Chapitre 2

S’il y a quelque chose de prodigieux avec la vie, c’est bien les endroits incroyables où elle est prête à vivre. Pour peu qu’elle trouve une niche où loger, que ce soit dans les mers enivrantes de Santraginus V, où les poissons semblent se moquer comme d’une guigne du cap qu’ils prennent, au sein des tempêtes de feu de Frastra où, dit-on, la vie commence à 40 000° Celsius, ou simplement dans les replis du gros intestin d’un rat par pur plaisir masochiste, elle trouve toujours un moyen de s’accrocher quelque part.

Elle arrivera même à vivre à New York, bien qu’il soit difficile de savoir pourquoi. L’hiver, la température chute bien au-dessous du minimum légal, ou c’est ce qu’elle ferait si quelqu’un avait le bon sens d’instaurer un minimum légal. La dernière fois que quelqu’un avait établi la liste des cent premiers traits de caractère du New-Yorkais moyen, le bon sens pointait royalement en soixante-dix-neuvième position.

L’été, il y fait bougrement trop chaud. C’est une chose d’être une forme de vie qui prospère à la chaleur, et estime, à l’instar des Frastrans, qu’une gamme de température entre 40 000° et 40 004° reste tout à fait tempérée, mais c’est une tout autre paire de manches que d’être dans la peau d’un animal obligé de se draper dans la peau de tout un tas d’autres animaux à un moment donné de l’orbite de sa planète, pour découvrir, une demi-orbite plus loin, que cette même peau se couvre de cloques.

Le printemps est surfait. Une flopée d’habitants de New York vous vanteront à tue-tête les plaisirs du printemps, mais s’ils connaissaient vraiment quelque chose aux plaisirs du printemps, ils sauraient qu’il existe au bas mot cinq mille neuf cent quatre-vingt-trois sites meilleurs que New York pour en profiter, et cela, rien que sous la même latitude.

C’est l’automne, toutefois, qui décroche le pompon. Il n’y a pas grand-chose de pire que l’automne à New York. Certaines des créatures qui vivent dans le gros intestin des rats manifesteront sans doute leur désagrément à ce sujet, mais celles-ci étant de toute manière extrêmement désagréables, on peut et même on doit négliger leur opinion. Quand c’est l’automne à New York, l’air vous a des relents de bouc en méchoui, et si vous tenez absolument à respirer, le mieux est encore d’ouvrir une fenêtre et de passer la tête à l’intérieur d’un immeuble.

Tricia McMillan adorait New York. D’ailleurs, elle n’arrêtait pas de se le répéter. L’Upper West Side : ouais. Le centre : de super soldes. Soho. Le Village Est. Les fringues. Les bouquins. Les sushis. Les Italiens. Les traiteurs. Tout bon.

Les films. Tout bon aussi. Tricia venait juste de voir le dernier Woody Allen, sur le drame d’être névrosé à New York. Il avait déjà fait un ou deux autres films qui exploraient le même thème, et Tricia se demandait s’il avait déjà envisagé d’évoluer, mais elle avait entendu dire qu’il s’y était fermement refusé. Donc : d’autres films en perspective, à n’en pas douter.

Tricia adorait New York parce qu’adorer New York, c’était super pour un bon plan de carrière. C’était également un bon plan pour le petit commerce, un bon plan pour la grande restauration, tout le contraire d’un bon plan pour les chauffeurs de taxi ou la qualité de la chaussée, mais c’était assurément ce qui se faisait de mieux pour s’assurer un plan de carrière. Tricia était présentatrice de télévision et New York était la ville offrant la plus grande densité au monde de chaînes de télévision. Les présentations de Tricia, jusqu’ici exclusivement limitées aux écrans britanniques, avaient suivi cette progression implacable : journal régional, journal de midi, premier journal du soir. On aurait pu, si on avait osé, dire qu’elle était prête à faire péter l’Audimat mais enfin, c’est la télé, alors, qu’importe, elle était prête à faire sauter l’Audimat. D’ailleurs, elle avait tout ce qu’il fallait pour ça : des cheveux super, une profonde compréhension du rouge à lèvres stratégique, l’intelligence pour appréhender le monde, assortie d’une imperceptible et secrète insensibilité intérieure révélant qu’elle se fichait de tout. Tout le monde, un jour ou l’autre, a sa chance dans la vie. Pour peu que vous ayez laissé échapper celle qui vous tenait à cœur, tout le reste devient d’une facilité déconcertante.

Tricia n’avait laissé échapper sa chance qu’une fois. Ce genre de circonstance ne la faisait plus trembler outre mesure. Elle supposait que c’était ce qui lui avait donné cette insensibilité.

La N.B.S. recherchait une nouvelle présentatrice. Mo Minetti quittait le P’tit Déj’ de l’Amérique pour avoir un bébé. On lui avait offert une somme encore plus rondelette qu’elle pour qu’elle accouche sur le plateau mais, contre toute attente, elle avait décliné la proposition, alléguant de vagues motifs de vie privée et de convenance personnelle. Des nuées d’avocats de la N.B.S. avaient épluché son contrat pour voir si cela constituait un motif légal de rupture, mais au bout du compte, à contrecœur, ils avaient dû la laisser partir. C’était pour eux particulièrement rageant, car « devoir, à contrecœur, laisser quelqu’un partir » n’était pas, dans leur milieu, une expression en odeur de sainteté.

