Chapitre 5

« Allô ? Oui ? Ici Megadodo Publications, l’éditeur du Guide du routard galactique, l’ouvrage le plus absolument remarquable de tout l’Univers connu, que puis-je pour vous ? » dit l’insecte aux grandes ailes roses dans l’un des soixante-dix téléphones alignés sur le vaste comptoir chromé de la réception en bas des bureaux du Guide du routard galactique.

Il papillonnait des ailes tout en roulant des yeux, fusillant du regard le tas de crasseux agglutinés dans le hall qui tachaient les tapis et laissaient leurs marques de doigts sales sur le mobilier. Il adorait travailler pour le Guide du routard galactique ; si seulement on avait trouvé moyen de se débarrasser de tous ces astrostoppeurs. N’étaient-ils pas censés traîner leurs guêtres dans quelque lointain astroport crasseux, ou quoi ? Malheureusement, la plupart d’entre eux semblaient s’être donné le mot pour venir traîner leurs guêtres dans cet impeccable et somptueusement immaculé salon de réception juste après avoir traîné dans les plus crasseux des astroports. Et ils n’arrêtaient pas de se plaindre. L’insecte en frémissait des ailes.

« Quoi ? lança-t-il dans le combiné. Mais oui, j’ai bien transmis votre message à M. Zarniwoop mais je crains qu’il ne soit difficile à joindre dans l’immédiat. Il est en déplacement intergalactique. »

Il brandit un tentacule irrité à l’adresse de l’un des crasseux personnages qui essayait avec colère d’attirer son attention. Le tentacule irrité engageait vivement le crasseux personnage à lire attentivement la note affichée sur le mur à sa gauche, au lieu d’interrompre une importante communication téléphonique.

« Mais si, poursuivit l’insecte, il est bien dans son bureau mais il est quand même en déplacement intergalactique. C’est cela, merci beaucoup d’avoir appelé. »

Il raccrocha brutalement.

« Lisez la notice », dit-il au personnage en colère qui tentait de se plaindre de l’un des plus absurdes et dangereux exemples d’information erronée qu’il avait eu l’occasion de trouver dans le Guide.

Le Guide du routard galactique est le compagnon indispensable de tous ceux qui ont à cœur de trouver un sens à la vie dans un Univers infiniment complexe et confondant car, sans pouvoir être une mine de renseignements universelle, il avait néanmoins la rassurante prétention, lorsqu’il se trompait, de se tromper totalement. En cas de décalage manifeste, c’était toujours la réalité qui avait tort.

Tel était le sens profond de la notice. On y lisait :

 

LE GUIDE EST EXACT.

LA RÉALITÉ EST BIEN SOUVENT ERRONÉE.

 

Le fait avait conduit à quelques conséquences remarquables : par exemple, lorsque les rédacteurs du Guide avaient été poursuivis par les familles de ceux qui étaient morts pour avoir pris à la lettre l’article sur la planète Tron (dont le libellé était : « Le Hanneton glouton de Tron fait le régal des touristes de passage » quand il fallait lire : « Le Hanneton glouton de Tron fait son régal des touristes de passage »), ils avaient argué que la première version de cette phrase leur paraissait esthétiquement plus plaisante, et cité donc en conséquence un poète qualifié pour qu’il vienne témoigner sous serment que la beauté était la vérité et la vérité la beauté, espérant par là même prouver qu’en l’espèce, le véritable coupable était la Vie elle-même, pour avoir failli à se montrer à la fois belle et vraie. Les juges soutinrent ce point de vue et, dans un poignant discours, accusèrent la Vie elle-même d’outrage à la Cour et s’empressèrent donc de la confisquer à tous les membres de l’assistance avant de lever la séance pour aller passer une agréable soirée à l’ultragolf.

Zaphod Beeblebrox pénétra dans le hall. Il se dirigea à grandes enjambées vers l’insecte réceptionniste.

— O.K., lança-t-il. Où est Zarniwoop ? Trouvez-moi Zarniwoop.

— Pardon, monsieur ? » dit l’insecte, glacial. Il n’appréciait guère d’être interpellé sur ce ton.

