CHAPITRE XXII

DOMILE

J’ignore ce que signifient exactement les « phases », mais je suppose qu’elles ne gagent rien de bon pour notre avenir. Les veilleurs étaient nécessaires au développement et au maintien de la zone couverte, et il est très probable que, sans leur collaboration, nous n’aurions pas réussi à survivre sur un monde aussi difficile qu’Once, mais ils occupent désormais une place trop importante dans l’organisation de Domile. Ils ont outrepassé leur rôle, qui est de servir la communauté et non d’en contrôler l’évolution. Que savons-nous de leur organisation, sinon qu’ils sont comme nous issus du vaisseau et que leur dieu, le symbole qu’ils vénèrent, provient de croyances très anciennes, très probablement antérieures aux premiers voyages spatiaux ?

Je me suis intéressé à ce dieu, je me suis introduit dans leur lieu de culte où sont consignées leurs archives. De manière illégale, me reprocheront certains. A ceux-là je répondrai que l’illégalité est parfois le Seul chemin vers la vérité, vers une vérité qui n’est pas toujours bonne à découvrir ni à entendre.

Que les veilleurs adorent un symbole me paraît incompatible avec leur nature, cette contradiction aurait dû nous alerter depuis longtemps. Mais, lorsque ce symbole revêt la forme d’un dragon, c’est-à-dire l’un des archétypes les plus anciens de nos mythologies, la contradiction se transforme en gouffre. Et c’est dans cet abîme que nous risquons de sombrer si nous ne nous opposons pas de toutes nos forces à leur influence, à leur volonté hégémonique.

Certains d’entre nous affirment qu’il est possible de vivre en dehors de la zone couverte. Attendez un peu avant de crier au fou. Les seules informations que nous avons recueillies de l’extérieur sont celles qu’ont bien voulu nous transmettre les capteurs et les sondes. Or qui entretient les capteurs et les sondes, sinon le corps des veilleurs ? Je fais partie des volontaires qui sont prêts à risquer leur vie pour explorer les territoires ouverts de notre monde d’adoption. Je fais partie de ceux qui aspirent à être réchauffés par la lumière de l’étoile, à respirer un air qui ne soit pas filtré, à sentir sur leur visage un vent qui ne soit pas envoyé par une soufflerie, à contempler l’immensité céleste comme nos ancêtres, comme tous ces peuples dispersés dans la Galaxie qui vivent sans un toit au-dessus de leurs têtes.

Le manifeste de Jilf,
archives du corps des veilleurs,
zone couverte de Domile,
Onœ.

Seke se réveilla en sursaut couvert de sueur. Cloué au lit par la gravité, il peina à redresser le torse. Malgré la faible luminosité de la niche murale, ses yeux douloureux ne parvinrent pas à déchiffrer l’obscurité. Il lui fallut un bon moment pour remettre de l’ordre dans ses pensées, puis les images du spectacle auquel il avait assisté la veille défilèrent dans son esprit comme les vestiges d’un cauchemar.

Les cherfleurs avaient surgi sur l’esplanade du Naufrage dans un grondement d’orage. Les animaux dont avait parlé Reni ressemblaient à des hommes. À des enfants qui auraient connu une croissante accélérée et chaotique. Visages bouffis, crânes et corps glabres, nez courts, yeux globuleux, inexpressifs, têtes directement vissées sur des troncs obèses, bras et jambes massifs, peaux claires, presque transparentes. Ils couraient sur leurs quatre membres, et leur difformité ne les empêchait pas d’avancer à vive allure, serrés les uns contre les autres à la façon d’un troupeau aveugle. Leurs mains et leurs pieds étaient munis de doigts épais et courts dont les ongles griffaient les dalles de pierre des ruelles et de l’esplanade.

Leur apparition avait suscité un profond malaise chez Seke.

« Vous... vous êtes certain que ce sont des animaux ? »

Reni lui avait décoché un regard teinté d’ironie.

« Ce sont des êtres vivants à l’intelligence limitée, ils ne possèdent pas de langage articulé, ils ne sont pas capables d’initiative individuelle. Dans quel autre règne voudriez-vous les classer ?