Le bruit courait qu’un accent britannique pourrait peut-être, éventuellement, qui sait, ne pas déplaire. Les cheveux, la carnation et la denture devraient évidemment répondre aux critères des réseaux télévisés américains, mais on avait déjà pas mal entendu d’accents britanniques remercier leur maman pour leurs Oscars, tout un tas d’accents britanniques chanter à Broadway, et on avait vu un public incroyablement nombreux se presser pour venir écouter des accents britanniques emperruqués sur la scène du Théâtre des Classiques. C’étaient des accents britanniques qui racontaient des blagues sur David Letterman et Jay Leno. Personne ne comprenait les blagues mais le public appréciait visiblement l’accent, et donc le moment était peut-être, éventuellement, allez savoir, enfin venu. Un accent britannique au P’tit Déj’ de l’Amérique. Enfin, bon, pourquoi pas.

C’était pour cela que Tricia était ici. C’était pour cela qu’adorer New York était super pour un plan de carrière.

Ce n’était, bien évidemment, pas la raison officiellement invoquée. Sa chaîne de télévision, au Royaume-Uni, ne lui aurait certainement pas avancé le billet d’avion et la note d’hôtel pour qu’elle aille décrocher un boulot à Manhattan. Comme elle cherchait à décrocher quelque chose aux alentours de dix fois son salaire actuel, sans doute auraient-ils estimé qu’elle était en mesure de régler ses propres dépenses, mais elle avait trouvé une histoire, un prétexte, elle était restée évasive sur les suites éventuelles et ils lui avaient avancé le voyage. Un billet en classe affaires, bien sûr, mais son visage était connu et un simple sourire lui avait gagné un surclassement. La mimique appropriée lui avait décroché une chambre agréable au Brentwood et elle en était là, se demandant quoi faire ensuite.

Un bruit qui court, c’est une chose, nouer le contact en était une autre. Elle avait bien deux noms, deux numéros, mais cela ne lui avait valu que de poireauter indéfiniment au téléphone à deux reprises, de sorte qu’elle se retrouvait à la case départ. Elle avait bien donné des coups de sonde, laissé des messages, sans plus de résultat jusqu’ici. Le boulot réel censé justifier son déplacement, elle l’avait terminé dans la matinée ; le boulot imaginaire après lequel elle courait ne faisait pour l’instant que miroiter, hors d’atteinte, à l’horizon. Merde.

Elle rentra du cinéma en taxi. Arrivé au Brentwood, le chauffeur ne put se garer le long du trottoir parce qu’une limousine interminable occupait tout l’espace disponible et elle dut se faufiler pour passer. Elle quitta l’air fétide, ambiance bouc en méchoui, pour retrouver la délicieuse fraîcheur du hall de l’hôtel. Le fin coton de son corsage lui collait à la peau comme de la vase. Ses cheveux lui donnaient l’impression d’avoir confondu coiffeur et marchand de barbe-à-papa. À la réception, elle demanda s’il y avait un message pour elle, sombrement persuadée de n’en avoir aucun. Il y en avait un.

Oh…

Bien.

Ça avait marché. Devait-elle l’ouvrir tout de suite, dans le hall ? Ses vêtements la démangeaient et elle n’avait qu’une hâte : s’en débarrasser et s’étendre sur le lit. En partant, elle avait réglé la climatisation au plus bas, la ventilation au plus haut. Ce qu’elle désirait plus que tout au monde, pour l’instant, c’était une bonne chair de poule. Puis une bonne douche brûlante, puis une fraîche, avant de se recoucher, étendue sur une serviette, et de se sécher à la climatisation. Puis lire le message. Et peut-être encore un peu de chair de poule. Peut-être tout un tas de trucs.

Non. Ce qu’elle désirait plus que tout au monde, c’était un boulot à la télé américaine payé dix fois son salaire actuel. Plus que tout au monde. Au monde. Ce qu’elle désirait plus que tout au monde n’était plus une question de vie ou de mort.

Elle s’assit dans un fauteuil sous un palmier du hall, et ouvrit la petite enveloppe à fenêtre.

« Prière me rappeler », disait le message. « Pas contente. » Suivait un numéro. C’était signé Gail Andrews.

Gail Andrews.

Ce n’était pas le nom qu’elle attendait. Ça la prit au dépourvu. Il lui disait vaguement quelque chose sans qu’elle puisse immédiatement savoir quoi. Était-ce la secrétaire d’Andy Martin ? L’assistante d’Hilary Bass ? Martin et Bass étaient les deux principaux contacts qu’elle avait noués, ou tenté de nouer à la N.B.S. Et que voulait dire ce « Pas contente » ?

« Pas contente » ?