— Zarniwoop. Allez le chercher, vu ? Tout de suite.

— Eh bien, monsieur, coupa la fragile petite créature, gardons notre sang-froid, je vous prie…

— Écoutez, dit Zaphod, le sang-froid, j’en ai jusque-là, pigé ? J’en ai tellement, du sang-froid, que je pourrais vous conserver une pièce de viande un mois durant. Je me sens tellement détendu que j’ai du mal à retenir mon froc. Alors vous vous grouillez avant que je craque ?

— Eh bien, si vous me laissiez vous expliquer, cher monsieur », dit l’insecte en battant du plus irascible des tentacules à sa disposition. « Je crains que ce ne soit pas possible dans l’immédiat vu que M. Zarniwoop est en déplacement intergalactique.

Diable, songea Zaphod.

— Quand doit-il rentrer ? s’enquit-il.

— Rentrer, monsieur ? Mais il est dans son bureau.

Zaphod se tut, le temps d’essayer de débroussailler dans son esprit cette notion bien particulière. Sans succès.

— Ce rat est en déplacement intergalactique… dans son bureau ?

Il se pencha pour agripper l’irascible tentacule.

— Écoute bien, trois-yeux, dit-il, essaie pas de jouer au plus fin avec moi. J’ai déjà trouvé plus bizarre en cadeau dans mes paquets de céréales.

— Eh bien, pour qui te prends-tu, chéri ? » s’irrita l’insecte en battant rageusement des ailes. « Zaphod Beeblebrox ou quoi ?

— Compte donc les têtes, éructa Zaphod à voix basse.

L’insecte lorgna vers lui. Lorgna de nouveau.

— Vous êtes vraiment Zaphod Beeblebrox ? couina-t-il.

— Ouaip, dit Zaphod. Mais le clame pas sur les toits ou ils vont tous en vouloir un.

— Le Zaphod Beeblebrox ?

— Non. Rien qu’un Zaphod Beeblebrox. On t’a pas dit que j’étais livré par paquets de six ?

L’insecte tressaillit de tous ses tentacules.

— Mais monsieur, grinça-t-il, je viens de l’entendre à la Sub-Etha radio : ils disaient aux informations que vous étiez mort…

— Ouais, c’est bien exact, observa Zaphod. N’empêche que je bouge encore. Bon, alors où puis-je trouver Zarniwoop ?

— Eh bien monsieur, ses bureaux sont au quinzième étage mais…

— Mais il est en déplacement intergalactique, je sais. Dites-moi plutôt comment je fais pour le joindre.

— Les Allègres Transports Verticaux de la Compagnie cybernétique de Sirius sont dans le coin, là-bas au bout, monsieur. Mais monsieur…

Zaphod y partait déjà. Il se retourna.

— Ouais ?

— Puis-je vous demander pour quelle raison vous désirez voir M. Zarniwoop ?

— Mouais », dit Zaphod qui n’était pas lui-même très fixé sur la question. « Je me suis dit comme ça qu’il fallait que je le voie.

— Pardon ?

Zaphod se pencha, prit une mine de conspirateur, et expliqua :

— Je venais tout juste de me matérialiser à la terrasse d’un de vos cafés à la suite d’une dispute avec le spectre de mon arrière-grand-père. À peine étais-je arrivé que mon ancien moi (celui-là même qui m’avait opéré le cerveau) jaillit sous mon crâne en disant : « Va voir Zarniwoop. » Je n’ai personnellement jamais entendu parler de ce loustic. Voilà tout ce que je sais. Ça et le fait que je dois retrouver l’homme qui dirige l’Univers.

Il cligna de l’œil.

— Mon cher monsieur Beeblebrox, dit l’insecte avec un étonnement respectueux, vous êtes tellement bizarre que vous devriez jouer dans les films.

— Ouaip, dit Zaphod en tapotant la chose sur une de ses roses ailes diaprées. Et toi, bébé, tu mériterais de faire ta place dans la réalité.

L’insecte marqua une légère pause pour se remettre de toute cette agitation puis il tendit un tentacule pour décrocher l’un des téléphones qui venait de se mettre à sonner.

