Chapitre III

Un millier de prisonniers se trouvaient dans ce train qui roulait vers le nord de la Concession. On allait les installer dans une région déserte où ils devraient créer leurs propre unité de survie. Au départ ils disposeraient de tout le matériel nécessaire et du ravitaillement pour quinze jours. Le Kid ne voulait pas qu’ils restent dans la zone des combats.

Il visita la poseuse géante dès le lendemain de cette victoire sans précédent. Il avait voulu que le triomphe reste mesuré, que les gens se sentent toujours mobilisés, mais la joie et la fierté apparaissaient sur tous les visages et jamais il n’avait été traité avec autant de respect. C’était tout de même fabuleux de voir tous ces hommes, ces femmes de taille normale former une haie d’honneur à ses cent dix centimètres. Il avançait d’un pas pressé, saluant sobrement de la main. On avait bien fait les choses pour cette première visite du Kid à bord de la gigantesque machine. De son train spécial jusqu’aux ascenseurs d’accès on avait déroulé des tapis, placé des fleurs qui, spécialement traitées, pouvaient résister au froid. Un temps on avait projeté d’installer un tunnel translucide mais on avait pensé que le public aurait été frustré de ne pouvoir approcher son célèbre P.D.G.

Lorsqu’il pénétra dans l’immense salle panoramique de commande, il marqua sa stupeur par une seconde d’hésitation. Il n’avait jamais rien imaginé de tel. Il se trouvait à près de vingt mètres de hauteur et découvrait le nouveau lac artificiel, avec ses incendies non maîtrisés et l’épaisse fumée qui le recouvrait. Là-bas au sud, Lady Diana et ses troupes ruminaient leur défaite.

— Trois techniciens panaméricains ont accepté de collaborer, à condition de pouvoir rester dans la Compagnie par la suite.

Ils portaient encore leur uniforme orange et attendaient près des pupitres.

Cette poseuse avait pu être capturée sans peine puisque l’embrasement de la banquise s’était produit derrière elle, à bonne distance, alors qu’elle s’était aventurée assez loin vers le nord, en compagnie de plusieurs unités légères. Ces dernières s’étaient âprement défendues et il avait fallu en détruire cinq avec des lance-missiles, avant que les équipages des autres ne se rendent. Désormais la petite flotte du Kid s’enrichissait d’une douzaine d’avisos, de patrouilleurs et d’un destroyer léger.

— Elle est prête à fonctionner, lui dit-on. Son moteur nucléaire lui permet une autonomie pour des années.

— Un moteur nucléaire, dit le Kid inquiet.

Bon nombre de bâtiments engloutis dans l’océan possédaient un tel moteur et, dans les décennies à venir, la mer ne deviendrait-elle pas un danger pour les populations de la banquise ? Quelles mutations subiraient les espèces de poissons, les baleines ?

— On peut procéder à un essai.

Le technicien le plus gradé lui expliqua comment les rails sortaient du monstre prêts à l’emploi. Un mélange de résine et de métaux qui permettait une légèreté et une conductibilité sans égale. La résistance aux plus basses températures ne nécessitait plus le moindre entretien.

— Nous pouvons poser vingt voies d’un seul coup à raison de quatorze kilomètres-jour, mais nos réserves en produits bruts, résine et métaux, ne nous permettent pas en ce moment de construire plus de mille kilomètres. Les wagons-citernes nous ravitaillant ont brûlé dans l’incendie et continuent à brûler d’ailleurs.

Le Kid s’expliquait enfin la persistance de certains foyers.

— Mais si on réduit à quatre voies par exemple la construction d’un réseau, vous pourrez aller plus loin ?

— Oui, mais c’est dommage d’utiliser une telle merveille pour un réseau réduit. Nous avions d’autres mini-poseuses pour ce genre de travail.

Le chef des Chasseurs de phoques se pencha vers le Kid.

— Nous pourrions aisément rejoindre la frontière ouest, faire jonction avec la Mikado.

— J’y pense, dit le Kid. Puis nous partirons à la reconquête de Kaménépolis. Sitôt que la banquise sera reformée.