— Comment se reproduisent-ils ?

— Vous avez sans doute constaté que leurs organes sexuels sont atrophiés ou inexistants. »

Seke, qui n’avait pas remarqué ce détail jusqu’alors, avait affiné son observation et vérifié qu’il était effectivement difficile, voire impossible, de leur attribuer un sexe.

« Ils sont issus d’une matrice artificielle, reprit Reni. La matrice du vaisseau des origines. Elle a jadis permis aux passagers de ne pas mourir de faim, elle nourrit aujourd’hui les vores.

— Elle a toujours fabriqué ce genre de... créatures ? »

Des parfums capiteux s’étaient diffusés dans l’air confiné. Des cherfleurs s’étaient détachés du troupeau, avaient escaladé avec une agilité étonnante la muraille de végétation qui habillait la structure du vaisseau et s’étaient avancés vers les corolles. Les pétales les avaient enveloppés et tractés vers les orifices béants. À cet instant, les cherfleurs prenaient conscience qu’ils s’étaient précipités dans un piège, se débattaient, poussaient des cris déchirants, mais, malgré leurs convulsions, les pétales continuaient de les tirer dans les gueules dilatées qui les engloutissaient peu à peu dans un hideux bruit de succion.

« Disons que la matrice modifie ses paramètres en fonction des besoins », avait répondu Reni.

Seke avait baissé la tête pour ne plus voir les corps difformes et gesticulants disparaître entre les taches rouge vif des pistils.

Le troupeau s’était dispersé dans les autres rues de Domile, et le silence était peu à peu retombé sur les lieux. La lumière écarlate du faux ciel avait baissé d’intensité, signe que le jour artificiel de la zone couverte touchait à sa fin. Lorsque Seke avait relevé les yeux, il ne restait du passage des cherfleurs aucune autre trace que les calices hypertrophiés des vores qui entamaient leur travail de digestion.

Reni s’était dirigé vers l’entrée d’une ruelle proche.

« Venez, ou nous risquons de rater votre ami. »

Ils n’avaient pas trouvé Marmat dans la maison où son guide avait introduit Seke. Sans l’enseigne lumineuse qui brillait au-dessus de sa porte, l’habitation située dans un quartier périphérique de Domile, à environ trois lieues de la place du Naufrage, ne se serait pas distinguée de ses semblables, toutes de forme cubique et aux façades lisses. Elle faisait office d’hôtel et de restaurant à en juger par les enfilades de portes dans les couloirs et les tables disposées en ordre dans une grande salle commune, mais il n’y avait ni client ni personnel et, malgré une décoration riche et soignée, elle semblait abandonnée depuis des lustres. D’invisibles sources disséminées dans les murs et les plafonds distillaient une lumière bleutée qui accentuait cet aspect froid, impersonnel. Les meubles étaient fixés au sol par d’énormes rivets.

« Votre ami est sorti. Vous le verrez plus tard. Pour manger, il vous suffira d’enfoncer l’index dans le tube analyseur : votre repas vous sera livré quelques minutes plus tard. »

Trop fatigué pour réfléchir, Seke s’était laissé conduire à sa chambre, une pièce exiguë équipée d’un lit et d’un placard. Reni avait tendu le bras vers la porte coulissante d’un cabinet de toilette.

« N’escomptez pas trouver de l’eau. Nous disposons d’un système plus performant, moins générateur d’entropie : les microrayons. Vous n’aurez qu’à vous placer au centre du receveur. Le nettoyage prend très peu de temps, une poignée de secondes tout au plus. »

Avant de sortir, Reni avait désigné, au-dessus de la tête du lit, une niche murale d’où s’échappait une lumière tamisée.

« L’analyseur. Il établira votre bilan de santé et déterminera vos besoins énergétiques. Votre repas sera préparé en fonction des résultats. »

Seke n’avait pas commandé de repas ni attendu le retour de Marmat. Nauséeux, moulu, il s’était allongé sur le lit tout habillé et avait plongé presque aussitôt dans un sommeil peuplé de vores et de cherfleurs.

