Jean Hackard de La Hache
Commençons par le commencement
— Votre Majesté, reprend d’Artagnan, à l’adresse du roi, nous allons revivre un moment douloureux, je dois vous prévenir.
— Le faut-il ? demande l’enfant.
— Si vous souhaitez que je poursuive ce récit, et que je respecte son authenticité, oui, il le faut. Nous devons mettre en lumière une histoire tombée dans l’oubli. Nous pensons souvent, quand nous sommes au théâtre, que la pièce commence au lever de rideau. C’est faux. Elle s’achève. Ce qui se joue devant nos yeux de spectateurs, c’est un dénouement. Les personnages du drame viennent de plus loin. Peu à peu, nous comprenons ce qu’ils sont, en apprenant ce qu’ils ont vécu. Pour notre aventure, celle que je vous raconte, que je fais revivre pour vous, c’est la même chose. Mais n’en disons pas davantage sur ce sujet et revenons, si vous le voulez bien, à Paris, dans cette auberge du Soleil d’or. Hercule vient de nous quitter. Il a pris l’argent, nous nous retrouverons dans quelques heures… des heures qu’il va peut-être trouver fort longues, mais pour moi, elles vont passer en un éclair.
« Don Juan de Tolède prend le médaillon et se lève.
— À plus tard, me dit-il.
Il m’inquiète.
Je le laisse partir, mais je le suis, à bonne distance.
Il marche un peu, et finit par rentrer dans une sombre taverne, où personne, pense-t-il, pas même Fortunio qui manque encore à l’appel, ne viendra le chercher.
J’attends quelques instants.
Je l’observe, de l’extérieur, par la fenêtre.
Il commande à boire.
Il vide un premier verre, puis un second. Il n’est pas encore neuf heures.
Je me décide à rentrer. Il ne me voit pas. Je reste près de l’entrée. La seule chose qu’il regarde, c’est ce médaillon, qui pend au bout de sa main. Dans cette pièce ténébreuse, aux bancs mal dégrossis, aux lourdes tables, toutes griffées par la pointe des couteaux, le vieux pendentif se détache du reste. Comme un trait de lumière sur un tableau noir, il attire l’attention.
Je crains que mon compagnon ne soit bientôt plus en état de le défendre si des marauds venaient à passer là, alléchés par ce beau butin qu’un ivrogne leur placerait sous les yeux.
Don Juan de Tolède ne tourne pas la tête quand j’arrive. Il reste immobile, le regard fixé sur le même point.
— Bel objet, n’est-ce pas ? me demande-t-il.
— Qui êtes-vous ? Je veux dire, qui êtes-vous vraiment ?
— La réponse est-elle nécessaire à votre enquête ?
— Je ne suis pas entré dans cette taverne après vous en qualité d’agent, dis-je tout bas, mais par sympathie. Je crois du reste que ce bijou serait plus à l’abri au fond de votre poche.
— N’ayez crainte, chevalier, ma dague est à portée de main. Je tiens trop à ce porte-bonheur pour le perdre… une seconde fois.
— Ce pendentif aurait donc toute une histoire ?
— Je n’en connais qu’une partie. Vous tenez vraiment à l’entendre ?
— Oui.
— Alors, commandons une autre bouteille. Au fond, je suis content que vous soyez là. Boire seul n’est pas dans mes habitudes. Et puis, vous allez pouvoir régler l’aubergiste, j’ai tout donné au jeune prodige.
Je m’assieds en face de l’aventurier.
Il me sert un verre, je ne fais qu’y porter les lèvres.
Le don Juan marche à une autre allure, il vide le sien d’une lampée.
Il repose le médaillon sur la table. Il le caresse de la main un instant, sourit tristement et s’apprête à commencer son récit.
— C’est une longue histoire, je vous préviens.
— Nous avons du temps, et je ne vous quitte pas d’une semelle. Du reste, j’ai un faible pour les histoires.
— Celle-ci est assez sombre, je crois, et se termine assez mal.
— Est-elle vraiment terminée ?
— Vous avez raison, peut-être pas, dit le don Juan en retrouvant son sourire. Commençons par le commencement…