langues allaient bon train. Quelques personnes qui assistaient à un autre enterrement juste à côté demandèrent au colonel qui gardait le silence si celui qu'il accompagnait était mort pendant le bombardement américain. Il répondit brièvement qu'il s'agissait d'une mort naturelle.

Dans la tradition musulmane, l'enterrement est une cérémonie qui intervient très tôt après la mort. Il n'y a pas non plus de cercueil comme dans le rite chrétien, le corps est enveloppé dans un linceul.

Le pharmacien était venu pour assister Mme Badri, et ils partirent tous ensemble lorsque la cérémonie fut terminée.

Le colonel Badri n'était qu'à quelques mètres de l'entrée du cimetière lorsqu'il entendit quelqu'un l'appeler. Quelques pas plus loin, il y avait une limousine aux fenêtres masquées par des rideaux. A l'arrière, l'une des vitres était entrouverte. La voix l'appela de nouveau.

Le colonel Badri demanda au pharmacien de ramener sa mère chez elle, à Qadisiyah. Il les rejoindrait plus tard. Lorsqu'ils furent partis, il se dirigea vers la voiture. La voix reprit :

" Venez à côté de moi, mon colonel. Il faut que nous parlions. "

II ouvrit la portière et jeta un coup d'œil à l'intérieur. L'occupant était seul et il s'était poussé pour lui faire une place. Badri se dit qu'il connaissait cette tête ; mais sans plus. Il l'avait vue quelque part. Il monta dans la voiture et referma la portière. L'homme en costume gris sombre appuya sur un bouton pour relever la vitre, les isolant des bruits extérieurs.

" Vous venez d'enterrer votre père.

- Oui. " Mais qui était cet homme ? Pourquoi n'arrivait-il pas à mettre un nom sur ce visage ?

" C'est atroce, ce qu'ils lui ont fait. Si je l'avais su à temps, je serais intervenu. Mais je l'ai appris trop tard. "

Osman Badri sentit comme un coup de poing au creux de l'estomac. Il comprit soudain qui était celui qui lui parlait. On le lui avait présenté lors d'une cérémonie militaire, deux ans plus tôt.

" Je dois vous dire une chose, mon colonel, une chose qui, si vous la répétez, entraînerait ma mort, et une mort encore plus terrible que celle de votre père. "

II n'y avait qu'une seule chose susceptible d'avoir de telles conséquences, songea Badri : la trahison.

" A une époque, j'ai aimé le Raïs, dit doucement l'homme.

- Moi aussi, répondit Badri.

- Mais les choses sont en train de changer. Il est devenu fou. Et dans sa folie, il fait cruauté sur cruauté. Il faut l'arrêter. Vous avez entendu parler de la Qa'ala, bien entendu ? "

Badri fut encore surpris, mais cette fois par le soudain changement de sujet.

" Bien sûr, c'est moi qui l'ai construite.

- Exactement. Et savez-vous ce qu'il y a à l'intérieur désormais ?

- Non. "

Le dignitaire le lui apprit.

" II ne parle pas sérieusement, dit Badri.

- Il est très sérieux. II a l'intention de s'en servir contre les Américains. Cela pourrait nous laisser indifférents. Mais savez-vous ce que l'Amérique fera en retour ? Elle répliquera de la même manière. Il ne restera pas une brique, pas une pierre. Seul le Raïs survivra. Vous voulez vous rendre complice de cela ? "

Le colonel Badri pensait au corps enterré dans le cimetière, sur lequel les fossoyeurs continuaient d'entasser la terre sèche.

" Que voulez-vous ?

- Parlez-moi de la Qa'ala.

- Pourquoi ?

- Les Américains la détruiront.

- Vous pouvez leur transmettre l'information ?

- Faites-moi confiance, il existe des moyens. La Qa'ala... "

Alors, le colonel Badri, le jeune ingénieur qui avait rêvé de bâtir de belles constructions qui dureraient des siècles, comme ses ancêtres l'avaient fait avant lui, raconta tout à l'homme qu'on appelait Jéricho.

" Les coordonnées géographiques. "

Badri les lui indiqua.

" Retournez à votre poste, mon colonel. Vous ne risquez rien. "

Le colonel Badri sortit de la voiture et s'éloigna. Il avait l'estomac dans un étau. Il avait fait à peine cent mètres qu'il commença à se poser des questions : mais qu'ai-je fait là ? Tout à coup, il sut qu'il devait parler à son frère, son frère aîné qui avait toujours su garder la tête froide et se montrer de bon conseil.

