Le Schmilblick d'intérieur peut-il servir à la campagne ? La houille dormante est-elle l'avenir de la France ? Pourquoi le peuple s'effrite-t-il lorsque le salsifis frit décroît ? Comment réussir à coup sûr la confiture de nouilles ? Questions essentielles auxquelles le « maître soixante-trois » de l'humour loufoque répond sans détours. Littérature, philosophie, discours officiels, courrier du cœur, petites annonces, recettes de cuisine… Ici, tout est prétexte à dérision, détournement de sens, dérapage verbal incontrôlé… Mais le rire cède la place à l'émotion dans ces textes de Radio-Londres, lorsque Pierre Dac, « Français parlant aux Français », rappelle à tous que la liberté n'a pas de prix… L'indispensable anthologie des meilleurs textes de Pierre Dac. Et réciproquement !

Pierre Dac

Dico franco-loufoque

Réalisé par Jacques Pessis

AVANT-PROPOS

Le jour de ses quatre-vingts printemps, le 15 août 1973, Pierre Dac s’est exclamé : « J’ai vingt ans, et quatre fois plutôt qu’une ! » Le signe d’une éternelle fraîcheur d’esprit qui, tout au long de sa vie, lui a permis de demeurer proche des jeunes. En 1938, dans les lycées, on s’arrachait chaque vendredi son journal L’Os à moelle ; à la fin des années cinquante, on arrivait en retard à l’école parce que l’épisode de Signé Furax, diffusé à 13 h 10 sur Europe 1, avait duré un peu plus longtemps que prévu ; au début des années soixante-dix, le « Schmilblick » et le « Biglotron » ont été étudiés à Polytechnique et au lycée Claude-Bernard, le temps de conférences mémorables pour les élèves et les professeurs.

Aujourd’hui encore, de nouvelles générations se déclarent farouches partisans du « Parti d’en rire ». Les représentations du spectacle « Mon Maître Soixante-Trois », mis en scène par Jérôme Savary, et les conférences sur Pierre Dac que je donne régulièrement dans des établissements secondaires et techniques m’ont confirmé que les 13/18 ans demeurent résolument « contre tout ce qui est pour, et pour tout ce qui est contre ». Un état d’esprit encouragé par des enseignants de plus en plus nombreux à faire étudier Pierre Dac à l’école, histoire de montrer à leurs élèves que l’on peut faire rire en s’exprimant sans vulgarité et dans un bon français.

Les résultats, m’affirment-ils, dépassent leurs espérances. Ces jeunes apprennent notre langue en s’amusant et certains d’entre eux découvrent qu’en dépit des problèmes de notre société, l’espoir en des jours meilleurs est encore de rigueur.

Sur son art d’écrire, Pierre Dac s’est toujours montré intransigeant. Affirmant que « rien de ce qui est fini n’est jamais complètement achevé tant que tout ce qui est commencé n’est pas totalement terminé », il a souvent passé des jours et des nuits, voire des années, à ciseler des mots afin de donner, à ses formules d’une éternelle actualité, un impact loufoque maximal. Ainsi s’est-il réveillé un matin en s’exclamant : « Voilà quarante ans, j’ai écrit : “Celui qui est parti de rien pour arriver à pas grand-chose n’a de merci à dire à personne.” Il serait plus exact de dire : “Celui qui est parti de zéro pour n’arriver à rien n’a de merci à dire à personne.” »

« Le plus beau compliment que l’on puisse me faire en parlant de mes textes, affirmait-il souvent, c’est de dire “c’est complètement con, mais c’est vrai”. » Il ajoutait parfois, avec un soupir : « Après moi, ce que j’écris n’intéressera personne ! » Il se trompait et, s’il n’est jamais passé hériter à la poste, il est incontestablement passé à la postérité. Dès 1922, il a commencé à développer, sur les scènes de Montmartre et d’ailleurs, une logique de l’absurde dont se sont largement inspirés, beaucoup plus tard, Raymond Devos, Coluche, Pierre Desproges, les Guignols de l’Info et quelques autres.

La substantifîque moelle de son œuvre, vous allez la découvrir, ou la retrouver, dans ce Dictionnaire franco-loufoque, composé de textes classés en vrac, souvent loufoques, parfois graves, écrits entre 1922 et 1975, placés dans leur contexte historique. L’occasion, en même temps, de démontrer qu’au cours de sa traversée du vingtième siècle, Pierre Dac a été un chansonnier, mais aussi un journaliste, un poète, un patriote et un philosophe. Et réciproquement.

Jacques PESSIS

BON SENS NE PEUT MENTIR

Tout au long de sa carrière, Pierre Dac a affectionné les duos. Francis Blanche a été son plus célèbre partenaire, en particulier dans Signé Furax (1 034 épisodes enregistrés entre 1956 et 1960), ainsi que dans « Le Sar Rabindranath Duval » (voir Y comme Yogi). Mais le Roi des Loufoques a également travaillé avec Fernand Rauzéna, René Lefèvre, Paul Préboist et Léo Campion. Avec ce dernier, un caricaturiste de presse devenu chansonnier, il a joué, dans les années cinquante, un dialogue absurde entre deux hommes tranquillement installés sur un banc…

— Je m’excuse, monsieur, mais j’ai nettement l’impression de vous avoir déjà rencontré quelque part.

— C’est bien possible. J’y vais souvent. À mon tour, je m’excuse, monsieur, mais il me semble également que votre visage ne m’est point inconnu. Voyons… N’étiez-vous pas, la semaine dernière, ici même, un gros rouquin avec des après-skis ?

— C’était quel jour ?

— Mardi dernier.

— Le matin ou le soir ?

— Le soir.

— Alors, non, monsieur, parce que ce soir-là, j’étais plutôt un grand brun avec des chaussettes vertes.

— Alors… Dans ce cas, monsieur, toutes mes excuses.

— Je vous en prie.

— Ce sera pour une autre fois.

* * *

— Dites-moi, monsieur, vous habitez le quartier ?

— Oui, j’ai un gentil appartement qui se compose d’une entrée, d’un plat de viande, d’un légume… Enfin, de quatre pièces, dont une de 75.

— Vous devez avoir du recul… Vous entrez par la culasse ?

— Eh oui, ça ne mange pas de poudre.

— Ben voyons ! Et vous payez cher de loyer ?

— Ça a été toute une histoire : pensez donc, le propriétaire en demandait 4 500 F par mois. Après des semaines de marchandage, de discussions sordides, j’ai eu toutes les peines du monde à l’avoir pour 7 000. […]

— Vous habitez le quartier peut-être ?

— Oui, j’ai un gentil petit coin juste à l’angle de la rue de Belleville et du boulevard Malesherbes.

— C’est central et périphérique, ce qui ne gâte rien. Et vous payez combien ?

— 1 350 F.

— Eh bien, dites donc, c’est pas donné !

— Ah, mais pardon ! Écuries comprises !

— Ah ! Vous avez des chevaux ?

— Oui, je fais un peu d’élevage.

— C’est à quel étage ?

— Au septième.

— Vous devez être bien là ?

— Oui, il y a de l’air. Le seul ennui, c’est la difficulté d’habituer les chevaux à dire leur nom au concierge après 10 heures du soir !

— Je comprends… D’autant que ça doit faire du bruit !

— Pas tellement… Ils enlèvent leurs sabots… Ce sont des chevaux bien élevés.

— Forcément… Au septième. Enfin, comme disait Buffon : Hennit soit qui mal y pense !

— Et vous, monsieur, vous n’avez pas d’animaux ?

— Si, un chien.

— De quelle race ?

— Un saint-bernard, une bête splendide… Haute comme ça !

— Et il est intelligent, ce saint-bernard ?