Elle était complètement ahurie. Était-ce Woody Allen qui essayait de la contacter sous un nom d’emprunt ? L’indicatif du numéro, 212, indiquait que c’était quelqu’un résidant à New York. Et quelqu’un qui n’était pas content. Bon, ça réduisait déjà le champ des recherches, non ?

Elle retourna voir le réceptionniste.

— J’ai un problème avec le message que vous venez de me donner. Une personne que je ne connais pas a essayé de me joindre pour me dire qu’elle n’était pas contente.

Le réceptionniste déchiffra le billet, le front plissé.

— Connaissez-vous cette personne ? s’enquit-il.

— Non.

— Hmmm. On dirait qu’elle n’est pas contente d’un truc.

— Certes.

— On dirait qu’il y a un nom, là. Connaissez-vous quelqu’un de ce nom ?

— Non, dit Tricia.

— Une idée de la raison de ce mécontentement ?

— Aucune.

— Avez-vous appelé au numéro indiqué ? Il y a un numéro, là.

— Non, vous venez tout juste de me donner le message. J’essayais simplement d’avoir quelques informations complémentaires avant de rappeler. Peut-être que je pourrais parler à la personne qui a pris la communication ?

— Hmmmm », fit le réceptionniste en scrutant attentivement le billet. « Je ne crois pas que nous ayons ici quelqu’un du nom de Gail Andrews…

— Non, j’entends bien. Je voulais juste…

— Je suis Gail Andrews.

La voix venait de derrière Tricia. Elle se retourna.

— Pardon ?

— Je suis Gail Andrews. Vous m’avez interviewée ce matin.

— Oh. Oh, bonté divine, mais c’est bien sûr, s’exclama Tricia, un rien confuse.

— Je vous ai laissé ce message il y a deux heures. N’ayant pas eu de réponse, je suis venue aux nouvelles. Je ne voulais pas vous rater.

— Oh. Non. Bien sûr que non, dit Tricia, cherchant à toute vitesse à reprendre le train en marche.

— Je ne vois pas du tout de quoi il peut s’agir », intervint le réceptionniste, dont la vitesse de réaction n’était pas tout à fait la même. « Voulez-vous que j’essaye de vous obtenir ce numéro ?

— Non, ça ira très bien comme ça, merci. Je vais pouvoir me débrouiller.

— Je peux appeler la chambre dont le numéro est indiqué ici, si ça peut vous aider, insista le réceptionniste en consultant de nouveau le message.

— Non, ce ne sera pas nécessaire, merci. D’ailleurs, c’est le numéro de ma chambre. C’est à moi que le message était destiné. Je pense que nous avons réglé ce problème.

— Eh bien, je vous souhaite une agréable journée, dit le réceptionniste.

Tricia n’avait pas particulièrement envie d’avoir une agréable journée. Elle était occupée.

Elle n’avait pas non plus envie de causer avec Gail Andrews. Elle était très stricte pour ce qui était de fraterniser avec les chrétiens. C’était ainsi, en effet, que ses collègues baptisaient les victimes de ses interviews et il leur arrivait souvent de se signer quand ils en voyaient une pénétrer innocemment dans le studio où officiait Tricia, surtout lorsque celle-ci souriait chaleureusement en découvrant les dents.

Elle se retourna, le sourire glacial, se demandant quoi faire.

Gail Andrews arborait une quarantaine soignée. Sa tenue s’inscrivait dans la catégorie dite « bon goût pas donné » mais n’hésitait pas à flirter avec la limite supérieure de celle-ci. C’était une astrologue célèbre – et, s’il fallait en croire la rumeur, influente ; ainsi disait-on qu’elle avait influencé nombre de décisions du feu président Hudson, depuis le choix du parfum de la crème fouettée à servir chaque jour de la semaine, jusqu’à celui de la décision ou non de bombarder Damas.

Tricia avait réussi à lui en arracher un peu plus. Non sur la question de savoir si les bruits concernant le Président étaient vrais ; tout ça, c’était de l’histoire ancienne. À l’époque, Mad. Andrews avait nié avec la dernière énergie avoir conseillé le président Hudson sur autre chose que des questions personnelles, spirituelles ou diététiques, ce qui, apparemment, n’incluait pas la ville de Damas. (« DAMAS : RIEN DE PERSONNEL ! » avait aussitôt titré la presse à scandale.)

Non, c’était un éclairage nettement ciblé que Tricia avait réussi à obtenir, en resserrant l’entretien sur la question même de l’astrologie. Mad. Andrews n’y avait pas été vraiment préparée. D’un autre côté, Tricia n’était pas non plus vraiment préparée à disputer le match retour dans le hall de l’hôtel. Que faire ?

— Je peux vous attendre au bar, si vous avez besoin de quelques minutes, dit Gail Andrews. Mais j’aimerais vous parler, et je quitte la ville ce soir.

En fait, elle semblait plus inquiète que peinée ou fâchée.

— D’accord, dit Tricia. Accordez-moi dix minutes.

