Chapitre 30
Quelques jours après leur arrivée dans ce pays de montagne, ils tombèrent sur une côte qui s’étendait en diagonale du sud-ouest au nord-est, un rivage d’une grandeur monumentale : des ravins profonds et majestueux, des pics de glace élancés – des fjords.
Deux jours encore ils escaladèrent et grimpèrent rocs et glaciers, rendus muets par un tel étalage de beauté.
— Arthur ! s’écria soudain Ford.
C’était dans l’après-midi du second jour. Arthur était assis sur une haute falaise et contemplait la mer démontée qui venait s’écraser contre les promontoires déchiquetés.
— Arthur ! s’écria Ford de nouveau.
Arthur regarda dans la direction d’où provenait la voix, lointaine, portée par le vent.
Ford était parti examiner un glacier et Arthur le découvrit accroupi au pied d’un mur compact de glace bleue. Il avait l’air tout excité et leva les yeux pour croiser le regard d’Arthur.
— Regarde, mais regarde un peu !
Arthur regarda. Et vit un mur compact de glace bleue.
— Oui. C’est un glacier. J’en ai déjà vu.
— Non, dit Ford. Tu l’as regardé sans le voir. Regarde un peu mieux.
Et Ford lui indiqua un point au cœur du bloc de glace.
Arthur scruta la glace – et n’y discerna que de vagues ombres.
— Recule-toi, insista Ford. Regarde encore.
Arthur se recula et regarda encore.
— Non », dit-il, et il haussa les épaules. « Que suis-je censé chercher ?
Et brusquement, il vit.
— T’as vu ?
Il avait vu.
Sa bouche s’entrouvrit pour parler mais son cerveau jugea qu’il n’avait encore rien à dire et la boucla de nouveau. Puis son cerveau dut affronter le problème soulevé par ce que les yeux étaient en train de transmettre mais, ce faisant, dut relâcher son contrôle sur la bouche – qui s’empressa de béer de nouveau. Cherchant une fois encore à refermer la mâchoire, le cerveau perdit les commandes de la main gauche qui se mit dès lors à divaguer sans but. L’espace d’une seconde, le cerveau essaya de rattraper la main gauche sans pour autant abandonner la bouche tout en essayant simultanément de réfléchir à ce qui était enseveli dans la glace – raison sans doute pour laquelle les jambes se dérobèrent sous Arthur qui s’effondra donc paisiblement sur le sol.
À l’origine de tout ce bouleversement nerveux, il y avait un réseau d’ombres dans la glace, enfoui à quelque quarante-cinq centimètres sous la surface. Vu sous le bon angle, ce réseau formait les lettres, hautes de près d’un mètre, d’un alphabet non terrien ; et, à l’intention de ceux qui, comme Arthur, ignoraient le Magrathéen, il y avait au-dessus des lettres le dessin d’un visage inscrit dans la glace.
C’était un visage âgé, mince et distingué, rongé par les soucis mais empreint de douceur.
C’était le visage de l’homme qui avait remporté un prix pour la conception de la côte sur laquelle ils se trouvaient : une côte dont ils connaissaient le nom désormais.