— S’il est intelligent ? Pensez donc, monsieur, c’est un ancien basset ! Et qui est arrivé à être saint-bernard à force de travail, d’énergie, d’ambition, de volonté !

— C’est magnifique ! Quel exemple ! C’est un chien comme ça qu’il nous faudrait à la tête de la Sécurité sociale !

— Si ce n’est trop vous demander, monsieur ? Que faites-vous dans la vie ?

— Je suis dans les assurances.

— Assurance vie, accidents ?…

— Non, assurances sur la considération distinguée.

— Et à quelle compagnie êtes-vous ?

— Deuxième compagnie de la garde républicaine. Et vous, monsieur, que faites-vous dans l’existence ?

— Administrateur colonial en retraite.

— En retraite proportionnelle ?

— Non, en retraite aux flambeaux.

— Brillante situation ! Et dans quelle colonie étiez-vous ?

— Colonie de vacances.

— Vous avez des enfants, monsieur ?

— Oui, un, ou plutôt une…

— Une fille ?

— Oui… une fille cadette.

— Vous… n’avez pas de fille aînée ?… Vous avez bien raison… Pour ce que ça sert. Ça fait des frais et ça encrasse la baignoire.

— Ben voyons ! Et vous, des enfants aussi, monsieur ?

— Oui, trois fils.

— Ah ! Et que font-ils ?

— Ben… Le plus jeune fait une angine en ce moment.

— Et votre second fils ?

— Il poursuit ses études.

— Ah, ah !

— Oui, mais comme elles courent plus vite que lui, il a du mal à les rattraper.

— Et votre troisième fils ?

— Ah, celui-là, c’est quelqu’un : il est magistrat.

— Magistrature debout ? Magistrature assise ?

— Non… Magistrature accroupie… Il est magistrat cycliste. Il est juge, monsieur… À l’arrivée au vélodrome du Parc des Princes… Et Mademoiselle votre fille, à quoi la destinez-vous ?

— Elle étudie les langues… La sienne, d’abord, et les langues étrangères… Le yaourt.

— C’est une langue blanche.

— Oui, le strabisme, le moldo-samovar et l’argyrophedrol.

— Difficile… C’est une langue nasale, qui s’apprend goutte à goutte…

— Dites-moi, monsieur, vous avez une voiture ?

— Oui.

— De quelle marque ?

— Ce n’est pas une marque, c’est un prototype. À dire vrai, c’est un ancien cinq tonnes, qu’un bricoleur spécialisé de mes amis a transformé en cabriolet monoplace.

— Je vois… Et ça consomme beaucoup ?

— Non… Du sept litres au cent… Du sept litres d’huile naturellement… car pour ce qui est de l’essence, mieux vaut parler d’autre chose.

— Bien sûr… Monsieur, laissez-moi vous dire tout le plaisir que j’ai pris à votre conversation si pleine d’intérêt et d’enseignements.

— Permettez-moi de vous retourner le compliment, monsieur, et de souhaiter que nous ayons la très prochaine occasion de reprendre cet entretien.

— Ça ne dépend que de nous.

— Alors, voulez-vous que nous profitions de cette fortuite rencontre pour prendre un prochain rendez-vous ?

— À votre disposition, monsieur.

— Quand vous voudrez.

— Très bien. Et où ?

— Où il vous plaira.

— Parfait. Et à quelle heure ?

— Votre heure sera la mienne.

— J’y serai, monsieur. Au revoir.

— Et à bientôt.

CARNETS MONDAINS

Parmi les passages obligés de l’existence, il y a les faire-part de naissance, de mariage et de décès et quelques communications diverses, publiés dans les journaux sous le titre de « Carnet mondain ». À la lecture de ceux qui sont régulièrement parus dans L’Os à moelle, on finit par se dire que, parfois, la fiction n’est pas très éloignée de la réalité.

MARIAGES

Le colonel en retraite Jonathan Lesrenforarrive de Tananarive et Mme, née Frédégonde de La Butte Amblan, ont le plaisir de faire part du mariage de M. Ferdinand Lesrenforarrive de Tananarive, 84 ans, grand-père du colonel et veuf de Marie-Sylvaine de Biglantour, avec Mme Veuve Chilpéric de La Grande-Tasse, née Geneviève de Mouilleterrine, 79 ans. La cérémonie se déroulera en l’église d’Issoubly-sous-l’Huy et sera suivie d’un bouillon de légumes et d’une camomille d’honneur.

On nous prie d’annoncer le mariage d’un jeune homme et d’une jeune fille qui désirent conserver conjointement le plus strict anonymat. La bénédiction nuptiale sera donnée un de ces jours, si le temps le permet.

NÉCROLOGIE

M. et Mme Maurice Yapersson et leurs enfants ont le regret d’annoncer le décès, survenu mardi ou mercredi dernier, de leur voisin de palier dont ils ignorent totalement l’identité.

M. Alexandre Alatraine et Mme, née Géraldine Mouchabeux, les familles Jlarmaidan, Tupeutla, Mangdela, Letrouduc, Caspalbol, Bougre-Decongre, Lecongre-Debout, Debout Lécongre, Dufond de La Sallecomble, Souley-Décombre, Lebord du Tronduculte, le général Abélard de La Pardeki, et le directeur de la police municipale ont la douleur d’annoncer que les obsèques de Monsieur Philippe Auguste Alatraine, ex-maître des requêtes à domicile au conseil d’état d’ébriété, leur père affectif, grand-père effectif, beau-père locatif, oncle portatif, neveu putatif et cousin par alliance atlantique qui devaient avoir lieu mardi dernier en quinze, sont renvoyées sine die en raison de l’état de santé du défunt qui s’est considérablement amélioré.

M. Evariste Madinengland et Mme, née Marie Kouchetouala ont le vif plaisir d’annoncer le décès tardif, à l’âge de 88 ans, de leur grand-père Alcibiade Sanselme, ivrogne invétéré et obsédé sexuel qui leur a empoisonné l’existence pendant plus de vingt années consécutives. La cérémonie funèbre a été célébrée dans la plus stricte intimité et dans le minimum de temps, mardi dernier à 6 h 30, et aux plus justes frais. Condoléances inutiles.

NAISSANCES

Mme et M. Marie-Joseph, de Bethléem, ont la profonde joie d’annoncer au monde que c’est dans la nuit du 24 au 25 décembre qu’est né le divin enfant. Nos compliments aux parents et nos meilleurs vœux de bonheur sur Terre pour les hommes de bonne volonté.

Le baron Henri-Gaspard Leprurit du Bodard, président-directeur général de brigade à l’Office national des postes de distribution d’essence à gogo, a le vif plaisir d’annoncer que la baronne, sa femme, née Marie-Chantal Avanterme, a donné le jour à un superbe bidon de cinq litres, normalement constitué.

Le père, la mère et le bidon se portent bien.

DISTINCTIONS HONORIFIQUES

Lundi dernier, en la grande salle de la maternité de Villeneuve-la-Vieille, Monsieur le ministre de la Santé publique a remis le Grand Cordon ombilical à l’éminent gynécologue Henri Tunoulès, au nom de l’Éducation sexuelle nationale. La cérémonie s’est achevée par une très émouvante prise de température.

CONFÉRENCES

Lundi prochain, 4 courant, à 21 heures (G.M.T.) en la salle des Sociétés savantes, M. Emmanuel Tiercemolle, conseiller du Commerce extérieur et membre honoraire de l’ordre des chevaliers de la fièvre de Malte, présidera une conférence-débat consacrée à l’opportunité du port du gilet de corps blindé et du fusil à canon scié en période de tractations immobilières et de l’opportunité de l’utilisation des ponts-levis destinés à l’abaissement des tarifs douaniers. Participation aux frais : 15 sous. Une vente de bonbons acidulés au poivre de Cayenne, de cacahuètes dédicacées et de côtelettes panées aux armes de la ville de Paris aura lieu à l’entracte. Location aux agences de tourisme et aux guichets de P.M.U.