Elle remonta dans sa chambre. En plus du reste, elle avait si peu confiance dans les capacités du type chargé des messages à la réception pour traiter quelque chose d’aussi compliqué qu’un message, qu’elle voulait doublement s’assurer qu’un mot ne l’attendait pas sous sa porte. Ce ne serait pas la première fois que les messages laissés à la réception et ceux glissés sous la porte seraient en contradiction totale.

Il n’y en avait pas.

Toutefois le témoin « message » clignotait sur le téléphone.

Elle pressa la touche « message » et tomba sur le standard de l’hôtel.

— Vous avez un message de Gary Andress, l’informa la standardiste.

— Oui ? » dit Tricia. Le nom lui était inconnu. « Que dit-il ?

— Pas qu’une tante, dit la standardiste.

— Pas quoi ?

— Qu’une tante. C’est ce qu’il dit. Le type dit qu’il n’est pas qu’une tante. Je suppose qu’il tenait à vous le faire savoir. Vous voulez le numéro ?

Dès que la standardiste se mit à lui énumérer les chiffres, Tricia se rendit compte qu’il s’agissait juste d’une version brouillée du message qu’elle avait déjà eu.

— D’accord, d’accord, interrompit-elle. Y a-t-il eu d’autres messages pour moi ?

— Chambre numéro ?

Tricia n’arriva pas à saisir pourquoi la standardiste devait soudain s’enquérir de son numéro si tard dans la conversation mais elle le lui donna quand même.

— Votre nom ?

— McMillan, Tricia McMillan, épela Tricia, patiemment.

— Pas Mr MacManus ?

— Non.

— Pas d’autre message pour vous. » Clic.

Tricia poussa un soupir et rappela le standard.

Cette fois, elle donna d’emblée son numéro et celui de sa chambre. La standardiste ne trahit pas le moindre soupçon de souvenir de lui avoir parlé moins de dix secondes plus tôt.

— Je vais descendre au bar, expliqua Tricia. Le bar. Si jamais on me passe un coup de fil, voulez-vous avoir l’obligeance de me transférer la communication au bar ?

— Votre nom ?

Elles recommencèrent deux fois le même cirque, jusqu’à ce que Tricia fût certaine que tout ce qui pouvait humainement être clair était aussi clair qu’il soit humainement possible de l’être.

Elle se doucha, passa des habits propres et retoucha son maquillage avec l’aisance d’une professionnelle, puis, après un soupir en direction de son lit, elle ressortit de la chambre.

Elle était à deux doigts de se défiler discrètement pour aller se planquer.

Non. Pas vraiment.

Elle se regarda dans la glace du hall en attendant l’ascenseur. Elle jaugea son allure responsable et décontractée ; si elle était capable de se faire elle-même illusion, elle pourrait faire illusion devant n’importe qui.

Il faudrait simplement qu’elle fasse gaffe avec Gail Andrews. D’accord, elle lui avait mené la vie dure. Désolé, mais c’est la règle du jeu – et tout ce qui va avec. Mad. Andrews avait accepté l’entretien parce qu’elle venait de publier un nouveau livre et que tout passage à la télé était de la publicité gratuite. Mais un lancement n’est jamais gratuit. Non, elle coupa cette dernière remarque.

En réalité, les choses s’étaient déroulées ainsi :

La semaine précédente, des astronomes avaient annoncé qu’ils avaient enfin découvert une dixième planète, bien au-delà de l’orbite de Pluton. Ils la cherchaient depuis des années, guidés par certaines anomalies dans l’orbite des planètes extérieures, et voilà qu’ils l’avaient trouvée et ils étaient tous formidablement ravis, et tout le monde était formidablement content pour eux et ainsi de suite. La planète avait été baptisée Perséphone, mais bien vite surnommée Rupert, en souvenir du perroquet adoré d’un astronome – une anecdote déchirante courait à ce sujet –, et tout cela était absolument merveilleux et charmant.

Tricia avait suivi l’affaire avec, pour diverses raisons, un considérable intérêt.

Puis, alors qu’elle se cherchait une bonne excuse pour se rendre à New York aux frais de sa chaîne, elle était tombée par hasard sur un communiqué de presse à propos de Gail Andrews et de la sortie de son dernier livre Vos Astres et vous.

Le nom de Gail Andrews n’était pas précisément sur toutes les lèvres, mais il suffisait de mentionner le président Hudson, la crème fouettée et l’amputation de Damas (le monde avait évolué depuis les frappes chirurgicales ; le terme officiel avait été en fait « Damasectomie », c’est-à-dire « extraction de Damas ») pour que tout le monde saisisse.

Tricia vit aussitôt un sujet qu’elle s’empressa de vendre à son producteur.

L’idée que de grandes masses rocheuses tourbillonnant dans l’espace puissent connaître de votre journée quelque chose que vous ignoriez devait être sérieusement mise à mal par le fait qu’était soudain apparue là-haut une nouvelle masse rocheuse dont personne jusqu’ici n’avait soupçonné l’existence.

Cela devait mettre par terre un certain nombre de calculs, non ?

