ACTE
PREMIER
Un salon élégant un peu en désordre.
(Au lever du rideau, une femme de chambre sévère introduit Marthe, jeune femme chic, jolie, bavarde, un peu acide.)
LA FEMME DE CHAMBRE : Ah ! C’est Mme Payen !… Madame sera bien contrariée !… Je crois que Madame est sortie…
MARTHE : Tiens !…La concierge m’avait pourtant dit…
LA FEMME DE CHAMBRE (piquée.) : Si Madame se fie plus à la concierge qu’à moi…
MARTHE (amusée.) : Mais pas du tout, Lise, pas du tout ! Vous êtes en froid avec la concierge ?
LA FEMME DE CHAMBRE : Je ne me commets pas avec les concierges. Je n’aime pas les personnes qui appartiennent à une race intermédiaire.
MARTHE : Sans indiscrétion, mon enfant, qu’est-ce que vous appelez une race intermédiaire ?
LA FEMME DE CHAMBRE : Mais, Madame, ça se comprend de soi-même ! Un concierge, ce n’est pas un domestique, n’est-ce pas ? Et ça n’est pas un maître non plus. C’est comme qui dirait, dans son genre, un mulâtre.
MARTHE : Monsieur est sorti aussi ?
LA FEMME DE CHAMBRE : Non, Madame. C’est à dire… je n’ose pas m’avancer… Monsieur doit être dans le fumoir, je vais m’en assurer.
(Elle sort.)
MARTHE (seule.) : Je n’oserais jamais changer de linge devant une personne aussi digne ! (Elle furète, en amie intime.) Les maîtres de la maison sont, par chance, moins imposants… Drôle de maison. Ça n’a jamais l’air rangé ici. Je ne pourrais pas vivre dans un désordre comme celui-là, moi. (Elle redresse un cadre contre le mur.) Ça me donne le mal de mer. Jusqu’à la boîte de bonbons qui n’est jamais deux jours de suite à la même place ! (Cherchant.) Où l’ont ils fourrée ? Ah ! la voilà. (Elle croque des bonbons.) Heureusement que le mari est un amour, lui ! C’est drôle, dans les ménages que je connais, le mari est presque toujours un amour… excepté dans le mien !…
MAX (entrant vivement, très empressé, très flirt.) : vous étiez là ! Depuis longtemps ? Combien de minutes de vous ai-je perdues ?
MARTHE (riant.) : Vous les retrouverez ! Vous êtes seul ? Fanchette n’est pas là ?
MAX : Mais si, elle est là. Je l’ai entendue il y a un instant, elle riait avec son gosse…
MARTHE : Ah ! oui, toujours son gosse… Il va bien, lui aussi ?
MAX : Je pense. Vous demanderez à Fanchette.
MARTHE : Eh bien, on ne peut pas dire que vous soyez curieux de ce qui se passe chez vous, au moins.
MAX (placide.) : Non. Nous sommes arrangés comme ça, Fanchette et moi. « Fais ce que tu veux, moi de même. »
MARTHE : Ça peut vous mener loin…
MAX (soupirant.) : Guère ! Regardez où nous en sommes, depuis trois mois que je vous fais la cour !
MARTHE : Chut !
MAX : Qu’est-ce que j’ai dit de mal ?
MARTHE : Rien… mais… Fanchette…
MAX : Fanchette sait très bien que je vous fais la cour.
MARTHE (riant à mi-voix.) : Oui, mais j’ai peur de la femme de chambre !
MAX (très près de Marthe.) : Dieu, que cette robe est jolie !
MARTHE (coquette.) : Ce chapeau vous plaît ?
MAX : Voyons… oui… Tournez un peu la tête par là… Oh ! Très bien. La robe aussi. J’adore ces modes-là, moi. Ça plaque ici, ça bâille là, ça remonte ici, ça descend là…
MARTHE (se défendant.) : Un geste de plus, j’appelle ma mère !
MAX : Qu’est-ce que vous avez là-dessous ?
MARTHE : Sous quoi ?
MAX : Sous cette espèce de chemise-fourreau qui vous… épouse de si près… ?
MARTHE : Oh ! c’est la scie… Je n’ai rien ou à peu près… Une combinaison en peu de chevreau.
MAX (rêveur.) : En peau de chevreau… Un type dans le gendre de saint Jean Baptiste… Ah ! que j’aimerais vous voir gambader autour de moi, vêtue d’une peau de chevreau, de très petit chevreau… (Brusquement.) Vous m’aimez toujours ?