N. B. — En cas d’affluence, parking pour piétons assuré.

PRISE DE VOILE

Mlle Geneviève-Chantal de La Morte-Saison, fille cadette du comte Roland de La Morte-Saison et de la comtesse, née Sylviane du Plan de Quatron, est, le 10 octobre, à 15 h 30, entrée au couvent du Carmel par une porte et en est sortie par l’autre vingt minutes plus tard.

DU CÔTÉ D’AILLEURS

Des exégètes affirment qu’il s’agit là du meilleur roman de Pierre Dac. Publié pour la première fois en 1953, il raconte l’étrange aventure de Guy Landneuf et Sylvain Etiré, reporters à « Mardi Huit Heures », envoyés spéciaux à Autre-lieu, capitale de « Du côté d’ailleurs ». L’occasion pour eux, mais aussi pour le lecteur, de s’apercevoir qu’avec quelques mots et beaucoup d’imagination, le monde le plus insolite peut devenir réalité.

Un livre précédé d’un texte pouvant, en toute circonstance, servir de prélude à une introduction ou de préambule à une entrée en matière…

Le soir tombait…

Il tombait bien, d’ailleurs, et juste à pic pour remplacer le jour, dont le rapide déclin laissait à penser qu’il ne passerait pas la nuit.

À l’horizon, dans une apothéose de gloire comparable à celle de la Sécurité sociale, le soleil se couchait. C’était un vigoureux coucher de soleil, et les plus vieux du pays disaient que, de mémoire de plus vieux du pays, ils ne se rappelaient pas en avoir jamais contemplé d’aussi réussi, depuis le début de leur carrière de plus vieux du pays.

Il faisait bon ; l’air était saturé de senteurs parfumées où dominaient les odeurs poivre et sel des barbouziers nains et des gougnafiers moléculaires. Au zénith, Vespa, l’astre bénéfique des usagers du vélomoteur, allumait ses feux de position.

Le paysage, d’une émouvante grandeur, était également grandeur nature, et l’on entendait, sous l’ormeau, battre la crème fraîche à coups de marteau.

Au détour d’un chemin, un moustique aux yeux bleus, bègue au surplus, et fainéant, de surcroît, venait se vautrer sur le faîte d’un brin d’herbe pour y attendre la suite des événements.

Dans la cité, toute proche, chacun organisait sa vie nocturne au mieux des intérêts supérieurs de la nation.

À la lueur d’un réverbère, deux ivrognes échangeaient des vœux à l’occasion de la nouvelle lune, tandis qu’un fils de famille, dévoyé, préférait s’engager dans une rue adjacente plutôt qu’à la Légion étrangère.

Assise sous la lampe, une jeune femme, qui attendait un enfant, s’apprêtait à aller le chercher à l’autocar de 22 heures.

Dans sa mansarde, un étudiant, qui préparait sa licence de lettres, compulsait fébrilement les textes des grands philosophes depuis l’époque de Confucius jusqu’à mercredi en huit.

Sur sa table de salle à manger, un monteur en chauffage central, qui avait apporté du travail à finir à la maison, terminait le rivetage d’une chaudière à mazout.

Dans un fauteuil Empire, et en reps imprimé, un vieux bibliophile lisait l’Introduction à la vie des vôtres, de Teilhard de Chardin. C’était un beau vieillard : la moustache coupée au ras du sol, la barbe taillée à la blanquette à l’ancienne, il entrait dans sa soixante-dix-septième année, mais, admirablement conservé, il en paraissait à peine quatre-vingt-deux.

Enfin, dans une brasserie, un colonel en retraite soupirait mélancoliquement : « Avoir commandé un régiment, bougonnait-il, et se voir réduit à commander une choucroute, quelle dérision ! »

Et le temps passait. Et les braves gens, en s’endormant, les uns sur le dos, les autres sur le rôti, songeaient que, tout compte fait, tout n’était pas si mal dans ce meilleur des mondes possibles, en regrettant, toutefois, que, dans l’ensemble, ses possibilités soient tellement limitées.

En résumé, tout était en ordre, et chaque composante de ce climat nocturne ayant fait consciencieusement son devoir, plus rien ne s’oppose à ce que commence réellement le récit qui attend sagement et patiemment que le feu vert lui soit donné pour passer à l’action.

Pas d’opposition ? Pas d’objection ? Alors, place à ce qui suit.

ECOLE ÉTHYLIQUE

Ceux qui connaissent l’œuvre de Pierre Dac n’ignorent pas l’existence de Mordicus d’Athènes, son maître à penser. Mais qui était ce grand inconnu désormais célèbre ? La réponse ne pouvait venir que de Pierre Dac…

Illustre philosophe ivrogne grec, fondateur de l’École éthylique, Mordicus d’Athènes a vécu de 186 à 83 au fond de la deuxième cour à droite avant J.-C., c’est-à-dire, pour être plus précis, de 135 à 79 après la cueillette des olives en Thessalonique.

Puisqu’il n’est de véritablement propice que ce qui l’est authentiquement par rapport à ce qu’il concerne vraiment et réciproquement, l’heure présente actuelle de conjoncture favorable est propice à la philosophie. Ne comparons donc surtout pas la pensée de Mordicus d’Athènes à n’importe quelle philosophie du prêt-à-penser.

En effet, sans ce génial rhapsode de l’ivresse et de la biture extatique, la philosophie n’aurait jamais évolué et ne serait restée qu’à l’état de fruit sec balbutiant pseudo-philosophique et neurophlogistique. Sans lui, et privée de son universelle connaissance éthylique, l’humanité serait demeurée dans l’ignorance absolue d’une évidence mathématique : c’est lui qui a démontré que si 2 et 2 font 4, 4 et 4 font 8, 8 et 8 font 16, en revanche, en dépit de tous leurs efforts 16 et 16 ne parviennent jamais à faire 39,95. Un résultat auquel il est parvenu à l’issue d’une minutieuse étude de la table bien garnie de chiffres de Pythagore.

Précurseur de la ligue contre la tempérance, Mordicus d’Athènes est aussi le symbole de l’indulgence, de la compréhension et de la tolérance. Notons, à ce sujet, que sa maison en était une. Située sur la colline du Lycabette qui fait face à l’Acropole et pile à l’Acropierre (Dac…), elle était ouverte chaque soir aux fidèles et fervents disciples du Maître. Il y avait là, assis les uns sur les genoux, les autres sur leurs fesses personnelles, Synoch de Smyrne, Ringard de Syracuse, Taxiphos de Lépante, Arnakhus d’Okhazion, Syphilas de Syphilie, Artimon de Mysène, Léguminos de Macédoine, Pédalos des Cyclades, Endouillos de Viros, Salicylate de Salicylie, et Déconokos de Pleintubos. Bourrés à zéro, ils écoutaient la voix sublimement avinée de Mordicus et recueillaient pieusement ses paroles et ses allusions allégoriques. Pour leur éthyfication, il se répandait en propos hautement philosophiques et parfois même par terre quand il affichait un sacré coup dans la chlamyde et les cothurnes pour avoir quelque peu abusé des arguments liquides.

