Second récit de Nestor : Bellérophon et Pégase
Lorsque Persée avait coupé la tête de la Méduse, quelques gouttes de sang de la Gorgone étaient tombées sur le sol. De ces gouttes naquit bientôt un cheval ailé, qui fut appelé Pégase. Neptune, qui avait la passion des chevaux, obtint des deux Gorgones survivantes la permission de le prendre, et le mit au vert dans un de ses domaines. C’est là que, quelques années plus tard, Bellérophon le trouva.
La vie de Bellérophon n’est pas sans analogies, tout au moins dans ses débuts, avec celle d’Hercule.
Comme le héros thébain, il était né des amours illégitimes d’une mortelle et d’un dieu ; mais son père à lui était Neptune. Comme Hercule, il avait dans sa jeunesse commis un crime involontaire et fut condamné, pour l’expier, à se mettre au service d’un roi, nommé Prœtos, et à exécuter les missions que celui-ci lui confierait. Mais, contrairement à Hercule, Bellérophon ne brillait ni par la force ni par le courage ; il ne pouvait compter, pour s’acquitter de ses tâches, que sur la protection divine de son père.
La première et la plus difficile des missions que lui imposa Prœtos fut d’aller combattre la Chimère. C’était un monstre bizarre, lion par-devant, serpent par-derrière et chèvre entre les deux. Seul son tronçon central était vulnérable, et encore à condition de le frapper de haut en bas, dans le morceau que les bouchers appellent la longe. Peu désireux d’affronter la Chimère à la loyale, Bellérophon alla demander de l’aide à Neptune. Celui-ci fit cadeau à son fils du cheval ailé Pégase, ainsi que d’un mors en or permettant de le diriger :
— Grâce à Pégase, lui dit-il, tu pourras attaquer la Chimère par la voie des airs.
C’est ce que fit Bellérophon. Traçant des cercles au-dessus du monstre, il put, sans le moindre risque pour lui-même, le cribler de ses flèches, jusqu’à ce que l’une d’elles atteignît la partie sensible. Sa victoire sur la Chimère fut le prototype de toutes celles qu’il remporta par la suite, pour le compte du roi Prœtos, sur des adversaires nombreux et divers. C’est ainsi, par exemple, qu’il mit en déroute, à lui seul, la tribu entière des Amazones, sans même avoir besoin de tirer une flèche : la seule vue d’un cavalier volant au-dessus d’elles les avait frappées de panique, comme eût pu le faire, en ces temps reculés, l’apparition d’un avion ou d’un hélicoptère.
Grisé par ses succès faciles, Bellérophon ne mit bientôt plus de bornes à ses ambitions. Il conçut le projet, véritablement « chimérique », de monter jusqu’à l’Olympe, pour y caracoler devant l’assemblée des dieux.
Jupiter décida alors de mettre un terme à ses exploits. Au moment où Bellérophon allait atteindre l’Olympe, un taon, dépêché par Jupiter, piqua la croupe de Pégase. Le coursier divin fit une ruade, et Bellérophon, désarçonné, s’écrasa au sol, après une chute de deux mille mètres.
Après avoir triomphé de monstres et de géants, il était vaincu par une mouche.
— Pour une fois, fit observer Ajax à Nestor, ton histoire n’est pas bien longue.
— Non, répondit Nestor, vexé, mais elle est instructive.