Et que devenaient toutes ces cartes de constellations, d’étoiles et de positions planétaires ? Nous savions tous (apparemment) ce qui se passait quand Neptune était dans la Vierge et ainsi de suite, mais quid lorsque Rupert se levait ? Est-ce que ce n’était pas toute l’astrologie qui devait être repensée ? Ne faudrait-il pas profiter de l’occasion pour admettre que tout cela n’était qu’un vaste ramassis de foutaises à jeter en pâture aux cochons, et se consacrer plutôt directement à l’élevage porcin, dont les principes se fondaient plus ou moins sur une base rationnelle ? Si nous avions connu Rupert trois ans plus tôt, le président Hudson aurait-il mangé de la crème à la myrtille le jeudi, de préférence au vendredi ? Damas serait-elle encore debout ? Enfin, ce genre de truc.

Gail Andrews avait raisonnablement bien accusé le coup. Elle se remettait à peine du choc initial, lorsqu’elle avait commis l’erreur assez sérieuse de vouloir déstabiliser Tricia en lui parlant sans sourciller d’arcs diurnes, d’ascension droite et autres domaines encore plus abscons de la trigonométrie tridimensionnelle.

Elle découvrit non sans surprise que tout ce qu’elle envoyait à Tricia lui revenait aussitôt avec encore plus de force qu’il n’était supportable. Personne n’avait prévenu Gail que le rôle de bimbo cathodique n’était pas le premier que Tricia jouait dans sa vie professionnelle. Derrière l’éclat du rouge Chanel, la coupe sauvage[1], et les lentilles de contact bleu cristallin, il y avait un cerveau qui lui avait permis de décrocher, dans une phase antérieure de son existence, une maîtrise de mathématiques et un doctorat en astrophysique.

 

Alors qu’elle entrait dans l’ascenseur, Tricia, un rien préoccupée, s’avisa qu’elle avait laissé son sac dans sa chambre ; elle se demanda si elle ne devrait pas foncer le récupérer. Non. Sans doute était-il plus en sûreté là où il était et, de toute façon, il ne contenait rien de particulièrement important. Elle laissa la porte de la cabine se refermer derrière elle.

En outre, se dit-elle en inspirant profondément, si la vie lui avait enseigné quelque chose, c’était bien ceci :

Ne jamais retourner chercher son sac.

Tandis que la cabine descendait, elle leva les yeux vers le plafond avec un air profondément absorbé. Quiconque ne connaissait pas mieux Tricia McMillan aurait dit que c’était exactement ce que font parfois les gens quand ils essayent de retenir leurs larmes. En fait, elle devait chercher à repérer la minuscule caméra vidéo de surveillance fixée dans l’angle supérieur du plafond.

 

Une minute après, elle quittait la cabine d’un pas relativement décidé pour se diriger à nouveau vers la réception.

— Cette fois, je vais vous l’écrire, dit-elle, parce que je ne veux pas qu’il y ait de confusion.

Elle inscrivit donc en gros caractères son nom, puis le numéro de sa chambre, puis la mention « au bar » sur un bout de papier, et donna celui-ci au réceptionniste qui l’examina.

— C’est au cas où il y aurait un message pour moi. D’accord ?

Le réceptionniste examinait toujours le papier.

— Vous voulez que je voie si elle est dans sa chambre ? demanda-t-il.

 

Deux minutes plus tard, Tricia se glissait sur le tabouret de bar voisin de celui de Gail Andrews, assise devant un verre de vin blanc.

— Vous m’avez fait l’effet d’une personne qui devait être plus à l’aise assise à un bar que timidement installée derrière une table, lui dit-elle.

C’était vrai et cela désarçonna quelque peu Tricia.

— Vodka ?

— Oui », répondit Tricia, méfiante. Elle se retint juste à temps de demander : « Comment saviez-vous ? » mais Gail répondit néanmoins à sa question informulée.

— J’ai demandé au barman, expliqua-t-elle avec un sourire aimable.

Le barman avait déjà préparé sa vodka et fit, avec un geste charmant, glisser le verre sur le comptoir d’acajou verni.

— Merci, dit Tricia, et elle le touilla vigoureusement.

Elle ne savait pas trop comment réagir devant ces assauts d’amabilité inattendus et elle était bien décidée à ne pas se laisser prendre à contre-pied. À New York, on n’était pas aimable avec les gens sans une bonne raison.

— Mad. Andrews, commença-t-elle avec fermeté. Je suis désolée que vous ne soyez pas contente. Je sais bien que vous avez dû me trouver un peu rude ce matin mais l’astrologie n’est, après tout, qu’un amusement populaire, ce qui est parfait. Ça fait partie du spectacle, vous avez su à merveille tirer votre épingle du jeu et c’est tant mieux pour vous. C’est distrayant. Ce n’est toutefois pas une science et il ne faudrait pas entretenir la confusion. Je crois que c’est un point que nous avons l’une et l’autre parfaitement réussi à démontrer ce matin, tout en fournissant au public un agréable divertissement, ce qui est notre façon de gagner notre vie à toutes les deux. Je suis désolée si cela vous a posé un problème.

— Je suis parfaitement contente, dit Gail Andrews.