Celui que l'équipe du Mossad appelait l'observateur revint à Vienne ce lundi-là, en provenance de Tel-Aviv. Cette fois encore, il était un avocat de renom arrivant de New York et possédait tous les documents susceptibles de le prouver.

Même si le véritable avocat était rentré de vacances, le risque que Gemütlich, qui détestait les téléphones et les télécopieurs, appelle à New York pour vérifier était minime. C'était en tout cas un risque que le Mossad était prêt à courir.

De nouveau, l'observateur s'installa au Sheraton et écrivit une lettre à Herr Gemütlich. Il s'excusait encore de ne pas avoir annoncé son arrivée dans la capitale autrichienne, mais expliquait qu'il était là en compagnie du directeur financier de sa société et que tous deux désiraient effectuer un dépôt important pour le compte de leur client.

La lettre fut déposée tard dans l'après-midi, et la réponse de Gemütlich arriva le lendemain matin. Il proposait un rendez-vous à dix heures.

L'observateur était réellement accompagné. L'homme qui était avec lui était surnommé le perceur de coffres, car c'était là sa spécialité.

Si le Mossad possède au quartier général de Tel-Aviv une collection impressionnante de fausses sociétés, faux passeports, papier à en-tête et toute la panoplie du parfait faussaire, la fierté de la Maison tient à ses talents en matière d'ouverture de coffres et de serrures. La capacité du Mossad à s'introduire dans tout endroit verrouillé est célèbre dans le petit monde de l'action clandestine. Côté cambriolage, le Mossad a longtemps été considéré comme le meilleur. Si une équipe du Neviot avait été chargée du Watergate, personne n'en aurait jamais entendu parler.

La réputation des cambrioleurs israéliens est telle que lorsque les fabricants britanniques envoient leur dernier produit au SIS pour recueillir ses remarques, Century House les transmet à Tel-Aviv. Le Mossad, assez malin pour trouver n'importe quel défaut, l'étudie, trouve comment violer le dispositif, et le renvoie à Londres en affirmant qu'il est impossible à fracturer. Mais le SIS finit un jour par s'en rendre compte. La fois suivante, lorsqu'une société britannique de serrurerie arriva avec une nouvelle serrure particulièrement sophistiquée, Century House lui demanda de la reprendre et de lui fournir un autre modèle un peu plus " facile ". On l'expédia à Tel-Aviv. Elle y fut étudiée et fracturée, puis retournée à Londres avec le même résultat : inviolable. Mais le SIS conseilla au fabricant de vendre le premier modèle.

Cela devait entraîner un incident assez ennuyeux l’année suivante, lorsqu'un serrurier du Mossad passa trois heures à transpirer sans succès sur une serrure de ce modèle. Cela se passait dans le couloir d'un immeuble de bureaux, dans une capitale européenne. Il repartit blême de rage. Depuis lors, les Britanniques essayent eux-mêmes leurs serrures et laissent le Mossad travailler dans son coin.

Le serrurier venu de Tel-Aviv n'était pas le meilleur de sa catégorie en Israël, seulement le second. Mais il y avait une raison à ce choix : il avait un talent que ne possédait pas le premier.

Pendant la nuit, le jeune homme subit six heures de conférence faites par Gidi Barzilai. Au programme : l'art de l'ébéniste allemand du XVIII siècle, Riesener, puis description complète par l'observateur de l'agencement des lieux à la Banque Winkler. L'équipe du Yarid compléta sa formation avec la description des allées et venues du gardien de nuit, observées à partir de l'allumage et de l'extinction des lumières à l'intérieur du bâtiment.

Ce même lundi, Mike Martin attendit qu'il soit cinq heures pour enfourcher sa bicyclette en direction du bac le plus proche afin de traverser le fleuve. C'est à cet endroit que s'était trouvé le pont Jumhuriya, avant que les Tornado ne lui accordent une attention particulière.

Il tourna au coin de la rue, hors de vue de la villa, et vit la première voiture garée. Puis la seconde et ainsi de suite.

Lorsque deux hommes sortirent de la seconde pour se planter au milieu de la chaussée, il sentit son estomac se serrer. Il risqua un coup d'œil par-derrière : deux hommes sortis de la première voiture lui interdisaient toute retraite. Sachant que c'était cuit, il continua à pédaler. Il n'y avait rien d'autre à faire. L'un des hommes qui se trouvaient devant lui lui indiqua le bord de la route. " Hé toi, cria-t-il, viens ici. "

II s'arrêta sous les arbres qui bordaient la route. Trois hommes arrivèrent, des soldats qui pointaient leurs armes droit sur lui. Lentement, il leva les bras.