PRESQUE FIN

Toute la presse unanime. Téloche, radio idem.

Santantonio, le mec plus ultra. The man ! Unanime que je te dis. Santonio, le gars qui a démoli un réseau appartenant sûrement aux Brigades rouges, ou vertes, ou à Septembre mauve, ou encore aux Brigades Moncul, va savoir. Un machin de ce genre, en tout cas. Trublion, semeur de merde, géniteur d’Apocalypse. Lui tout seul, l’Antonio béni. Il a neutralisé le réseau, découvert le poteau rose, prévenu les Popofs au péril de sa vie, au puéril de son vit. Bravo ! Lui ! Moi ! Je ! Encore, remouillez-moi la compresse. Léchez-moi bien sur toute la longueur, là que commence, là que finit la grosse veine bleue.

Et le plus bathouze, tu sais quoi ? En fait le plan du Vioque s’est réalisé. Le barlu a été amené au mouillage dans un port breton. Et on a dégauchi ce qu’il contenait : appareillage nucléaire tsoin-tsoin, mon zami ! Le tanker camouflait une véritable usine flottante. S’il avait explosé, toute la Bretagne y passait, et encore plus loin : la Normandie, et au-dessous : la Vendée, et à l’Ouest ; ces cons d’Anglais, et au Nord : l’Artois, les Flandres. Reusement qu’il a été là, le Saint-Antoine santantonien.

On me veut légiondhonneurer tout vif, à cru. Poum ! Amène ton revers, mon kiki. Que j’sus obligé de me défendre énergiquement : de dire non non, je vous supplille, tout mais pas ça : d’ailleurs, chez Lapidus, y n’font pas de boutonnière à la boutonnière, c’est pas de la fringue d’ancien combattant ni de pédégé Canuettiste. Et puis j’aime pas le rouge. Je porte surtout du tvouide moucheté ou pied de poule, du prince de Galles, le ruban ferait cloche là-dessus, j’peux pas me loquer en bleu croisé dès le morninge quand même !

Je suis dans mon burlingue du commissariat assailli par les journalistes. Un agent à peau lisse vient m’annoncer que M. le sous-préfet de Ploumanac’h Vermooh est en bas, qui veut me causer. Je fais répondre que je suis trop occupé, qu’il aille m’attendre au boxif de la mère Passepoil. Là seulement on sera bien pour causer, tout se dire. L’agent qui ne fait pas le bonheur en méduse un grand coup de mon irrévérence phénoméneuse.

Bon, je me laisse flasher, reflasher. Je dis qu’oui, je retourne à Paris, le Sinistre de l’Intérieur m’attend. Il me propose de diriger la Grande Taule, mais je ne pense pas accepter, n’étant pas bureaucrate d’esprit. Je vais retrouver mes activités précédentes. Et point t’à la ligne, c’est tout.

Faut se laisser dépecer par les corbeaux de la gloire. Ils te mettent en lambeaux sans que tu y prennes garde. Sur le moment c’est indolore ; seulement par la suite tu te retrouves à poil, désemparé.

A grand renfort, je parviens à les refouler. Je les branche sur Bérurier, qu’il ait sa part de glorious. Et aussi le père Pinaud, un peu plus ahuri qu’auparavant depuis qu’on lui a défrisé les cervicales à coups de goumi.

Moi, peinardos, je m’esbigne par la porte de derrière, qui donne sur la ruelle de l’Abbé Ventrifoutre, mort pour la France à j’sais plus quelle belle occasion.

Je fonce jusqu’au bouiboui de Mme Passepoil, bordelière plus ou moins patentée, me demandant si le Vieux y sera.

Et il y est.

Et avec lui, une recrue toute fraîche : la veuve Katkarre, bien décidée à arrondir sa pension à coups de bites.

Achille écluse du champ. Il vient de se faire bipolariser la guimauve par la sublime blonde à qui le deuil sied mieux qu’à Electre. Ça l’a mise de belle humeur.

Il me tend les deux mains, par-dessus son vieux gland pendouilleur.

— Mon cher cher ami, c’est la gloire. Il n’y en a que pour vous…

— Oui, mon con, lui réponds-je, y en a que pour moi. Et ça n’est pas de ta faute, vieille ganache !

Alors là, il bondit, mort d’outrageance.

— Quoi ! Comment, vous osez me parler ainsi !

— Ta gueule, quidam ! Je parle à un type à poil dans un bordel. Je peux tout lui dire et sur le ton qui me plaît. Ici, il n’y a pas d’âge, de hiérarchie, de convenances. Et c’est pourquoi je t’y ai fixé rendez-vous, espèce de débris, malfichure, crabe rhumatisant, guenille délavée. J’ai percé ta vraie nature, Achille, comme on perce un abcès, et il en est sorti ce qui sort d’un abcès. T’as le moral qui sent le poisson avarié.

— Ah, ça ! Mais…

— Je ne te pardonnerai jamais de m’avoir flanqué en disgrâce, bougre d’invertébrance. Tu en avais rasibus de mes succès, hein ? Ils te portaient ombrage. Alors tu as voulu taper un grand coup, tout seul. Montrer à ceux d’en haut que tu pouvais jouer les supermen à l’occasion. Tu as fait muter tout le monde ici, toi dans le rôle du sous-préfet. Et pour que notre humiliation soit plus complète, non seulement tu nous as laissés sur la touche, Béru et moi, mais tu as fait appel à l’innocente baderne et à Marie-Marie. Plus un gangster. Chouette équipe. Ah, comme tu aurais triomphé si je n’avais pas dû te sauver la mise, espèce de merde en branche. Comme tu te serais pavané ! Comme tu m’aurais toisé de haut, tour Eiffel de sable ! Comme tu aurais liquidé tes complexes, vieux jeton ! Mais la vérité est que tu t’étais laissé fabriquer comme un tu sais quoi ? Devine ? Eh ben oui, Achille : comme un con.

— Vous avez bu ! décide-t-il, dédaigneux.

— Yes, sir, j’ai bu. J’ai bu à ta connerie, et comme elle est incommensurable, j’ai dû boire beaucoup. Tu t’es laissé repasser dans les immenses largeurs, mon gars. Tu prenais l’initiative de faire péter le pétrolier bidon, mais on aurait tous dégusté. La baie des Trépassés, tu parles ! De Dunkerque à Tamanrasset. Et dire que tu avais baptisé ton petit rodéo l’opération Ma Tante ! T’as été bien inspiré, pépère. Tu ne pouvais pas trouver plus juste, parce que, n’en déplaise à la personne qui vient de te mâchouiller, t’en as autant que ma tante.

« Et encore, j’ai l’impression d’insulter ma tante.

Je le quitte sur ces fortes paraboles.