Une main de métal le retint.

— Excusez-moi, dit le propriétaire de la main de métal, avec une voix qui aurait fait s’effondrer en larmes tout insecte en de plus sentimentales dispositions.

Mais ce n’était pas le cas de cet insecte. Et en plus, il ne pouvait pas encadrer les robots.

— Oui monsieur, dit-il sèchement, puis-je vous aider ?

— J’en doute, dit Marvin.

— Eh bien, dans ce cas, si vous voulez bien m’excuser…

Six des téléphones sonnaient à présent. Un million de choses réclamaient son attention.

— Personne ne peut m’aider, psalmodia Marvin.

— Bien sûr, monsieur, eh bien…

— Ce n’est pas que quiconque ait jamais essayé…

L’étreinte se relâcha et la main retomba mollement au côté du robot. Sa tête s’inclina très légèrement.

— Pas possible, dit amèrement l’insecte.

— Qui voudrait perdre son temps à aider un vulgaire robot domestique, je vous le demande ?

— Je suis désolé, monsieur, si…

— Je veux dire, quel est le bénéfice à se montrer aimable ou secourable envers un robot s’il n’est même pas équipé de circuits de gratitude ?

— Parce que… vous n’en avez aucun ? dit l’insecte, apparemment incapable d’abandonner une telle conversation.

— Je n’ai jamais eu l’occasion de le découvrir, l’informa Marvin.

— Écoutez, dans ce cas, espèce de misérable tas de boulons mal ajustés…

— N’allez-vous même pas me demander ce que je veux ?

L’insecte s’interrompit. Il darda sa longue et mince langue, se lécha les yeux, et la ravala.

— Est-ce que ça en vaut vraiment la peine ?

— Y a-t-il vraiment quelque chose qui vaille la peine ? s’empressa de remarquer Marvin.

— Enfin – qu’est – ce – que – vous – voulez ?

— Je cherche quelqu’un.

— Qui ? siffla l’insecte.

— Zaphod Beeblebrox, dit Marvin. Il est là, justement.

L’insecte en tremblait de rage. C’est tout juste s’il pouvait encore parler.

— Alors pourquoi me l’avoir demandé à moi ? glapit-il.

— Je cherchais simplement quelque chose à qui parler, expliqua Marvin.

— Quoi ?

— Pathétique, non ?

Et dans un ample grincement de rouages, Marvin fit demi-tour et repartit en cahotant. Il rattrapa Zaphod qui se dirigeait vers les ascenseurs. Zaphod virevolta, surpris.

— Eh ?… Marvin ? Marvin ! Comment êtes-vous arrivé ici ?

Et Marvin fut contraint de lui faire un aveu pour lui bien difficile :

— Je ne sais pas.

— Mais…

— À un moment donné, j’étais assis dans votre vaisseau, considérablement déprimé, le moment suivant, je me retrouve debout ici, complètement désespéré. Un champ d’improbabilité, je suppose.

— Ouais, observa Zaphod. Je suppose que mon arrière-grand-père vous aura expédié pour me tenir compagnie. » (Merci tout plein, papy ! ajouta-t-il dans sa barbe. Puis à voix haute :) « Alors, comment va ?

— Oh ! bien, dit Marvin. Pour autant qu’on puisse se sentir bien dans ma peau, ce qui n’est personnellement pas mon cas.

— Ouais, bon, dit Zaphod tandis que s’ouvraient les portes de l’ascenseur.

— Bonjour ! » lança la cabine d’une voix suave. « Je vais être votre ascenseur pour la durée de ce parcours jusqu’à l’étage de votre choix. La Compagnie cybernétique de Sirius m’a conçu pour vous conduire, cher visiteur, dans les bureaux du Guide du routard galactique. Si, une fois à destination, vous avez apprécié ce trajet que j’espère aussi rapide qu’agréable, je ne saurais trop vous engager à essayer quelques-uns de nos autres modèles récemment installés pour desservir les bureaux du service des Contribuables galactiques, les Petits Pots Bébé-Babil ainsi que l’Établissement psychiatrique d’État de Sirius dans lequel quantité d’ex-cadres de la Cybernétique de Sirius seront ravis de recevoir votre visite, vos témoignages de sympathie et de bonnes nouvelles du monde extérieur.

