Chapitre 3
Dix années de lumière plus loin, le sourire de Gag Halfrunt se retroussa de plusieurs crans. Alors qu’il contemplait sur son visio-écran le spectacle, relayé à travers le sub-éther depuis le pont du vaisseau vogon, il put voir se déchirer les ultimes lambeaux du champ de force du Cœur-en-Or puis le vaisseau lui-même s’évanouir dans une bouffée de fumée.
Bien, songea-t-il.
La fin des tout derniers survivants de la démolition ordonnée par lui de la planète Terre, songea-t-il.
Le terme définitif de cette dangereuse (pour la profession de psychiatre) et subversive (toujours pour la profession de psychiatre) expérience destinée à trouver la question correspondant à la réponse à la Question fondamentale de la Vie, de l’Univers et du Reste, songea-t-il.
Il y aurait fête ce soir chez ses collègues, et dès le lendemain matin, tous allaient retrouver leurs malheureux, perplexes et fort juteux patients, bien confortés de savoir qu’on n’était pas près de découvrir une bonne fois pour toutes le vrai sens de la vie, songea-t-il.
— Toujours encombrante la famille, n’est-ce pas ? remarqua Ford lorsque la fumée commença à se dissiper.
Il s’interrompit, regarda autour de lui :
— Mais où est Zaphod ?
Arthur et Trillian regardèrent autour d’eux, ahuris. Livides et choqués, ils étaient bien incapables de savoir où était passé Zaphod.
— Marvin, demanda Ford. Où est Zaphod ?
L’instant d’après, il demanda :
— Où est Marvin ?
Le coin du robot était vide.
Plongé dans un parfait silence, le vaisseau reposait dans les épaisses ténèbres de l’espace ; simplement agité parfois d’un imperceptible roulis. Tous les instruments étaient morts, tous les écrans étaient morts. Ils consultèrent l’ordinateur. Celui-ci leur dit :
— Veuillez m’excuser de cet arrêt momentané de mes communications. En attendant, voici un peu de musique légère.
Ils coupèrent la musique légère.
Ils fouillèrent chaque recoin du vaisseau, en proie à une surprise et une inquiétude croissantes : nulle part le moindre signe de Zaphod ou de Marvin. L’un des derniers endroits qu’ils inspectèrent fut le petit renfoncement où se trouvait la machine Nutri-Matic.
Dans la fente distributrice du synthétiseur de boisson Nutri-Matic se trouvait un petit plateau sur lequel étaient posés, sur leur soucoupe, trois tasses en porcelaine de Chine, un pot de lait en porcelaine, une théière d’argent emplie du meilleur thé qu’Arthur ait jamais eu l’occasion de goûter et un petit billet sur lequel était inscrit : « Un instant, s’il vous plaît. »