MARTHE (plaisantant.) : Jusques au délire !
MAX : C’est bien peu.
MARTHE : Et vous ?
MAX (pudique.) : Madame !… Vous ne savez pas à qui vous parlez ! Je suis marié !
MARTHE : Eh bien, et moi donc ? D’ailleurs, vous, vous l’êtes si peu… Figurez-vous qu’il y a des gens qui prennent Fanchette pour votre maîtresse.
MAX : C’est très blessant.
MARTHE : Pour elle ?
MAX : Non… Pour vous.
MARTHE (riant.) : Malhonnête !… C’est vrai, vous avez tellement l’allure d’un ménage pour rire !
MAX : D’un ménage où on rit, vous voulez dire. J’ai choisi la meilleure part, et fait de ma femme…
MARTHE : Un camarade, je l’attendais.
MAX : Oui. Un camarade avec qui on fait les mille z’horreurs. C’est rudement commode, vous savez. Je flirte, elle marivaude, nous coquetons… Et puis, le soir, dans le dodo, on se dit tout.
MARTHE : Tout ? Vous exagérez.
MAX : Pas du tout, elle ne me cache rien.
MARTHE : Et vous ?
MAX : Moi ? Je lui dis… que je vous adore.
MARTHE : Oui. Mais vous n’oseriez pas lui dire que vous m’aimez. (Geste de Max.) D’abord, ce ne serait pas vrai.
MAX (léger et évasif.) : Ce ne serait pas assez !
MARTHE : Et… qu’est-ce qu’elle en dit, Fanchette, de notre grande passion ?
MAX : Elle ? Elle se tord. Vous savez, elle ne s’épate pas facilement. Elle me raconte ses petites affaires, elle me demande conseil, au besoin… (Marthe, sans être vue de lui, lève les yeux au ciel et hausse les épaules.) En dehors de mes avis éclairés, elle vit à sa guise, sous l’œil de Dieu. Elle a sa morale à elle.
MARTHE : Bien à elle !
MAX : Elle dit : « Le mal, c’est ce qui est laid. » Vous comprenez, je ne vais pas aller déranger cette sérénité païenne. (Naïvement satisfait.) Mon système n’est peut-être pas neuf, mais il n’est pas le plus mauvais, allez !
MARTHE (à part.) : C’est drôle, je le croyais intelligent !
MAX : Il faut évidemment avoir affaire à une nature de tout repos.
MARTHE : Comme s’il y avait des femmes de tout repos !
MAX : Ce n’est pas à vous que je pensais. Vous… vous êtes… la perturbatrice. Ah ! que vous devez bien savoir mentir !
MARTHE (modeste.) : Oh !… Comme tout le monde…
MAX : Mieux que les autres ! (Allumé.) Tout en vous provoque et se dérobe… Cette taille de couleuvre, ce coin de bouche perfide… Ah ! Marthe…
MARTHE : Je vous défends de m’appeler Marthe !
MAX (candide.) : Quel autre prénom désirez-vous que je vous donne ?
MARTHE : Mais aucun ! Vous pouvez bien m’appeler madame, comme tout le monde !
MAX (amer.) : C’est ça, reléguez-moi dans la foule anonyme ! Après trois mois de passion invétérée ! Madame !… Ah ! c’est gai ! (Changeant de ton brusquement.) Qu’est-ce que vous faites demain entre trois et cinq ?
MARTHE (étonnée.) : Demain ? Entre trois et cinq ? Je ne sais pas…
MAX (péremptoire.) : Je le sais, moi ! Marthe, j’ai besoin de vous parler sérieusement, et de vous embrasser, non moins sérieusement.
MARTHE : Où ça ?
MAX (impétueux.) : Partout !
MARTHE (effarée.) : Mais non ! Je voulais dire où ? Dans quel… dans quel local, enfin…
MAX : Ah ! bon… (Plus bas, se rapprochant.) Connaissez-vous cette petite rue qui coupe l’avenue de…
MARTHE (bas, vivement, désignant la porte.) : Chut, donc ! Il y a quelqu’un, là…
MAX (élevant la voix.) : Fanchette ! Tu es là ?
VOIX DE FANCHETTE : Oui !
MAX : Qu’est-ce que tu fais là toute seule ?