— Ouais, dit Zaphod en pénétrant dans la cabine. Et qu’est-ce que tu sais faire d’autre, à part causer ?

— Je monte, dit l’ascenseur. Ou je descends. C’est selon.

— Parfait, dit Zaphod. Eh bien nous allons monter.

— Ou descendre, lui rappela l’ascenseur.

— Ouais, c’est ça ; eh bien monte, s’il te plaît.

(Un moment de silence.)

— La descente est également très chouette, suggéra l’ascenseur, plein d’espoir.

— Ah ouais ?

— Super.

— Bon, dit Zaphod. Et maintenant, vas-tu nous monter ?

— Puis-je vous demander », s’enquit la cabine de sa voix la plus douce, la plus raisonnable, « si vous avez bien envisagé toutes les possibilités que la descente serait susceptible de vous offrir ?

Zaphod se frappa l’une des têtes contre la cloison de la cabine. Il n’avait pas besoin de ça, songea-t-il, il n’en avait vraiment pas besoin. Il n’avait pas demandé à être ici. Si on lui avait en fait demandé son avis à cet instant précis, sans doute aurait-il répondu qu’il préférerait être allongé sur la plage, en compagnie d’une bonne cinquantaine de beautés féminines et d’une petite équipe d’experts exclusivement chargés de découvrir de nouveaux moyens de lui être agréable, ce qui était sa réponse habituelle. À quoi il aurait probablement ajouté quelque remarque passionnée sur la question de la nourriture.

Une chose en tout cas qu’il n’avait pas envie de faire, c’était de traquer l’homme qui dirigeait l’Univers et qu’à son humble avis on pouvait bien laisser continuer de faire son boulot, vu que si ce n’était pas lui, ce serait un autre. Et par-dessus tout, il n’avait aucune envie de rester dans un immeuble de bureaux à discuter avec une cabine d’ascenseur.

— Quel genre de possibilités ? dit-il avec lassitude.

— Eh bien (et la voix se fit coulante comme du miel sur des biscuits), il y a le sous-sol, les archives, la chaufferie… euh… (une pause)… rien de particulièrement folichon, je l’admets, mais il y a d’autres choix…

— Par saint Zarquon ! grommela Zaphod ; est-ce que j’ai demandé à tomber sur un ascenseur existentiel ?

Il martela des poings la cloison.

— Mais qu’est-ce qui lui prend à ce machin ? éructa-t-il.

— Il n’a pas envie de monter, dit simplement Marvin. Je crois bien qu’il a peur.

— Peur ? s’écria Zaphod. Mais de quoi ? De l’altitude ? Un ascenseur qui a peur de l’altitude ?

— Non, répondit la cabine sur un ton penaud : de l’avenir…

— De l’avenir ? s’exclama Zaphod. Mais qu’est-ce qu’il veut, ce tordu ? Un plan retraite ?

À cet instant, un grand tumulte éclata derrière eux dans le hall de la réception, tandis que des murs qui les entouraient leur provenait un bruit de machines soudain mises en branle.

— Nous sommes tous capables de voir dans l’avenir », bredouilla l’ascenseur avec ce qui ressemblait fort à de la terreur, « cela fait partie intégrante de notre programmation.

Zaphod jeta un œil à l’extérieur : une foule agitée s’était rassemblée près de la batterie d’ascenseurs, avec force cris et poings brandis.

Toutes les cabines de l’immeuble étaient en train de descendre. À toute vitesse.

Il se rengouffra dans la cabine.

— Marvin, forcez-moi donc cet ascenseur à monter, voulez-vous ? Il faut absolument qu’on mette la main sur Zarniwoop.

— Pourquoi ? demanda Marvin, lugubre.

— Je ne sais pas, dit Zaphod, mais si jamais je le trouve, il ferait mieux d’avoir une bonne raison pour que j’aie voulu le voir.