Citer toutes ses pensées les plus profondes et les plus humaines, ce serait trop, n’en citer aucune, ce ne serait pas assez. Je me contenterai donc d’en rapporter quelques-unes, parmi les plus marquantes et les plus édifiantes. Parmi elles, celle qui résume toutes les bases du civisme : « Dans un pays digne de ce nom, les lois sont faites pour être appliquées au même titre que les paires de gifles et les paires de coups de genou dans les paires partisanes des régions sacrées du mauvais citoyen. »

La logique philosophique à la pression apparaît également dans « quand on est dans le tort de ne pas avoir raison, on n’a pas toujours raison de ne pas être dans son tort » ou dans « ceux qui ne savent rien en savent toujours autant que ceux qui n’en savent pas plus qu’eux ».

Face à la réalité des choses, Mordicus a un soir déclaré : « La véritable et sincère amitié verbale est celle sur laquelle on peut absolument compter quand on n’a strictement besoin de rien. » Parfois, éthyliquement allongé dans quelque ruisseau corinthien, à l’ombre de tout témoin, il murmurait ainsi : « On dira ce qu’on voudra mais l’expédition des Argonautes n’a qu’un très lointain rapport avec l’expédition des affaires courantes » et ajoutait : « Qu’on l’admette ou non et que ça plaise ou pas, les Colonnes d’Hercule, pour viriles qu’elles soient, sont aussi bien descendantes que montantes, et réciproquement. »

De Socrate, pour qui il avait un faible, il a déclaré un jour, en guise d’épitaphe : « Si sa mort fut sereinement édifiante et exemplaire, c’est qu’il y était depuis longtemps préparé par sa femme Xantippe, dont le caractère toxique, venimeux, amer et acariâtre bien connu l’empoisonna tout au long de sa coexistence belliqueuse conjugale. » Farouche partisan des libertés, il a un jour pris, sur ce sujet, une position ferme et définitive, en affirmant : « Le libre citoyen est celui qui respecte la liberté de ceux qui ont l’obligeance de respecter la sienne. »

À l’aube de sa vie, partant du principe que le sage ne doit jamais remettre à deux mains ce qu’il peut faire avec une seule, il se demandait, en vain : « À quoi peuvent bien songer ceux qui ne pensent à rien ? »

Une question qu’il continue sans doute à se poser sous la dalle, en pente, de sa tombe. Un monument qui n’est pas entouré de fleurs mais de vigne qui, heureusement pour elle, a depuis longtemps cessé d’être vierge. Ceux qui viennent s’y recueillir découvrent, en guise d’épitaphe, une simple inscription :

« Ici repose, pour le meilleur et pour le pire de l’éternité, Mordicus d’Athènes qui, au cours de son édifiante existence, a donné à ses concitoyens le plus noble exemple de la vérité par l’éthylisme sacré, et qui éleva l’ivrognerie au rang des plus pures vertus civiques. Buvez pour lui ! »

FEMMES

Pierre Dac était timide avec les femmes. Lorsque adolescent, il rencontrait une jeune fille qui lui plaisait, il se disait : « Je vais compter jusqu’à 500, et après, je lui dirai que je l’aime. » Arrivé à 499, il s’exclamait : « Je me suis trompé, je recommence ! » En 1932, il rencontre Dinah, une jeune comédienne qui va devenir sa moitié, mais aussi son double. La preuve, en 1953, il lui a ainsi dédicacé Du côté d’ailleurs : « À toi, ma Dinah bien-aimée, sans qui je serais sans doute resté du côté de n’importe où… »

Un amour qui ne l’a pas empêché de penser à toutes les autres femmes et à leurs problèmes dans leur vie quotidienne et personnelle, et réciproquement.

COURRIER DU CŒUR

Encore jeune et désirable, j’ai eu vingt-neuf ans à la dernière Saint-Prunocuiprunocru, je suis mariée à un homme qui me trompe avec la femme de mon amant. Mais comme celle-ci trompe son mari en couchant avec le mien, j’en suis réduite à tromper mon amant avec celui de sa femme puisque son amant est mon mari.

Or, la femme de mon époux étant la maîtresse d’un homme déshonoré par l’amant d’une femme dont le mari trompe sa maîtresse avec la femme de son amant qui la trompe avec une amie de son épouse, je ne sais plus où j’en suis, en raison de cette situation particulièrement compliquée. Je vous en supplie, conseillez-moi. Que dois-je faire ?

VISCÈRES EN VOLTIGE

Réponse : Rien. Démerdez-vous !

Depuis près de quinze jours je vois sur un échafaudage, à quelques mètres de ma fenêtre, au sixième étage, un groupe d’ouvriers. L’un d’eux me plaît follement. À sa façon de tenir un mégot entre ses lèvres, je sais bien qu’il est sénégalais. Ah ! l’Afrique, le couscous… Pour qu’il me remarque j’agite chaque matin un drap de lit comme un mouchoir et je me mets devant la fenêtre dans la tenue de Vénus sortant de l’onde. Il ne me fait même pas l’aumône d’un regard et continue à taper sur la façade avec un marteau. Ce ne sont plus des jeux pour son âge ! S’il le voulait, je lui en apprendrais d’autres… Que faire pour attirer son attention ?

SYLPHIDE ÉNAMOURÉE

Réponse : Sautez par la fenêtre en poussant un grand cri.

* * *

LES ÉPANCHEMENTS DE COUSINE SYNOVIE

Chère cousine Synovie,

Si je me suis enfin décidée à vous écrire, c’est parce que mon père est un grand blond. Vous seule, j’en suis sûre, pouvez, par vos conseils, me donner l’énigme de la clé de la solution qui me torture, à tel point que, la nuit, je me ronge les ongles et ça n’est pas beau pour une jeune fille, surtout quand on a de jolis pieds.

Je vous écris de la soupente. Au loin, je vois le village qui se reflète dans l’eau, mais ça n’est qu’un mirage, car l’eau est trop petite pour contenir un aussi grand village dont le maire est encore très hautain pour son âge. Au-dessus de ma tête blonde se balancent des andouilles. Si je tourne tant soit peu mes magnifiques yeux de turquoise, je vois ma mère qui fait la cuisine dans le hamac, suspendue à un arbre. Ma mère, quelle femme divine ! Elle a installé le fourneau de la cuisine dans le hamac, elle trouve cela plus commode pour dormir pendant que des oiseaux sifflent des airs et le potage.

Pendant ce temps, mon père se tait. Mon père ne parle jamais, il préfère sucer des bonbons. Mais comme il est quand même indispensable d’avoir son avis dans certains cas, il fait enregistrer d’avance toutes ses réponses sur des disques.

Donc, vous voyez que je suis une jeune fille modèle, ou tout au moins j’avais tout ce qu’il faut pour cela lorsque l’événement capital de ma vie arriva. Et voici comment : j’étais toute seule, un jour, dans ma cuisine, à faire frire des œufs, lorsque la poêle se mit à jouer un air de clarinette. Je n’en croyais pas mes yeux et, dans mon effarement, je laissai s’échapper mes moutons. En me retournant, j’aperçus un capitaine qui me saluait. Pour cacher mon trouble, je lui dis simplement : « Quelle heure est-il ? » et il me répondit : « Je suis ventriloque. »

Que dois-je faire ? Faut-il en parler à mes parents ou attendre que le beau capitaine soit général ? Et ce qui est angoissant, c’est qu’il n’est que lieutenant.

RÉPONSE :

Je devine vos angoisses. Mais il faut être moins nerveuse et, sans attendre, prendre une douche, mais pas à l’eau : c’est trop calcaire et ça rend méchant. Je vous conseille tout simplement une douche au gruyère râpé, en ayant soin de ne pas râper les trous de gruyère, car c’est tout ce qu’il y a de plus fortifiant. Et puis, si ça ne réussit pas, dites donc à M. votre père de se teindre les moustaches. Vous verrez bien.