VOIX DE FANCHETTE : Je ne suis pas toute seule, je suis avec le gosse.
Marthe fait un geste qui signifie : « naturellement ! »
MAX : Ah ! Le gosse est là ? Il va bien ?
VOIX DE FANCHETTE : Très bien, merci.
MAX : Qu’est-ce que vous faites là-dedans ?
MARTHE : Mon cher, vous êtes bien curieux !
MAX (haussant les épaules.) : Qu’est-ce que vous faites ? Ça empeste le brûlé !
VOIX DE FANCHETTE : C’est des pistaches que j’ai voulu faire griller sur mon réchaud pour chauffer les fers à friser… Ça n’a pas marché. (Elle entre.) Tiens, Marthe !
MARTHE (shake-hand.) : Bonjour !
FANCHETTE : Dieu, que cette robe est jolie !
MARTHE : Vous n’avez pas seulement eu le temps de la regarder !
FANCHETTE : C’est vrai. Mais j’ai confiance. J’espère que Max vous a tenu compagnie ?
MAX (fat, à Fanchette.) : Je ne lui ai pas tenu que ça.
MARTHE (suffoquée.) : Qu’est-ce que vous dites ?
MAX (à Fanchette.) : Je lui ai tenu… des propos déshonnêtes.
MARTHE (à Fanchette.) : C’est rigoureusement vrai. Et puis, vous savez, c’est lui qui a fait la gaffe.
FANCHETTE : Quelle gaffe ?
MARTHE : Je m’étais heurtée à votre sévère consigne : « Madame est sortie. »
FANCHETTE : Ah ! oui, le gendarme…
MARTHE : Mais (Désignant Max.) : c’est un type dans le genre de saint Jean Bouche d’Or. (Imitant Max.) : « Fanchette ? mais elle est là ! avec son gosse ! » … Sans rancune, hein ?
FANCHETTE : Oh ! sans rancune ! J’ai le temps de le voir, vous savez, le Gosse ! Et vous deux ? Ça tient toujours ce grand flirt ?
MARTHE (riant.) : Pas mal, merci.
FANCHETTE : Ravie de vous l’entendre dire. (Désignant Max.) : Tenez-le serré, il n’y a pas plus coureur.
MARTHE : Mais c’est une procuration en bonne et due forme que vous me donnez là !
FANCHETTE : Pourquoi pas ? Vous êtes le flirt de Max, le flirt idéal… pour moi.
MARTHE : Le flirt… sans danger ?
FANCHETTE : Le flirt décoratif, avantageux, compromettant. Si Max faisait la cour à une femme laide, je me sentirais vexée, outragée… Oh ! je serais furieuse ! Songez donc ! Qu’est ce qu’on irait supposer de moi ?
MAX (les bras au ciel.) : Je n’ose pas y penser.
MARTHE : Quel ménage !
FANCHETTE (les mains sur les épaules de Max.) : Tout de même, méfiez-vous, ma chère, on se dit tout, nous deux !
MARTHE : Oui, oui, je sais !…
MAX (à Fanchette.) : Mais toi-même, ô ma digne épouse, où donc est ton joujou favori ?
FANCHETTE (appelant vers la porte entrouverte.) : Gosse !… Eh bien, Gosse ? Allons, vite, mon petit !
LE GOSSE (entrant.) : Voilà, voilà ! (À Marthe, s’essuyant les doigts avant de lui baiser la main.) Je vous demande pardon, ce sont ces sales pistaches…
FANCHETTE (menaçante.) : Sales ! Répétez un peu !
LE GOSSE : Elle me fait faire un métier de marmiton ! Je suis tout noir.
(On s’assied.)
MARTHE (à Fanchette, désignant le Gosse.) : Vous avez là un bien bel enfant, Madame.
FANCHETTE (jouant à la dame.) : N’est-ce pas, Madame ? Tout le monde m’en fait compliment. Et si avancé pour son âge ? (Au Gosse.) Récite ta fable à la dame !
LE GOSSE (un doigt dans la bouche, faisant l’enfant.) : Non, veux pas, là !
MARTHE (à Max.) : Comment, elle le tutoie, maintenant ?
MAX : Est-ce que je sais ? Ça ne nous regarde pas. Venez donc vous asseoir là, près de moi ! (À Fanchette.) Fanchette ! joue avec le petit garçon, et n’écoute pas ce que disent les grandes personnes !