Les ascenseurs modernes sont d’étranges et complexes entités. Les antiques treuils électriques et les machines du genre « charge-maximum-8-personnes » ont autant de rapport avec les Allègres Transports Verticaux de la Compagnie cybernétique de Sirius que trois calebasses fêlées n’en ont avec toute l’aile ouest de l’Établissement psychiatrique d’État de Sirius.

Cela parce qu’ils opèrent selon le curieux principe de la « perception temporelle défocalisée ». En d’autres termes, ils ont la capacité de discerner vaguement le futur proche, ce qui permet à la cabine de se trouver au bon étage, prête à vous charger, avant même que vous n’ayez eu simplement l’idée de l’appeler, éliminant ainsi toutes ces laborieuses corvées (bavarder, patienter, lier amitié) auxquelles se trouvaient jusque-là contraints les gens en attendant l’ascenseur.

Fort naturellement, bien des ascenseurs, devenus imbus de leur intelligence et de leur prescience, en venaient à ressentir quelque trouble frustration à passer stupidement leur temps à monter et descendre, monter et descendre et d’aucuns, après avoir caressé le fugace désir de glisser latéralement, en manière de révolte existentielle, exigeaient d’être partie prenante dans le processus de décision et finissaient par aller occuper les sous-sols. Pour y bouder.

Tout astrostoppeur sans le sou en visite sur l’une quelconque des planètes du système de Sirius peut de nos jours se faire sans problème un blé noir en travaillant comme conseiller psychologique pour ascenseur névrosé.

 

Au quinzième étage, les portes de la cabine s’ouvrirent avec violence.

— Quinzième, annonça la cabine, et dites-vous bien que tout ça, c’est par pure amitié pour votre robot.

Zaphod et Marvin se propulsèrent hors de la cabine qui claqua instantanément ses portes derrière eux et s’empressa de redescendre aussi vite que le permettait son mécanisme.

Sur ses gardes, Zaphod jeta un coup d’œil circulaire. Le corridor était désert et silencieux : nul indice lui permettant de savoir où trouver Zarniwoop. Toutes les portes donnant sur le couloir étaient anonymes et closes.

Ils se trouvaient non loin de la passerelle qui reliait les deux tours. Par une large baie vitrée, le radieux soleil de Bêta de la Petite Ourse déversait des tombereaux de lumière parmi laquelle dansaient de petits grains de poussière. Une ombre fugace fila dans les rayons.

— Sacqués sans douceur par un ascenseur censé vous servir, ça c’est sec, marmonna Zaphod (qui n’en menait pas bien large).

Ils regardaient chacun dans chaque direction.

— Vous savez quoi, Marvin… ? dit Zaphod.

— Plus que vous ne pouvez l’imaginer.

— Je suis sûr et certain que cette tour ne devrait pas trembler, termina Zaphod.

Ce n’avait été qu’un léger frémissement perçu à travers la semelle de ses chaussures – frémissement suivi d’un second. Dans les rayons de soleil, les grains de poussière dansèrent avec plus d’entrain. Une autre ombre fila.

Zaphod contempla le sol.

— Soit, dit-il sans grande conviction, ils ont inventé une espèce de vibromasseur pour tonifier les muscles du personnel pendant les heures de bureau, soit…

Il marcha jusqu’à la fenêtre et trébucha soudain car à cet instant précis sa paire Joo Janta 200 Super Chromatic Peril Sensitive avait viré au noir complet. Une ombre massive fila en vrombissant.

Zaphod arracha ses lunettes de soleil et à ce moment précis, l’édifice fut secoué par un grondement de tonnerre.

Il bondit jusqu’à la fenêtre :

— … soit nous sommes bombardés !

Un nouveau rugissement ébranla tout le bâtiment.

— Qui dans la Galaxie voudrait bombarder une maison d’édition ? demanda Zaphod mais il n’entendit pas la réponse de Marvin car à ce moment le bâtiment trembla sous une autre attaque.

En titubant, il essaya de regagner l’ascenseur – vaine manœuvre, se rendait-il bien compte, mais la seule qui lui soit venue à l’esprit.

Soudain, à l’extrémité du corridor qui débouchait à angle droit du leur, il aperçut brièvement une silhouette. Celle d’un homme. L’homme l’avait également aperçu.