Chère cousine Synovie,

Évidemment, j’ai eu tort de vous écrire trop brièvement et, par conséquent, vous avez été impuissante à me donner un conseil efficace. C’est pourquoi (et vous m’en excuserez) je me résous à m’étendre plus longuement.

Je dois vous confier, d’abord, que je suis née dans des circonstances étranges. Mon père était blond et mystérieux, ma mère était coléreuse et tyrolienne, et l’un de mes grands-pères ne portait que des vêtements bigarrés ; il n’avait comme fortune que trois grandes sœurs qui furent élevées au vrai fontainebleau jusqu’à l’âge de trente-trois ans.

C’est dans cette famille que je vécus, il y aura dix-sept ans bientôt, et mes premières années furent calmes. Mes parents, malgré le bruit de la rue, s’entendaient bien, mais n’habitaient pas le même appartement. Néanmoins, ils demeuraient dans la même rue et, de leurs fenêtres, pouvaient correspondre par gestes en imitant le chant du cheval. Quand mon père voulait m’embrasser, ma mère me prenait et me lançait, par-dessus la rue, à mon père qui me rattrapait avec dextérité ; et pendant un quart d’heure il me donnait les premiers rudiments du jardinage en me plantant ses doigts dans les yeux.

J’étais jolie comme un cœur, et ce furent des années merveilleuses. Ma mère m’envoyait faire le marché dans la rue d’Angoulême et, une fois par semaine, nous allions passer la soirée dans un petit village du Canada, chez le vice-roi des Indes, qui, à l’époque, n’était pas encore brouillé avec mon père.

C’est vous dire, chère cousine Synovie ; que cette jeunesse calme et mouvementée devait avoir une influence sur la jeune fille que je devins par la suite, malgré les progrès stupéfiants de l’industrie vélocipédique.

Un jour, mon air sérieux me fit traiter d’ascète par l’épicier. Je rougis comme une crête et me mis à chercher dans le dictionnaire le sens d’ascète que je ne connaissais pas. Je lus : acétique : aigre et acide. Alors je me mis à pleurer, et c’est à ce moment-là que je connus Philibert, jeune homme très correct qui me proposa d’aller sécher mes larmes chez ses parents qui possédaient un aspirateur, car ils étaient philatélistes.

Nous ne tardâmes pas à nous marier, Philibert et moi, et nous ne tardâmes pas non plus à divorcer ; nous ne pouvions nous entendre puisqu’il était contrôleur et que moi j’étais comme ces oiseaux de la mer qui ne chantent que pendant les orages.

Profitant d’un moment d’inadvertance où j’achetais un coupon de toile cirée pour me faire un abat-jour ciel de lit, je pris (dégoûtée pour la vie) le premier bateau qui partait pour les Indes. Là, je tombai amoureuse du commissaire du bord, un être exquis, qui pendant cette traversée était absent et servait en qualité de maître d’hôtel au mess des officiers de Vladivostok.

Lorsque j’appris qu’il n’était pas à bord, je me jetai à l’eau. À la suite de cette aventure, je ne puis me guérir d’un rhume. Je vous en prie, dites-moi ce que je dois faire. Dois-je renoncer à cet homme ou à ce rhume ?

CHLORYDIANE DE CHÂTELPOT

RÉPONSE :

Chère Chlorydiane,

Votre confession me touche beaucoup. J’ai peur pour vous, et si je ne craignais pas de donner la fièvre à mon cheval qui m’attend sur le boulevard, je vous répondrais plus longuement.

Mais puis-je déjà vous dire que je déplore que vous ne soyez pas tombée amoureuse d’un pharmacien !

En tout cas, ayez du courage, rapprochez-vous de madame votre mère au coin du feu, et surtout ne renoncez pas !!!

MODE

LE PASSE-MONTAGNE DE PLAGE À MANCHES RETROUSSÉES

Pour vous, mesdames, une idée de vêtement simple et utile à tricoter vous-mêmes…

Fournitures  : 6 kilos 750 de laine angora torsadée 18 fils et 4 pelotes d’une livre et demie de laine 24 fils en aiguille à tricoter, coloris aubergine ou tomate farcie, plus une pelote basque de laine des Pyrénées-Orientales, coloris Gitane verte ou Gauloise bleue.

Aiguilles  : de 8,5 millimètres de diamètre à pointes rentrantes et bouts renforcés.

Points à employer : point de Jersey, point de Guernesey, point du jour, point de côté, point de suspension, pour les petits nœuds. Point sur la hanche pour l’empiècement et point de pitié pour les emmanchures.

Exécution  : 1° Vous montez, quatre à quatre, 398 mailles et vous tricotez 22 centimètres côté couture en côtes de doublage et 14 centimètres cubes en côtes du Rhône.

2° Vous garnissez les entrecôtes au grain de riz et les plates côtes en grain d’aleurone.

3° Vous rabattez, dans le milieu, 8 rangs de chaque côté par paquets de six, à raison de sept centimètres toutes les trois mailles, et vous travaillez simultanément l’emmanchure en terminant la pointe en sens inverse.

4° Vous continuez en sautant 2 mailles toutes les trois minutes, et ceci pendant douze mètres.

5° À 1,75 mètre du bas, vous rabattez 224 mailles en diagonale et 6 fois sept mailles en demi-clés renversées.

Il ne vous reste plus alors qu’à diminuer les mailles au fur et à mesure qu’elles augmentent, et quand vous n’avez plus de laine, c’est fini. Vous aurez ainsi réalisé économiquement et idéalement un ravissant et élégant passe-montagne de plage à manches retroussées, que vous pourrez également utiliser comme serpillière de ménage ou comme balayette de cuisine.

GRANDES PETITES ANNONCES

Dès son premier numéro, le 13 mai 1938, L’Os à moelle publie en page 4 des « Petites Annonces » qui n’obtiendront jamais la moindre réponse. Et pourtant, elles seront lues et commentées par d’innombrables lecteurs. Jusqu’au numéro 108, daté du 31 mai 1940, dans les cours de récréation des lycées comme dans les bureaux, on va se précipiter chaque vendredi sur cette colonne du journal, même et surtout si l’on n’a absolument besoin de rien…

DEMANDES D’EMPLOI

Pâtissier un peu tarte cherche bonne pâte pour gagner sa croûte.

N’ayant aucune imagination, cherche situation scénariste dans grande firme cinématographique.

Musulman cherche roue voilée pour le vélo de sa femme.

Boîte aux lettres fatiguée et un peu paresseuse demande levées tardives.

Idiot cherche village.

Gardienne d’immeuble un peu paresseuse cherche loge au sixième pour avoir à descendre le courrier au lieu de le monter.

Comprimé d’aspirine, dans la force de l’âge, cherche bonne migraine avec qui se mesurer.

On demande un taxi pour 15 h 30, 24, avenue de Villiers, 75017 Paris.

Monsieur, 42 ans, belle prestance, ingénieur en électronique pastorale, marié, trois enfants, très assoiffé, installé depuis trois quarts d’heure terrasse café boulevard Saint-Michel, demande à boire et plus vite que ça.

Femme de ménage pieuse cherche emploi dans institution religieuse pour regarder ménage se faire tout seul par opération Saint-Esprit.

OFFRES D’EMPLOI

On demande homme-tronc pour fondation arbre généalogique.

On demande homme fort pour traîner coupables devant les tribunaux.

Recherche passoire monotrou pour bouillon gras cyclope.

Maison haute couture ayant besoin coup de main pour travaux en sous-main recherche : petites mains, grandes mains, grosses pognes, main-d’œuvre, main à la pâte et mains courantes. Se présenter demain ou après-demain chez Balmain. Poil aux mains.

On demande cheval sérieux connaissant bien Paris pour faire livraisons tout seul.