FANCHETTE (gaiement.) : Compris ! (Au Gosse, impérieuse.) Ici, Gosse ! (Il vient s’asseoir à ses pieds sur un petit tabouret. – Elle prend une corbeille sur ses genoux et fourrage dedans.) Il faut pourtant que je range mon panier à paresse… Quand on pense ! Voilà des bonbons de la semaine dernière que je n’ai pas encore « mis à jour » !
LE GOSSE : C’est moi qui vous les ai donnés, pourtant !
FANCHETTE : Faut-il que je vous les rembourse ? Ce qu’il est vénal, ce petit-là !
LE GOSSE : Vous en voulez d’autres ?
FANCHETTE : Cette question !
LE GOSSE : J’en ai.
FANCHETTE : Donnez vite.
LE GOSSE : J’en ai… chez moi.
FANCHETTE : Allez les chercher.
LE GOSSE : Venez avec moi.
FANCHETTE : En voilà une idée, par exemple ! (Fouillant dans le panier.) Tiens ! le fouet de la chienne ! Je l’ai assez cherché !
LE GOSSE (plus bas.) : Vous savez, elle nous fait de mauvais yeux.
FANCHETTE : Qui ça ?
LE GOSSE (désignant Marthe.) : La dame au chapeau, là…
FANCHETTE : Ça vous gêne ?
LE GOSSE : Non, mais vous ?
FANCHETTE : Non plus.
LE GOSSE : C’est égal. Elle n’a pas l’air de nous regarder, mais je la sens rosse.
FANCHETTE : Croyez-vous ? Chez Marthe, ce n’est pas de la méchanceté, c’est une attitude, une espèce d’empressement à suivre la mode… car la mode n’est plus aux « bonnes filles, ni aux gentils petites femmes… »
LE GOSSE : Oui, à présent, on porte les teintes crues et la rosserie affichée. Les hommes aiment ça.
FANCHETTE : À qui le dites-vous ? J’ai eu la visite d’un ami de Max, un nouveau marié, qui m’a parlé de sa jeune femme en termes… étranges.
LE GOSSE : Qu’est-ce qu’il disait ?
FANCHETTE : Il parlait de son sale caractère comme d’une vertu domestique, il disait : « Ah ! le petit chameau ! il y a pas plus charogne ! »
LE GOSSE : Charmant.
FANCHETTE : Marthe est assez le « petit chameau ». Elle espionne par système et dénigre par habitude. Au fond, elle n’en pense pas un mot.
(Petit silence. Pendant le dialogue qui précède, Max et Marthe causent et rient. Max a ouvert l’ombrelle de Marthe et pendant un instant leurs têtes disparaissent sous l’ombrelle inclinée vers le public.)
LE GOSSE : Vous ne m’avez pas répondu tout à l’heure.
FANCHETTE : À quoi ?
LE GOSSE : Vous le savez très bien.
FANCHETTE : Venir chez vous ? Ça va recommencer ? Mais oui, j’ai entendu. Et je n’irai pas.
LE GOSSE : Ah ! (Un temps.) Au fond, vous avez la frousse.
FANCHETTE (méprisante.) : La frousse ? Ah ! là, là, mon pauvre petit ! Peur de ça, moi ?
(Elle lui pince le menton.)
MARTHE (qui les surveille, à Max.) : Sont-ils gentils, tous les deux !
MAX : Eh bien, et nous ? On n’est pas répugnants, que je sache !
MARTHE : Nous nous tenons mieux.
MAX : Mais nous promettons davantage.
MARTHE : Oh ! vous croyez ? Vos pensées et celles du Gosse, puisque Gosse il y a, doivent se ressembler en ce moment comme… deux femmes nues.
MAX : Vous, vous m’ennuyez. Vous voulez faire de Fanchette une femme raisonnable, une femme comme les autres !
(Fanchette éclate de rire.)
MAX (à Fanchette.) : Qu’est-ce qu’il a dit encore ?
FANCHETTE : Oh ! c’est trop bête, je ne peux pas le répéter.
LE GOSSE (bas à Fanchette.) : Taisez-vous donc !
FANCHETTE (au Gosse.) : Hein ! Vous n’en menez pas large ! (À son mari et à Marthe.) D’ailleurs, ça ne vous regarde pas.
(Max et Marthe reprennent leur aparté.)
LE GOSSE (grognon, à Fanchette.) : C’est malin, ce que vous avez fait là.