Il entreprit de se débarrasser de ses vêtements collés à sa peau par la transpiration. La lumière de la niche murale effleurait les surfaces proches, l’angle des deux murs sur la gauche, la porte coulissante du cabinet de toilette un peu plus loin sur la droite. Retirer ses chaussures, sa tunique et son pantalon lui donna l’impression désespérante de se débattre à l’intérieur d’une muraille rocheuse. Une fois dévêtu, il se dirigea d’une démarche chancelante vers le cabinet de toilette, tira la porte coulissante et, les jambes flageolantes, se plaça au centre du receveur. Il prit appui sur la cloison du fond pour ne pas s’effondrer. La tête rentrée dans les épaules, il resta pendant quelques instants à l’écoute des battements frénétiques de son cœur. Les rayons nettoyeurs jaillirent de tous les endroits à la fois dans une pluie de grésillements. Invisibles, ils dégageaient une chaleur douce et provoquaient des picotements sur tout le corps, y compris dans les recoins les moins accessibles, les conduits auditifs, les aisselles, le pli de l’aine. La projection, agréable, presque envoûtante, s’interrompit rapidement. Frustré, Seke demeura au centre du bac receveur en espérant que le mécanisme se déclencherait une seconde fois, mais, à l’issue d’une longue et vaine attente, il se résigna à regagner son lit où il se laissa choir comme une masse.

Les grondements répétés de son estomac et la sécheresse de sa gorge lui rappelèrent qu’il mourait de faim et de soif. Il se releva, glissa la main dans la niche murale puis, à tâtons, enfonça l’index dans le conduit lisse et peu profond de l’analyseur. Des piqûres plus agaçantes que douloureuses lui criblèrent le doigt et s’accompagnèrent d’une vague sensation de brûlure.

La lumière de la niche gagna en intensité et révéla, entre le pied du lit et le mur du fond, une silhouette immobile. Seke pivota sur lui-même aussi vivement que le lui permettait la gravité et se figea dans une posture de défense, une main à hauteur de la poitrine, l’autre au niveau du bas-ventre. Autre-mère lui avait appris à protéger ses centres vitaux, nombreux et fragiles selon elle, « le tube où passe l’air, la cage où bat le seigneur du flux vital, l’appendice mâle qui évacue le trop-plein de liquide et donne la vie... »

La lumière s’estompa, l’obscurité submergea la chambre et absorba la silhouette. Les nerfs à vif, Seke s’efforça de percevoir le son de sa forme.

« Calme-toi, mon jeune ami. »

Cette voix...

« Marmat ? »

Il s’ensuivit un long silence pendant lequel Seke se demanda s’il n’avait pas rêvé. Une crispation douloureuse supplantait déjà le bien-être engendré par les microrayons.

« Je n’avais pas l’intention de te faire peur. Juste de m’assurer que tu allais bien. »

Seke poussa un soupir de soulagement et s’appuya contre la tête du lit pour détendre ses muscles noués.

« Où étais-tu passé ? »

Marmat ne répondit pas tout de suite.

« Je suis allé rendre visite à de très vieux amis.

— Pourquoi m’as-tu laissé croupir pendant trois jours dans la salle de renaissance ? lança Seke avec une pointe d’acrimonie.

— Tu avais besoin de temps pour t’habituer à la gravité d’Once. J’en ai profité pour redécouvrir la zone couverte. »

La voix de Marmat parut à Seke plus ferme, plus alerte que de coutume, comme régénérée.

« Tu aurais pu me prévenir que la gravité était si forte...

— Un peu de patience. Elle ne te gênera plus dans quelques jours.

— Tu as rencontré Reni, l’homme qui m’a conduit ici ?

— Lui et les autres.

— Quels autres ? On dirait une ville fantôme ! »

Seke avisa la flaque claire de son pantalon sur le côté du lit, le ramassa et l’enfila, une succession de gestes qui l’essouffla et l’enveloppa de sueur.

« La population de Domile est soumise à des règles très strictes, dit Marmat.