On demande deux hommes de paille, un grand et un petit, pour tirage au sort.

On demande avec impatience le 46.22.26.69 qui n’est jamais libre ou qui répond qu’il est occupé.

On attend toujours le taxi demandé pour 15 h 30, 24, avenue de Villiers, 75017 Paris.

Lycéen cherche blanchisseuse habile pour l’aider à repasser ses leçons.

DIVERS

À vendre : jolie collection de pots-de-vin. S’adresser n’importe qui. Hôtel de Ville. Paris.

Apprenez l’équitation par correspondance. Pour le galop, se référer à la brochure concernant le trot, mais en la lisant trois fois plus vite.

Céderait bombe à retardement. Très très urgent !

Perdu hier… une bonne occasion de me taire…

Camembert bien fait cherche brie coulant pour aller ensemble en marche d’entraînement.

Ti chien-chien peut venir-venir. N’aura un gros susuc. Sa mémère, elle a oublié le pipi sur le tapis.

Fourchette-piège permettant de déguster les petits pois proprement et élégamment………………….12,00 F

La même, mais plus cher……14,50 F

Modèle identique, avec compteur totalisateur……………………….47,50 F

Courroie spéciale pour transmission de pensée, le mètre : 190,70 F

On attend impatiemment le taxi demandé par téléphone, pour 15 h 30, 24, avenue de Villiers, 75017 Paris.

Curriculum vitæ………………..13,60 F

Curriculum à changement de vitæ………………………………….65,10 F

Vitæ de rechange, l’unité………2,15 F

Prière s’abstenir de continuer envoi lettres anonymes, sinon, répondrai…

À saisir : occasion de tunnels au mètre :

Tunnel noir : 150 F

Tunnel très noir : 200 F

Tunnel très très noir : 250 F

Le même, mais plus noir : 300 F

Tunnel obscur : 400 F

Tunnel pour combats de nègres : 600 F

Tunnel noir comme un four : 700 F Tunnel noir comme deux fours : 915,10 F

Tunnel noir comme trois fours : 1 011 F

Modèles au-dessus, supplément de 15 F par four

Pâte à noircir les tunnels, le pot :19 F

Noir de tunnel, le seau : 75 F

Lanterne aveugle pour tunnel : 15,15 F

Lumière noire de rechange : la flamme : 0,10 F

Ça fait exactement 2 h 45 minutes 35 secondes qu’on attend le taxi demandé par téléphone pour 15 h 30, 24, avenue de Villiers, 75017 Paris.

ÉCHANGES

Auteur dramatique échangerait pièce en quatre actes contre trois pièces et une cuisine.

Caméléon domestique au bord de la dépression nerveuse échangerait d’urgence coussin écossais contre coussin teinte neutre.

Échangerais quinze jours de vacances pris au mois de juillet contre quinze jours à prendre en septembre.

La personne ayant demandé, par téléphone, un taxi pour 15 h 30, 24, avenue de Villiers, étant entrée en clinique pour dépression nerveuse, l’appel peut être considéré comme annulé.

HOUILLE DORMANTE

Personne n’y avait pensé avant Pierre Dac. Un jour de 1940, face aux restrictions d’énergie consécutives à la « Drôle de guerre », il s’est intéressé à la meilleure manière de faire des économies d’énergie. Des réflexions toujours d’actualité plus d’un demi-siècle après la parution de cet éditorial dans L’Os à moelle.

« Credo quia absurdum, a écrit Lope de Vega en son traité sur la pluralité des barres d’appui. Ce n’est certes pas moi qui dirai le contraire, étant pleinement et entièrement de l’avis de cet illustre gastronome.

Il n’en est pas moins vrai que le devoir immédiat et actuel de tout citoyen est de collaborer à l’œuvre urgente de redressement par l’économie nationale rationnelle. Or, qui dit économie dit utilisation de toutes les forces naturelles au bénéfice de l’intérêt général. Or, j’estime que, chaque jour, nous laissons inutilisée une quantité d’énergie telle qu’il est presque criminel de laisser perpétuer un pareil état de choses. Et c’est pourquoi je veux vous parler ici de la houille dormante.

La houille dormante ! C’est probablement la première fois que vous en entendez parler ; moi aussi d’ailleurs, puisque avant d’y avoir pensé personnellement, nul ne m’en avait soufflé mot.

Voilà de quoi il s’agit : on connaît sous le nom de houille blanche la force des chutes d’eau mise au service de l’énergie électrique ; d’où économie massive et indiscutable de combustible. On connaît aussi la houille beige, la houille bleue et la houille verte, d’utilité moins glorieuse mais honorable cependant. Il s’agit maintenant d’utiliser la houille dormante. Qu’est-ce que la houille dormante ? C’est la captation de l’énergie du sommeil, énergie négative qui peut être rendue positive par le truchement de moyens qu’il appartient aux ingénieurs de réaliser.

Tout être humain, à l’état de veille, manifeste une certaine activité variable, suivant sa complexion physique et morale ; or, en période de sommeil, cette activité disparaît-elle ? Non pas, elle tourne à vide, sans utilité aucune. N’avez-vous point remarqué que certaines personnes dorment plus ou moins rapidement ? Preuve irréfutable d’une énergie contenue qui ne demande qu’un procédé adéquat pour être canalisée et utilisée à des fins industrielles.

L’énergie produite en une nuit par la respiration de 50 millions de Français endormis serait amplement suffisante pour faire fonctionner pendant deux mois toutes les usines du pays, y compris celles-là et les autres.

Je sais qu’en lisant cette affirmation, les compétences autorisées vont hausser les gencives en claquant des épaules. Peu importe. L’idée est un blé dont le grain semé finit toujours par produire un jour ou l’autre un pain de quatre livres.

La houille dormante est dans l’air ; elle fera son chemin et ce sera l’honneur de ma vie d’avoir été le précurseur d’une chose qui, demain, redonnera à notre nation la prospérité et le bonheur dans l’idoine et la fécondité. »

ISIDORE PAUDEMURGE

Renvoyé du lycée pour avoir accroché un hareng saur à la redingote de son professeur de mathématiques, Pierre Dac n’a jamais rattrapé des études qu’il avait pourtant tenté de poursuivre. C’est dire s’il voue une admiration sans limites aux érudits, en particulier à celui qu’il a présenté, dans les années cinquante, comme « le type même du self-made-man français ».

Parfait honnête homme et citoyen intègre, Isidore Paudemurge est né le jour de la Saint-Oculi, patron des fabricants de lunettes, à Mouchabœuf-en-Tournée, charmante localité sur les bords de la Semoule, entre Morzy-les-Gracieuse et Issoubly-sous-l’Huy.

Quoique étant indiscutablement de souche lorraine, son ascendance n’en demeure pas moins assez trouble, puisqu’il est savoyard par sa mère et auvergnat par un ami de son père.

Très jeune, il perdit ses parents. Bêtement d’ailleurs, dans la foule, à la foire du Trône. Ce qui, après déclaration de perte à l’état civil, lui donna droit à l’appellation contrôlée d’orphelin provisoire.

Il se retrouva donc, de fort bonne heure, dans l’obligation de se livrer aux besognes les plus diverses pour gagner sa vie. C’est ainsi qu’il fut, successivement et entre autres, essayeur de sucettes dans une confiserie clandestine, metteur au point à la ligne dans une imprimerie désaffectée, donneur à plein temps dans un institut d’insémination artificielle d’où il fut remercié pour insuffisance de matière première, interne des hôpitaux, mais en qualité de malade, et enfin, imprésario et organisateur de galas au bénéfice de l’organisation des organisateurs de galas.