FANCHETTE : C’est pour vous montrer que de nous deux, c’est vous, le froussard. Qu’est-ce que j’irais faire chez vous ? On sera bien mieux chez Olympe.
LE GOSSE : Qu’est-ce que c’est que ça, Olympe ? Un petit pied-à-terre ?
FANCHETTE : C’est un petit pied à thé. On y mange des sandwiches aux harengs, ma chère !… C’est une petite boîte très gentille, toute simple.
LE GOSSE : Trop simple pour moi. Chez moi, tout est d’un luxe inouï !
FANCHETTE : Je connais. Vous avez une telle horreur de tout ce qui est simple que vous avez mis partout des doubles rideaux.
LE GOSSE : J’ai aussi une double clef, pour vous…
FANCHETTE : Il ne me manque plus que la double voilette…
LE GOSSE : Les baisers doubles…
FANCHETTE : Et du curaçao triple sec ! (Ils rient tous deux.) Mon Dieu, que nous sommes spirituels ! Que vous m’amusez, Gosse ! Comment voulez-vous que je vous prenne jamais au sérieux ? Non là, vrai, quand je voudrais de tout mon cœur… être votre maîtresse, je ne pourrais jamais ! Je mourrais de rire ! Je ne peux pas un instant m’imaginer… (Elle rit.) Ou bien, je penserais à autre chose au moment de…
LE GOSSE (têtu.) : Ça, c’est mon affaire. Mais puisque ce sera pour rire, justement ! Une visite, rien qu’une visite ! On jouera au ménage illicite ! (Elle ne répond pas.) Demain, ça tient ? (Elle fait signe que non.) Au fond, vous avez un peu peur.
FANCHETTE (furieuse.) : J’ai peur, moi ?… J’ai peur ?
LE GOSSE : Comme un seul homme.
FANCHETTE : Serin, va !
LE GOSSE (taquin, têtu.) : Vous ne viendrez pas, parce que vous avez peur. Chiche que vous ne viendrez pas. Chiche que vous avez peur.
FANCHETTE (outrée.) : Vous êtes un… un… je ne peux pas dire quoi !
LE GOSSE : Répétez-le donc, et je vous embrasse.
FANCHETTE : Oui, je le répète.
LE GOSSE : Ah ?
(Il l’embrasse rapidement.)
FANCHETTE (criant.) : Oh !
(Elle se lève et répand à terre tout le contenu de la corbeille.)
MAX ET MARTHE (se lèvent, s’approchant.) : Qu’est-ce qu’il y a ?
FANCHETTE : (indignée.) : Il m’a embrassée !
(Le Gosse est un peu gêné.)
MAX (blagueur et grave.) : Ma position est bien difficile. Le souci de ma dignité exige une réparation immédiate. (Farouche.) Je sais ce qui me reste à faire !
(Il empoigne brusquement Marthe et l’embrasse trois ou quatre fois.)
FANCHETTE (vaguement choquée.) : Eh bien, vrai !… C’est tout ce que ça te fait ?
MAX (de même.) : Moi ? non, ce n’est pas tout.
(Il recommence.)
MARTHE (se débattant.) : Mon chapeau ! Mon mignon ! Au secours ! Un satyre !
(Le Gosse et Fanchette se précipitent.)
MAX (poursuit Marthe en criant.) : Retenez-moi ! Retenez-moi, ou je vais faire un bonheur !
FANCHETTE (l’asseyant de force.) : Max ! Max ! veux-tu la laisser tranquille !
MARTHE (rajustant son chapeau.) : Mes petits enfants, je m’en vais. Cette maison patriarcale et mouvementée m’épouvante. (À Max.) Mes manches, s’il vous plaît. (Au Gosse qui s’empresse.) Non, pas vous. Vous êtes déjà de service. Max ?…
(Il l’aide.)
MAX (bas à Marthe, en l’aidant à passer ses manches.) : Alors ?… Rue du Sergent-Hoff ? Près de l’avenue Niel, vous voyez ça ?… (Fanchette s’approche, il l’arrête.) Laisse, mon petit, je reconduis Marthe.
(Ils remontent en parlant bas et sortent.)
(Fanchette les épie, soupçonneuse, et tend l’oreille.)
FANCHETTE (à elle-même.) : Il la reconduit… Oui, il la reconduit… sur les deux joues ! (Elle redescend. Au Gosse qui boude.) Gosse ?