— Beeblebrox, ici ! s’écria-t-il.

Zaphod lui jeta un œil méfiant tandis qu’une nouvelle déflagration ébranlait à nouveau tout l’édifice.

— Non, s’écria Zaphod, Beeblebrox, c’est ici ! Et vous, qui êtes-vous ?

— Un ami ! rétorqua l’homme.

Il se précipita vers Zaphod.

— Ah ouais ? L’ami de quelqu’un en particulier ou bien est-ce une disposition générale ?

L’homme déboula du bout du couloir dont le sol ondulait comme une couverture en folie sous ses pieds. Il était trapu, massif, tanné et ses vêtements donnaient l’impression d’avoir déjà fait deux fois le tour de la Galaxie (avec leur propriétaire à l’intérieur).

— Savez-vous, lui cria dans l’oreille Zaphod quand il fut à portée, que votre immeuble est en train de se faire bombarder ?

L’homme indiqua qu’il était au courant.

Le jour s’obscurcit soudain.

S’étant tourné vers la fenêtre pour en savoir la raison, Zaphod découvrit bouche bée un énorme astronef fuselé, couleur vert-de-gris, en train de longer lentement l’immeuble. Deux autres le suivaient.

— Le gouvernement que vous avez lâché est venu vous chercher, Zaphod, siffla l’homme. Ils vous ont dépêché une escadrille de Chasseurs de Frogstar !

— Les Chasseurs de Frogstar ? bredouilla Zaphod. Saint Pozyum !

— Vous saisissez le topo ?

— Et c’est quoi Frogstar ?

Zaphod était certain d’avoir entendu quelqu’un en parler quand il était président mais il n’avait jamais prêté beaucoup d’attention aux affaires officielles.

L’homme l’attirait en arrière vers une porte. Il le suivit. Dans un sifflement déchirant, un petit objet arachnéen et noir fendit l’air et disparut au bout du corridor.

— Qu’est-ce que c’était ? chuinta Zaphod.

— Robot nettoyeur de Frogstar, Classe A, à votre recherche, dit l’homme.

— Tiens donc.

— À plat ventre !

De la direction opposée débouchait un plus gros objet arachnéen et noir qui les frôla en vrombissant.

— Et là, c’était… ?

— Robot nettoyeur de Frogstar, Classe B, à votre recherche.

— Et ça ? demanda Zaphod, comme un troisième engin déchirait l’air.

— Robot nettoyeur de Frogstar, Classe C, à votre recherche.

— Eh, gloussa Zaphod en aparté, pas mal stupides, ces robots, non ?

Depuis la passerelle leur parvint alors un imposant grondement : y progressait une gigantesque masse noire, en provenance de la tour d’en face ; la chose avait la taille et la forme d’un tank.

— Sacré photon, qu’est-ce que c’est ce que ça ? haleta Zaphod.

— Un tank, dit l’homme. Robot nettoyeur de Frogstar, Classe D, venu vous chercher.

— Devrions-nous partir ?

— Je pense que ce serait préférable.

— Marvin ? appela Zaphod.

— Que voulez-vous ?

Marvin jaillit de derrière un tas de décombres au bout du corridor et les regarda.

— Vous voyez ce robot qui approche de nous ?

Marvin avisa la gigantesque forme noire qui se frayait un passage dans leur direction sur la passerelle. Baissa les yeux sur sa propre frêle carapace métallique. Regarda de nouveau le tank.

— Je suppose que vous désirez que je l’arrête ?

— Ouais.

— Le temps pour vous de sauver votre peau.

— Ouais, dit Zaphod. Allez-y, mon vieux !

— Eh bien, adieu, dit Marvin. Je sais où le devoir m’appelle.

L’homme tira Zaphod par le bras et Zaphod le suivit au bout du corridor. Une question lui vint à ce sujet :

— Mais au fait, où allons-nous ?

— Au bureau de Zarniwoop.

— Est-ce bien le moment d’avoir une entrevue ?

— Allons, venez !

Le Dernier Restaurant avant la Fin du Monde
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