— On pense que dans une semaine la circulation pourrait reprendre.

Le Kid se hissa jusqu’à un pupitre de commande et les techniciens panaméricains l’encadrèrent. Un instant il frémit à la pensée qu’ils pouvaient le prendre en otage, mais ils se comportèrent très normalement. Ils avaient décidé de rompre avec Lady Diana et ne paraissaient pas embarrassés de scrupules.

Au-dehors, la population assista à ce miracle. L’énorme machine, véritable monstre de métal, commença de rouler sur les rails qu’elle fabriquait dans son ventre. C’était hallucinant de la voir progresser sur la banquise, laissant derrière elle vingt doubles rails impeccables, déjà prêts à supporter des charges énormes. Il y eut des acclamations délirantes et l’on se montrait la grosse tête du Kid qui apparaissait à travers les grandes baies vitrées. Il salua la foule des deux mains, impressionné par la puissance dont il détenait symboliquement les commandes. En fait c’étaient les techniciens qui faisaient avancer le mastodonte.

Le Kid estima l’expérience concluante, quand la machine eut déployé son réseau de vingt lignes sur la banquise et sur une distance de trois cents mètres. Il remercia les techniciens, leur promit que la Compagnie se souviendrait de leur bonne volonté.

— Dès que nous aurons reconquis la Concession vous serez chargés de la construction et de la reconstruction des réseaux. Nous mettrons vos connaissances à contribution pour bâtir des poseuses moins importantes.

Lorsqu’il regagna son train spécial, ce fut du délire et les spectateurs se précipitèrent pour le porter jusqu’à son convoi. Il se trouva ridicule avec ses jambes courtes d’être ainsi soulevé de terre, mais il ne pouvait aller contre cet enthousiasme spontané. Il fut cependant heureux de se retrouver chez lui avec Glinda qui lui apporta du thé bien chaud pour lui faire oublier ses émotions.

Le même soir il recevait son état-major et discutait de l’avenir.

— Nous ne pouvons attendre que le lac soit à nouveau gelé, déclara-t-il. Nous allons donc utiliser la poseuse pour rejoindre la frontière.

— Vous croyez que le Mikado sera plus favorable à nos demandes après l’échec de la Panaméricaine ?

— Souhaitons-le. De toute façon l’impact sera tel dans la population de sa Compagnie qu’il devra bien réagir en notre faveur. Nous allons nous hâter de construire ce nouveau réseau, puis nous en bâtirons un autre frontalier vers le sud. Nous pourrons ainsi atteindre Kaménépolis par l’ouest, couper le réseau qui la relie avec la Mikado. Les Panaméricains devront se retirer vers l’Antarctique s’ils ne veulent pas se faire encercler. Ils ne possèdent plus que des mini-poseuses et sont traumatisés par le désastre. Lady Diana aura des comptes à rendre et devra retourner dans sa Compagnie pour justifier ses actions. Il est possible qu’elle ne dispose plus du pouvoir absolu.

— Mais c’est la plus puissante actionnaire.

— Elle n’est pas à l’abri d’un coup de force. Pour gouverner, elle a dû déposer la moitié de ses actions dans une banque de la Compagnie. N’importe qui peut s’en emparer en cas de besoin et la destituer.

Il craignait surtout la démobilisation de la population et demandait qu’on n’organise pas de grandes fêtes, qu’on se contente de célébrations discrètes. Mais avec les Chasseurs de phoques, principaux artisans de la victoire, ce n’était pas facile de modérer leur joie. Le Kid faisait surveiller le lac qui continuait de brûler et empêchait la reconstitution d’une couche épaisse de glace.

Dans les jours suivants, la machine géante commença de débiter des rails, huit à la fois, en direction de l’ouest à la vitesse de vingt kilomètres-jour. Il avait fallu délaisser le réseau déjà en construction pour qu’elle puisse évoluer à son aise. Ses équipements lui permettaient d’araser les entassements de congères, de niveler la banquise de façon spectaculaire. En moins de quinze jours on serait à proximité de la frontière.

 

Les Brûleurs de banquise
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