— Oh », fit Tricia, pas certaine de savoir qu’en penser. « Votre message disait que vous n’étiez pas contente.

— Non. J’ai dit dans mon message que j’avais l’impression que vous n’étiez pas contente et je me demandais simplement pourquoi.

Tricia eut l’impression qu’on venait de lui balancer un coup de pied dans la nuque. Elle cligna des yeux.

— Quoi ? fit-elle calmement.

— Ça a un rapport avec les étoiles. Vous sembliez fort irritée et mécontente de quelque chose en rapport avec les étoiles et les planètes lors de notre discussion, et cela m’a préoccupée ; c’est pour cela que je suis venue voir si vous alliez bien.

Tricia la dévisagea.

— Mad. Andrews… commença-t-elle pour se rendre compte aussitôt que le ton qu’elle avait pris était précisément irrité et mécontent, et propre à saper la protestation qu’elle avait voulu émettre.

— Je vous en prie, appelez-moi Gail, si vous le voulez bien.

Tricia la regarda, interdite.

— Je sais fort bien que l’astrologie n’est pas une science, dit Gail. Bien sûr que non. Ce n’est qu’un ensemble arbitraire de règles à l’instar des échecs, du tennis ou, comment est-ce, déjà, ce truc étrange que vous pratiquez, vous autres Britanniques ?

— Euh, le cricket ? l’autoflagellation ?

— La démocratie parlementaire. En gros, les règles sont là sans qu’on sache trop pourquoi. Elles n’ont aucune espèce de sens en dehors de leur logique interne. Mais que l’on s’avise de les appliquer, toutes sortes de processus se mettent en branle et vous commencez à découvrir toutes sortes de choses sur les gens. En astrologie, il se trouve que les règles concernent les étoiles et les planètes, mais elles pourraient aussi bien concerner les canes et les canards, peu importe. Ce n’est jamais qu’une façon de réfléchir à un problème qui permet de mieux en faire émerger la structure. Plus il y a de règles, plus elles sont détaillées, plus elles sont arbitraires, mieux cela vaudra. C’est comme lorsqu’on jette une poignée de fine poussière de graphite sur une feuille de papier pour révéler des empreintes cachées. Cela vous permet de déchiffrer les mots inscrits sur la feuille précédente du bloc. Le graphite en soi n’a aucune importance. Ce n’est qu’un moyen de révéler les empreintes. Ainsi, voyez-vous, l’astrologie n’a aucun rapport avec l’astronomie. Mais bien avec une réflexion des gens sur les gens.

« Alors, quand je vous ai vue, comment dire, si émotivement braquée contre les étoiles et les planètes, ce matin, je me suis mise à penser : ce n’est pas après l’astrologie qu’elle en a, mais bel et bien après les étoiles et les planètes réelles. Les gens ont tendance à être irrités, mécontents, malheureux, quand ils ont perdu quelque chose. C’est ce que je me suis dit sur le coup sans pouvoir aller plus loin. C’est pourquoi je suis venue voir si vous alliez bien.

Tricia était abasourdie.

Une partie de son cerveau s’était déjà mise à bâtir toutes sortes d’hypothèses. Elle s’affairait à élaborer toutes sortes de réfutations assises sur le ridicule des horoscopes qu’on lit dans les journaux et les pièges statistiques dans lesquels ils font tomber le lecteur. Mais cette velléité retomba peu à peu, quand cette partie du cerveau se rendit compte que le reste de la matière grise n’écoutait pas. Tricia était complètement abasourdie.

Elle venait d’entendre une parfaite inconnue lui dire une chose qu’elle tenait parfaitement secrète depuis dix-sept ans.

Elle se tourna pour regarder Gail.

— Je…

Et s’arrêta.

Une minuscule caméra de sécurité fixée derrière le bar avait pivoté pour suivre son mouvement. Cela la démonta complètement. La majorité des gens ne l’auraient même pas remarquée. Elle était conçue pour ne pas l’être. Elle était conçue pour suggérer que, de nos jours, même un hôtel new-yorkais élégant et luxueux ne peut pas être sûr que sa clientèle ne va pas tout d’un coup brandir un revolver ou omettre de porter une cravate. Mais elle avait beau être bien planquée derrière la vodka, elle ne pouvait pas tromper l’instinct aiguisé d’une professionnelle de la télévision, qui était de savoir exactement quand une caméra se tournait pour la regarder.

— Un problème ? s’enquit Gail.

— Non, je… je dois admettre que vous m’avez plutôt impressionnée.

Tricia décida d’ignorer la caméra de surveillance. Ce n’était que son imagination qui lui jouait des tours, tant la télévision l’obnubilait aujourd’hui. Ce n’était pas la première fois que ça se produisait. Ainsi, elle en était convaincue, une caméra de surveillance de la circulation avait pivoté pour la suivre alors qu’elle passait sur le trottoir, et une caméra de sécurité, chez Bloomingdales, avait paru s’intéresser tout particulièrement à elle alors qu’elle essayait des chapeaux. Elle commençait vraiment à être piquée. Elle avait même imaginé qu’un oiseau de Central Park l’avait scrutée avec une étrange insistance.