LE GOSSE (boudeur.) : Quoi ?
FANCHETTE : Oh, ce caractère ! Quand on est de cette humeur-là, mon ami, on se cache, on vit tout seul, on accroche une pancarte à sa porte : « Je boude ! » De manière que les camarades gentilles, qui voudraient justement vous faire une petite visite vers cinq heures…
LE GOSSE (vivement.) : Non ? Vrai ! Fanchette ?… (Consterné.) Je fais des excuses plates, plates, plates… C’est vrai que demain, vers cinq heures, chez moi ?
(Marthe est rentrée sur ces mots et a entendu la fin de la phrase.)
MARTHE : Mon ombrelle ?
(Elle cherche, Fanchette et le Gosse aussi.)
FANCHETTE (cherchant.) : Elle était là, contre le divan…
MARTHE (à part, cherchant.) : Qu’est-ce qu’ils ont dit ? Demain à cinq heures ? Eh, eh ! Ces innocents ! (Haut.) Ah ! je l’ai ! Merci ! Au revoir, Fanchette !
(Elle sort vivement.)
FANCHETTE (à Marthe.) : À bientôt !
LE GOSSE (heureux, inquiet.) : Alors, vous disiez… que demain… à cinq heures…
FANCHETTE (distraite, les yeux vers la porte.) : Sais pas… peut-être… (Redescendant.) Promettez-moi qu’on s’amusera ?
LE GOSSE (enchanté.) : Je vais régler le programme des fêtes !
MAX (rentrant.) : Vous partez, Gosse entreprenant ?
LE GOSSE (shake-hand) : Je crois bien, on me chasse !
MAX : C’est bien fait. À demain.
LE GOSSE : À demain, oui… Au revoir, Fanchette…
(Max et Fanchette restent seuls, Max va et vient, chantonne, regarde par la fenêtre, Fanchette reste immobile et songeuse.)
FANCHETTE (brusquement.) : Qu’est-ce qu’elle t’a dit ?
MAX : Qui donc, mon petit ?
FANCHETTE : Marthe.
MAX (trop dégagé.) : Ce qu’elle m’a dit ? Des potins, des riens… Marthe énonce rarement de ces paroles définitives qui se gravent dans la mémoire…
FANCHETTE : Tu sais, elle est ravie que tu lui fasses la cour.
MAX (avantageux.) : Elle serait difficile ! (Se regardant dans la glace.) Je suis en beauté aujourd’hui, n’est-ce pas ?
FANCHETTE (riant.) : Que tu es bête, Max !
MAX : Je suis bête, mais je suis beau. Elle aussi, d’ailleurs…
FANCHETTE : Elle aussi quoi ?
MAX : Elle m’a semblé en forme, aujourd’hui.
FANCHETTE : Peuh ! Je n’aime pas beaucoup cette façon de se mettre du rouge en plein jour, tu sais… Qu’est-ce qu’on fait cet après-midi ? On sort ?
MAX (lui prenant sa taille.) : On reste ensemble, si Madame veut bien.
FANCHETTE (contente.) : Chic !
MAX : Et demain aussi ! (Se reprenant vivement.) C’est-à-dire…
FANCHETTE (en même temps, vivement.) : C’est-à-dire…
(Ils se regardent un peu embarrassés.)
MAX : C’est-à-dire, non. Pas demain. Demain j’ai promis de passer à l’hippique…
FANCHETTE : Moi aussi… (Se reprenant.) Qu’est-ce que je dis donc ? Au contraire, je ne peux pas. J’ai la corsetière, voilà trois fois que je la remets…
MAX : Bon, bon… (Il se promène et chantonne.) Ça va, ça va… (Silence.)
FANCHETTE (perplexe.) : Max ?
MAX : Mon petit ?
FANCHETTE : Tu es sûr…
MAX : Sûr de quoi, ma chérie ?
FANCHETTE : Sûr que tout ça n’a pas d’importance ? Tu es sûr que Marthe, enfin… Ce n’est pas sérieux ?
MAX : Grande sotte d’enfant, va !
FANCHETTE : Parce que, enfin… elle est très bien, Marthe, et toi… tu n’es qu’un homme… Tu es sûr de toi, Max ?
MAX (lui posant tendrement sa main sur la tête.) : Mais, oui, sûr ! Sûr… comme de toi-même !
(Elle baisse la tête pour lui dérober son visage.)
RIDEAU