Ensuite, domicilié à Paris au 44 de la rue du Chien-qui-Quête, en face de la faculté de lutte gréco-romaine, il finit par exercer l’honorable et lucrative profession de faux-filetier. Chaque matin, il se mit à vendre, à la sauvette, du faux filet de hareng et du faux filet à provisions sur les marchés et dans les milieux orthodoxes.

En marge de ses occupations professionnelles, il se passionne pour l’art pictural. Paysagiste distingué, on lui doit, en dehors de certaines sommes d’argent qu’il a bien du mal à récupérer, quelques œuvres intéressantes parmi lesquelles une ravissante peinture à l’huile et au vinaigre intitulée : Matin d’avril, qui représente un joyeux boulevardier au saut du lit, en train d’élever l’extrémité de sa chemise de nuit à la hauteur de son front en ayant l’air de dire : « Je ne sais pas ce que j’ai dans l’œil. »

Également passionné de politique, ardent défenseur des libertés démocratiques, il est l’un des principaux fondateurs du « Mouvement républicain alternatif des jambes et des bras avec rotation des gencives et circumduction du tronc ». Orateur-né, doué d’une présence d’esprit à toute épreuve et implacable logicien, il possède le sens profond du mot juste et de la réplique incisive. Ainsi, nul, dans son quartier n’a oublié ce fameux soir où, en pleine réunion électorale, il riva magistralement son clou à un contradicteur de mauvaise foi. Celui-ci, à bout d’arguments et littéralement exaspéré à propos de je ne sais plus trop quoi, lui ayant lancé à tout hasard : « Mais enfin, monsieur, quoi, tout de même, après tout, fluctuat nec mergitur ! », il répondit, du tac au tac : « D’accord, mais seulement dans les rues en pente ! »

Il est intéressant de préciser qu’Isidore Paudemurge tient probablement cette prédilection pour les affaires publiques de son grand-oncle, David Eustache Dégraisse qui, sous le septennat de Jules Grévy, fut, à diverses reprises, attaché militaire à la Défense de déposer des ordures sous peine d’amende.

Marié il y aura dix-sept ans aux pommes de terre nouvelles, il est à la fois le fils de ses œuvres et le père de ses enfants. Très attaché au respect des saines traditions et des immortels principes et soucieux d’éviter toute équivoque, il a poussé le scrupule jusqu’à faire broder sur ses slips d’édifiantes inscriptions telles que : « On ne reçoit que sur rendez-vous » et : « Vous trouverez à l’intérieur ce que vous ne voyez pas à la devanture. »

Notable respecté, il est également président de la Ligue pour la réconciliation des œufs brouillés, membre bienfaiteur de l’Œuvre pour le rapprochement des sexes et persona grata affiliée à une société secrète de gymnastique.

Quoique peu sensible aux honneurs, il est néanmoins sous-officier d’Académie, chevalier du Mérite une claque dans le nez et commandeur de l’Ordre de se replier sur des positions solidement préparées à l’avance.

Voilà qui est ce rude et courageux compagnon qui a su gagner, à la faveur de ses dons exceptionnels et de son labeur acharné le droit de goûter désormais et en toute plénitude les fruits confits de ses constants efforts.

Qu’il me soit aujourd’hui permis de saluer en lui l’un de ces modestes et vaillants pionniers qui, jour après jour, et par la seule force de leurs ancestrales vertus, forgent silencieusement le fier levain qui, demain ou après-demain au plus tard, fera germer le ciment victorieux dans lequel sera ficelée la poutre maîtresse du mur de soutènement sur quoi, enfin, reposera, entre les deux mamelles de l’harmonie universelle, la clé de voûte qui ouvrira, à deux battants, la porte cochère d’un avenir meilleur sous le péristyle d’un monde nouveau.

JEUX

En 1937, sur l’antenne du Poste parisien, l’une des radios privées les plus écoutées, Pierre Dac propose chaque jour, entre 12 heures et 14 heures, « La Course au trésor ». Un jeu dont les candidats doivent rivaliser de débrouillardise pour ramener, en un minimum de temps, un maximum d’objets insolites, sortis de l’imagination du Roi des Loufoques. Une immense kermesse quotidienne qui tombe bien en des moments où les Français se demandent si le monde n’est pas au bord de la guerre. Un défouloir dont le gagnant remporte un billet de la Loterie nationale et dix bouteilles d’apéritif, tandis que chacun des autres participants repart avec une pelote de laine. De l’autre côté du poste de T.S.F., on fait preuve de beaucoup d’imagination, puisque la seule description des objets déclenche des tempêtes de rire. À titre d’exemple, voici la liste de ce qu’il fallait se procurer, dans des délais aussi courts que brefs, un certain dimanche du mois de novembre 1937 :

1. — Un chapelet de saucisses bénites agrémenté d’un rosaire de fruits confits en dévotion autour du cou.

2. — Une hallebarde de suisse d’église dans la main gauche et un plat de lentilles farcies de bortsch dans la main droite.

3. — Une dragée blanche entourée de dix kilomètres de ruban noir.

4. — Une échelle de corde à nœuds attachée à la ceinture, une gamelle remplie de pruneaux cuits et de pruneaux crus mélangés, tenue en équilibre sur la colonne vertébrale, la tête coiffée d’un casque de sapeur-pompier orné d’une couronne de pain brioché.

5. — Une culotte de zouave sur entrecôte Bercy.

6. — Des Pataugas de cérémonie aux pieds.

7. — Des feuilles de salade verte et pas mûre dans les trous du nez et des oreilles.

8. — Un rosbif tenu en laisse.

9. — Un hareng saur dans une chaise à porteurs.

10. — Un poisson rouge dans un bocal de vin blanc.

Pierre Dac a également inventé d’autres jeux. Ils ont été publiés dans L’Os à moelle, mais jamais mis en pratique. Et pour cause…

LE JEU DU SEAU D’EAU

Voilà un jeu qui va faire fureur l’été prochain un peu partout ; il se pratique de la manière suivante :

a) Lieu : autant que possible, la salle de jeu doit être située au moins au deuxième étage.

b) Préparation : emplir d’eau propre ou polluée un bon seau d’une contenance minimum de quinze litres ; cette opération effectuée, ouvrir la fenêtre.

c) Exécution : jeter violemment l’eau contenue dans le seau dans la rue et se rejeter immédiatement en arrière.

d) Attendre et écouter. Si aucune réaction ne se produit, vous avez perdu. Recommencez alors l’opération.

e) Si la chute de l’eau est suivie d’un cri, vous marquez 10 points.

f) Si plusieurs cris se font entendre, vous marquez 15 points.

g) Si ces cris se traduisent en hurlements mêlés de qualificatifs allant de saligaud à tête de lard fumé, vous marquez 50 points.

h) Et si, enfin, la police monte chez vous, vous marquez 100 points et vous êtes déclaré hors concours.

Voilà de quoi rire et s’amuser honnêtement, en développant ses facultés d’observation et ses dons de la balistique.

LE JEU DES 32 DRAPS

1° Le jeu est de 32 draps.

2° Chaque drap a sa valeur propre, ou sale, selon son état, sa qualité et son ornementation.

3° On joue communément à 4 ou à 128 joueurs, mais plutôt à 6.

4° On donne 5 draps par joueur.

5° Celui qui met a le droit de mettre à fil, à coton, à brodé, à jour, à nylon, etc.

6° On bat, naturellement, le jeu de 32 draps comme un jeu de cartes ordinaire ; on coupe et on retourne de même.

7° Chaque partie se joue ordinairement en 400 points de feston ou en 200 points de bourdon (le point de bourdon comptant double).

8° Chaque fois qu’un joueur ramasse, il fait un pli : quand il a fait 10 plis, il a gagné.

9° Avant une seconde partie, il convient de donner un coup de fer au jeu pour le remettre en état.