— Avec Reni, les seuls êtres vivants que j’ai croisés, ce sont ces drôles de créatures, les cherfleurs... »

La porte de la chambre s’ouvrit et livra passage à une autre silhouette éclairée par les arêtes fluorescentes du plateau qu’elle portait. Une femme vêtue d’une robe blanche, à qui il était difficile de donner un âge. Une atonie dans le regard, sur les traits, corrigeait la première impression de jeunesse offerte par ses bras fermes, sa chevelure ondulée, son visage et son cou lisses.

« Ton repas est servi. Je te laisse. Je viendrai te chercher demain matin. »

Marmat sortit dans le couloir avec une prestance que son cadet lui envia. La femme posa le plateau sur le lit, se retira sans un mot et referma la porte derrière elle.

Malgré la saveur chlorée de l’eau et celle, fade, de la nourriture, Seke vida entièrement le contenu de la carafe et des deux assiettes. Manger ne lui apporta pas l’énergie nécessaire à vaincre la gravité. Il sombra au contraire dans une léthargie qui le déposa sur les rives d’un sommeil houleux.

« Ils nous attendent.

— Pour quoi faire ?

— Chanter. C’est notre rôle. Tu l’aurais oublié ? »

La chambre baignait dans une lumière encore pâle qui ne tombait pas d’une ouverture, mais directement du plafond.

Marmat se tenait dans l’entrebâillement de la porte, drapé dans une toge immaculée. Seke laçait ses sandales après s’être battu un long moment avec sa tunique. Il s’était réveillé perclus de courbatures et toujours écrasé par la pesanteur. Quelqu’un – la femme ? – s’était introduit dans la pièce pendant son sommeil pour enlever le plateau-repas.

« On va loin ? »

Seke ne s’imaginait pas refaire un parcours aussi long et harassant que la veille.

« Juste à côté. Dans un quartier appelé le Noyau. »

Marmat le devança de quelques pas dans le couloir envahi de pénombre.

La lumière artificielle avait pris cette teinte jaune vif typique du « jour » lorsqu’ils débouchèrent dans la ruelle bordée de chaque côté de ces habitations cubiques fabriquées dans le même moule. Dans les courants d’air tiède s’immisçaient les parfums capiteux émis par les vores ainsi que de vagues relents de rouille. Des craquements et des murmures lointains traversaient le silence comme des météores.

Le quartier « juste à côté » dont avait parlé Marmat se situait quand même à deux bonnes lieues de leur point de départ. Les muscles de Seke, brûlés par l’acide lactique, se tétanisèrent au bout seulement d’une centaine de pas. Hors d’haleine, il s’arrêta une première fois non loin d’un buisson de vores dont les calices dilatés digéraient encore leur repas de la veille. Au loin, l’Ombilique se dressait au-dessus du moutonnement des collines centrales, titanesque, étincelante. Marmat parcourut une bonne trentaine de mètres avant de s’immobiliser à son tour et d’attendre son jeune confrère. Sa silhouette paraissait plus élancée que d’habitude dans le fleuve d’ombre qui s’écoulait entre les deux haies de façades. Un changement s’était produit en lui, que Seke ne parvenait pas à cerner. Le Marmat Tchalé qu’il connaissait, même s’il se montrait souvent distant et irritable, serait revenu sur ses pas pour épauler son ancien disciple.

Atteindre le Noyau leur prit jusqu’au milieu du jour artificiel, marqué par un déclin progressif de la lumière. Le quartier se réduisait à un seul bâtiment en forme de dôme, flanqué de deux colonnes cylindriques qui, mille cinq cents ou deux mille mètres plus haut, se jetaient dans le toit de la zone couverte – deux des sept cent douze piliers de la civilisation onote évoqués par Reni.