Elle décida d’effacer tout cela de son esprit et but une gorgée de vodka. Quelqu’un était en train de parcourir la salle en demandant aux gens s’ils s’appelaient M. MacManus.

— D’accord, dit-elle, se lançant soudain. Je ne sais pas comment vous avez réussi votre truc, mais…

— Je n’ai pas réussi un truc, pour reprendre votre expression. Je me suis contentée de prêter l’oreille à ce que vous disiez.

— Ce que j’ai perdu, je crois, c’est tout un pan d’une autre vie.

— C’est le cas pour tout le monde. À chaque moment de chaque jour. Chaque décision que l’on prend, chaque souffle d’air que l’on inspire ouvre certaines portes et en referme quantité d’autres. Beaucoup que l’on ne remarque pas. Certaines, si. Il m’a paru que vous en aviez remarqué une.

— Oh, ça oui, je l’ai remarquée. Bon, d’accord, Voilà. C’est tout simple. Il y a bien des années, j’ai rencontré un type dans une soirée. Il prétendait venir d’une autre planète et m’a demandé si je voulais l’accompagner. J’ai répondu, oui, d’accord. C’était le genre de la soirée. Je lui ai dit que, le temps d’aller récupérer mon sac, je serais ravie de partir sur une autre planète avec lui. Il m’a fait remarquer que je n’aurais pas besoin de mon sac. Je lui ai répondu qu’il devait débarquer d’une planète bien arriérée pour ne pas savoir qu’une femme a toujours besoin de son sac. Il s’est un peu impatienté, mais je n’allais pas me laisser bêtement emballer sous prétexte que monsieur venait d’une autre planète.

« Je suis montée à l’étage. Ça m’a pris un bout de temps pour récupérer mon sac, et puis la salle de bains était occupée. Quand je suis descendue, il était parti.

Tricia marqua une pause.

— Et… ? fit Gail.

— La porte du jardin était ouverte. Je suis sortie. Il y avait des lumières. Une espèce de truc scintillant. J’ai juste eu le temps de le voir s’élever dans le ciel, filer sans bruit à travers les nuages et disparaître. Et voilà. Fin de l’histoire. Fin d’une vie et commencement d’une autre. Mais il ne se passe quasiment pas un instant de cette vie sans que je m’interroge sur cet autre moi. Un autre moi qui ne serait pas retourné chercher son sac. J’ai l’impression qu’il est là, quelque part, et que je marche dans son ombre.

Un employé de l’hôtel parcourait la salle en demandant à tous les clients s’ils étaient M. Miller. Aucun ne l’était.

— Vous pensez vraiment que ce… cette personne venait d’une autre planète ?

— Oh, sans aucun doute. Il y avait le vaisseau spatial. Oh, et puis aussi, il avait deux têtes.

— Deux ? Et personne d’autre ne l’avait remarqué ?

— C’était une soirée costumée.

— Je vois…

— Et il avait mis une cage à oiseau dessus, bien sûr. Avec un drap jeté sur la cage. Il faisait comme s’il avait un perroquet. Il tapait sur la cage, n’arrêtait pas de répéter bêtement : « Qu’il est beau, Coco », de caqueter et ainsi de suite. Puis, l’espace d’un instant, il a ôté le drap en rugissant de rire. Il y avait une autre tête sous le drap, qui riait à l’unisson. Ce fut un instant désagréable, croyez-moi.

— Sans doute avez-vous pris la décision correcte, ma chère, vous ne croyez pas ?

— Non. Absolument pas. Et je ne me sentais pas davantage capable de poursuivre ce que je faisais à l’époque. J’étais astrophysicienne, voyez-vous. Et on ne peut plus continuer à faire correctement de l’astrophysique quand on a rencontré un habitant d’une autre planète en chair et en os. Doté d’une seconde tête qui se fait passer pour un perroquet, en plus. C’est tout bonnement impossible. Pour moi, en tout cas.

— J’imagine que ça n’a pas dû être facile. Et c’est sans doute la raison pour laquelle vous avez tendance à mal supporter les gens dont le discours vous paraît complètement délirant.

— Oui. Je suppose que vous avez raison. Je suis désolée.

— Pas de problème.

— Vous êtes la première personne à qui j’en parle, au fait.

— Je me posais la question. Vous êtes mariée ?

— Euh, non. Difficile à deviner, de nos jours[2] ? Mais vous avez raison de me le demander parce que les deux sont sans doute liés. J’ai bien failli à plusieurs reprises, surtout parce que je voulais un gosse. Mais, chaque fois, le type finissait par me demander pourquoi je regardais constamment derrière moi. Qu’est-ce que vous voulez leur répondre ? À un moment, j’ai même envisagé de m’adresser à une banque du sperme et de m’en remettre au hasard. De m’offrir un gosse au père aléatoire.

— Vous ne pouvez quand même pas avoir envisagé une chose pareille, sérieusement ?

Tricia rit.