« Ces deux-là s’appellent les Gémelles, précisa Marmat. Elles n’ont pas été édifiées en même temps. La première, celle de droite, n’a pas suffi à empêcher un affaissement de la structure, et il a fallu en construire d’urgence une deuxième. »

Les pensées de Seke s’échappaient entre les mailles déchirées de son esprit. Il ne parvenait plus à s’imprégner de la réalité de cette scène, de ce monde. Il allait bientôt se réveiller dans les souterrains de Bordles, dans les appartements luxueux de Faliz, sur une passerelle d’Hernaculum, dans le nid de la communauté d’Autre-mère... Émerger enfin de l’interminable rêve, sentir sur sa peau la chaleur des rayons de Source de vie d’en haut, écouter le fredonnement des sables, rouler, nu et joyeux, sur les pentes des dunes... Réduire au silence ce murmure persistant qui prétendait que les enfants du Tout avaient disparu, que sa mère skadje et sa mère humaine étaient mortes, la première tuée par les sphères musiciennes et la deuxième enterrée vivante par les serviteurs du dragon écarlate... Apaiser la souffrance liée à l’image d’une jeune fille déguisée en garçon et désarticulée par une foule d’hommes en colère...

Les rêves s’habillaient de réalité, la réalité se désagrégeait en rêves.

« Le Noyau, le dôme où la population de la zone couverte se rassemble pour entendre le chant du griot, ajouta Marmat.

— Il n’y a personne ! hurla Seke. Personne !

— Ils nous attendent. »

La visite des griots célestes est un événement important dans la vie d’une planète, une foule surexcitée et des haies de gardes devraient se presser devant les portes, comme à Faliz...

L’absence de réponse de Marmat fit prendre conscience à Seke qu’il avait seulement cru prononcer ces paroles. La frontière s’était abolie entre ses pensées et ses mots. Rester debout et mettre un pied devant l’autre mobilisaient l’essentiel de ses forces.

« Tu ne souffriras plus de la gravité après ton séjour dans le dôme. »

Ployé par la fatigue, au bord de l’évanouissement, il emboîta le pas à son aîné sans écouter la petite voix qui l’adjurait de rester à l’extérieur du dôme. Sa faiblesse l’empêchait d’entendre le chœur des formes. Plus il s’en approchait et plus le bâtiment lui paraissait imposant, aussi gigantesque que le vaisseau des origines. De près, on ne distinguait pas la différence d’usure entre les deux piliers cylindriques, ni l’affaissement du toit évoqué par Marmat. Parfaitement entretenues – comme l’ensemble de la cité d’ailleurs –, les structures plurimillénaires ne portaient aucune tache de rouille ni aucune autre trace de dégradation.

« Le gouvernement d’Onœ mène une lutte permanente contre l’entropie, précisa Marmat comme s’il avait épousé le cours de pensées de son cadet. Le moindre foyer de désordre risquerait de gangrener toute la zone couverte. »

Il y a donc un gouvernement sur Onœ ?

Seke ne vit pas de porte d’entrée sur le mur sombre et concave du dôme. La construction paraissait hermétique, hormis la double rangée de hublots qui la ceinturait à une hauteur inaccessible.

« Il a été bâti sur le modèle du vaisseau des origines, dit encore Marmat. Les hommes espéraient repartir un jour de ce monde. Un désir inconscient, bien sûr. Ils n’ont pas su reproduire la technologie qui leur avait permis de voyager à travers l’espace. »

Le ululement d’une sirène déchira le silence et marqua le coup d’envoi d’un concert de grincements et de grondements. Marmat se figea sur les dalles de pierre et resta à l’écoute du tumulte qui enflait autour d’eux.

« Un lâcher de cherfleurs. Les vores ne sont pas rassasiées. Elles deviennent de plus en plus gourmandes. Elles risquent d’épuiser la matrice. »

La voix de Marmat glissa sur Seke comme un songe.

Qu’avait-il dit, déjà ?

De ses paroles surnageaient les mots « cherfleurs », « vores », « matrice »...

Le rêve était un labyrinthe dont la sortie se dérobait sans cesse.

« Ils nous attendent. »

Un panneau coulissa sur le mur du dôme et dégagea une entrée de la largeur d’un homme.

Ne rentre pas là-dedans ! hurla la voix intérieure de Seke.

Mais, affolé par le vacarme qui montait des ruelles voisines, incapable de raisonner, il suivit son aîné dans le couloir étroit qui s’enfonçait vers le cœur du dôme. Il sut qu’il avait commis une erreur lorsque le panneau se referma derrière lui dans un bourdonnement étouffé.