— Sans doute pas. Je n’ai jamais vraiment osé le faire pour de vrai. Jamais. En fait, c’est l’histoire de ma vie : ne jamais arriver à faire les choses pour de vrai. C’est pour ça que je bosse à la télé, je suppose. Rien n’y est vrai.

— Excusez-moi, m’dame, vous vous appelez bien Tricia McMillan ?

Tricia se retourna, surprise. Un homme se tenait devant elle, une casquette de chauffeur à la main.

— Oui, dit-elle, de nouveau instantanément sur ses gardes.

— M’dame, je vous cherche depuis près d’une heure. L’hôtel me soutenait qu’ils n’avaient aucun client sous ce nom, mais j’ai vérifié au bureau de M. Martin et on m’a bien confirmé que c’était ici que vous étiez descendue. Je leur ai redemandé et comme ils persistaient à me répondre qu’ils n’avaient jamais entendu parler de vous, je leur ai dit de vous contacter par téléphone mais ils n’arrivaient toujours pas à vous joindre. Au bout du compte, j’ai suggéré au bureau de me faxer une photo de vous directement dans la voiture, et de venir vérifier sur place.

Il consulta sa montre.

— Il est peut-être un peu tard, mais voulez-vous venir quand même ?

Tricia était médusée.

— M. Martin ? Vous voulez dire Andy Martin, de N.B.S. ?

— C’est ça, m’dame. Il s’agit de passer un bout d’essai pour Le P’tit Déj’ de l’Amérique.

Cela suffit à la propulser hors de son siège. Elle osait à peine songer aux tonnes d’appels pour M. MacManus ou M. Miller qu’elle n’avait cessé d’entendre.

— Faudra juste qu’on se dépêche, dit le chauffeur. À ce que j’ai pu comprendre, M. Martin pensait que ça pourrait valoir le coup d’essayer un accent britannique. Le patron de la chaîne est résolument contre cette idée. C’est M. Zwingler, et il se trouve qu’il doit s’envoler pour la côte dès ce soir ; je le sais, parce que c’est moi qui dois aller le prendre pour le conduire à l’aéroport.

— Parfait. Allons-y, je suis prête.

— Très bien, m’dame. C’est la grosse limousine garée devant.

Tricia se retourna vers Gail.

— Je suis vraiment désolée…

— Filez ! Filez ! Et bonne chance. J’ai été ravie de vous rencontrer.

Tricia chercha son sac pour y prendre de la monnaie.

— Zut », fit-elle. Elle l’avait laissé en haut. « Laissez, c’est moi qui invite, insista Gail. Vraiment. C’était tout à fait passionnant.

Tricia soupira.

— Écoutez, je suis vraiment désolée pour ce matin et…

— Pas un mot de plus. Je vais très bien. Ce n’est jamais que de l’astrologie. Un truc bien inoffensif. Ce n’est pas la fin du monde.

— Merci.

Dans un élan soudain, elle la serra dans ses bras.

— Vous n’avez rien oublié ? s’enquit le chauffeur. Vous ne voulez pas récupérer votre sac ou quoi que ce soit ?

— S’il est une chose que la vie m’a enseignée, répondit Tricia, c’est qu’il ne faut jamais aller récupérer son sac.

 

Un tout petit peu plus d’une heure plus tard, Tricia s’assit sur l’un des deux lits jumeaux de sa chambre d’hôtel. Elle resta plusieurs minutes sans bouger. Elle se contentait de fixer son sac, innocemment posé sur le lit voisin.

Elle tenait à la main un billet de Gail Andrews qui disait : « Ne soyez pas trop déçue. Téléphonez-moi si vous avez envie d’en parler. À votre place, je ne bougerais pas demain soir. Reposez-vous un peu. Mais ne vous en faites pas pour moi. Il n’y a pas de quoi fouetter un chat : tout cela n’est jamais que de l’astrologie. Ce n’est pas la fin du monde. Gail. »

Le chauffeur avait eu raison sur toute la ligne. En fait, il semblait être mieux informé des rouages internes de la N.B.S. que tous les autres responsables de la firme qu’elle avait pu rencontrer. Martin penchait pour elle, mais pas Zwingler. Elle n’avait eu droit qu’à un bout d’essai pour donner raison à Martin, et elle l’avait raté.

Oh bon. Oh bon, oh bon, oh bon.

Il était temps de se rapatrier. Temps de téléphoner à la compagnie aérienne pour voir si elle pouvait encore prendre ce soir le vol des yeux bouffis pour Heathrow. Elle saisit l’annuaire.

Mais chaque chose en son temps.

Elle reposa l’annuaire, prit son sac et l’emporta avec elle dans la salle de bains. Elle le reposa et en sortit les petits étuis de plastique contenant les lentilles de contact sans lesquelles elle avait été incapable de lire le texte du prompteur.

Tout en glissant chaque minuscule coupelle de plastique sous ses paupières, elle songea que si la vie lui avait enseigné une chose, c’était qu’il y a des moments où il ne vaut mieux pas aller récupérer son sac et d’autres où il vaut mieux.

Restait à lui enseigner à distinguer entre les deux types de situations.

 

Globalement Inoffensive
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