10° Tout joueur qui essaie de couper irrégulièrement avec une taie d’oreiller est automatiquement mis hors jeu.

11° La tierce se compose de : 1 drap de lin, 1 drap de coton et 1 drap reprisé.

12° L’usage des draps marqués est formellement interdit et n’est, d’ailleurs, pratiqué que par des tricheurs professionnels.

KOMMANDANTUR

Le 1er septembre 1939, les troupes allemandes envahissent la Pologne et la mobilisation générale est décrétée en France. Le prologue à des années dramatiques dont les Français n’ont pas encore pris conscience. Jusqu’au 31 mai 1940, ils se retrouvent au cœur d’une « drôle de guerre ». À travers les colonnes de L’Os à moelle, Pierre Dac va en devenir, à sa manière, l’un des participants. Il ne va jamais dissimuler sa position sur l’envahisseur allemand en général et Adolf Hitler en particulier. Les nazis n’ayant guère le sens de l’humour, le 1er juin 1940, au lendemain de l’occupation de Paris, Pierre Dac cesse de faire paraître son journal et s’éloigne discrètement de la capitale. Il sait que l’ennemi l’a placé en tête d’une liste des personnes à arrêter sans délai, depuis le jour où il a transposé, à sa manière, une formule chimique : l’Os à moelle se décompose au contact du vert-de-gris…

Voici quelques-uns des autres textes qui, entre septembre 1939 et mai 1940, ont déclenché la fureur des nazis…

ON RECHERCHE

Recherchons, mort ou vif,

Le dénommé Adolf,

Taille 1,47 m,

Cheveux bruns avec mèche sur le front.

Signe particulier :

Tend toujours la main, comme pour voir s’il pleut.

Signe spécial, le seul le rapprochant un peu d’un être humain :

Moustaches à la Charlot.

Énorme récompense.

LE COMBLE DE L’INTRANSIGEANCE HITLÉRIENNE

La France et l’Angleterre sont entrées dans la guerre pour aller au secours de la Pologne. Comme chacun sait, le plus court chemin pour se rendre de France en Pologne est de traverser l’Allemagne. Le gouvernement français, par la voix de son ambassadeur, avait donc demandé au chancelier Hitler qu’il lui accorde le libre passage de nos troupes au travers du pays germain. Nous apprenons de source certaine qu’invoquant divers futiles prétextes, Hitler a refusé d’accéder à notre demande !

Comment l’arrogant Autrichien veut-il, après cet incompréhensible refus, se créer des sympathies dans notre pays ?

QU’EST DEVENU L’IMPERMÉABLE DU FÜHRER ?

Nous ne craignons aucun démenti, cinglant ou non, en disant que, depuis fort longtemps, nul n’a plus revu le fameux imperméable dont, jadis, M. Hitler ne se séparait ni jour ni nuit.

Sur toutes les photos qui nous parviennent de par là-bas, on voit maintenant le Führer revêtu d’un uniforme trop grand pour lui et très probablement emprunté au maréchal Goering.

Qu’est devenu son imperméable ?

Sans doute l’a-t-il égaré ?

Supposition évidemment hypothétique et dont nous ne cherchons pas à dissimuler le caractère conjectural, mais qui aurait l’avantage d’expliquer bien des choses.

Entre autres les invasions successives de l’Autriche, de la Tchécoslovaquie, de Memel et de la Pologne.

Le Führer est un homme d’ordre, c’est lui-même qui l’a dit à maintes reprises. Ayant perdu son overcoat, il le cherche partout, cet homme !

Si c’est un mauvais plaisant qui le lui a chipé, il ferait aussi bien de le lui rendre tout de suite.

Avant qu’il ne soit trop tard !

EN BREF

L’Allemagne et la Russie ont déclenché une grande offensive de paix. Alors méfiance ! C’est le moment ou jamais d’ouvrir l’œil et de veiller au bon état de son abri individuel contre les bombardements. Qu’on ne s’affole tout de même pas. Du moment qu’Hitler n’a pas proposé d’armistice, tous les espoirs sont permis.

L’ÉCRIVAIN HITLER PLAGIAIRE

Nous nous apprêtions à écrire une substantielle critique et à faire une large publicité à la dernière œuvre de M. Hitler qui a pour titre : Mein Kampf. Mais, au moment même de prendre la plume en main, il nous apparut soudain que ce Mein Kampf n’est qu’un odieux et vulgaire plagiat d’une des fables de notre bon et national La Fontaine, celle intitulée : « La Grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf ».

Chacun de nous se souvient des premiers vers de cette fable célèbre :

Une grenouille vit un bœuf
Qui lui sembla de belle taille.
Elle qui n’était pas grosse en tout comme un œuf,
Envieuse s’étend, et s’enfle et se travaille
Pour égaler l’animal en grosseur…

Et plus loin :

La chétive pécore
S’enfla si bien quelle en creva.

Nous référant au texte — en prose, là est la seule différence — de M. Hitler, aucun doute n’est possible. M. Hitler n’est qu’un vil plagiaire de M. Jean de La Fontaine et, comme tel, nous n’observerons, vis-à-vis de son dernier ouvrage, que le silence le plus dédaigneux.

EN BREF AUSSI…

L’indignation ne cesse de croître à Berlin contre le Dr Goebbels : en effet, on révèle aujourd’hui qu’il est disgracié par les autorités nazies. Or, les adversaires du docteur font remarquer qu’il était déjà disgracié par la nature : il s’agit donc bien d’un cumul parfaitement intolérable. On n’avait guère d’estime pour ce triste sire, mais, cette fois, il passe la mesure.

Questionné à ce sujet, le Führer a déclaré vigoureusement : « Ach ! Brfff ! Schklutzrmutzsprkch ! » et c’est le moins que l’on puisse dire sur un aussi pénible sujet.

QUELQUES RÉVÉLATIONS SENSATIONNELLES SUR LE CAMOUFLAGE DE L’ALLEMAGNE

Jamais encore on ne s’était avisé de camoufler un État tout entier.

C’est pourtant, si nos renseignements sont exacts, ce qui se préparerait de l’autre côté du Rhin.

De même que, pour tromper l’adversaire, on donne parfois à un sombre canon l’apparence d’un bosquet verdoyant, de même, avec l’espoir de nous abuser sur leurs véritables intentions, les autorités nazies s’efforceraient de donner au IIIe Reich l’apparence d’une nation pacifique.

Grâce à des complicités grassement rémunérées, il nous est permis de révéler, d’ores et déjà, les grandes lignes d’un plan qui aurait été établi dans ce sens et dont la mise à exécution serait imminente.

C’est ainsi que M. Hitler abandonnerait son titre de « Führer », qu’il juge d’une consonance trop belliqueuse, pour celui de « Douhceur », incontestablement plus débonnaire.

Pour la même raison, il troquerait son prénom d’Adolf contre celui d’Olivier, symbole de concorde.

Berlin céderait son titre de capitale à Trêves, dont l’appellation répond mieux aux circonstances présentes.

Les agents de la Gestapo s’appelleraient dorénavant gardiens de la paix.

Enfin, les SS se transformeraient en CC, deux lettres qui phonétiquement sont un ordre d’en finir.

En revanche, il convient de démentir le bruit qu’une modification de l’armement allemand serait envisagée dans la même intention.

Il est faux, notamment, que les casques d’acier des hommes de troupe prendraient l’apparence de chapeaux melons et que leurs fusils auraient l’aspect de simples parapluies.

On ajoute qu’il couperait sa mèche fameuse et adopterait les cheveux « à l’ange ».

Rasant sa moustache, il irait jusqu’à porter le bouc, pour mieux se rapprocher du mouton, sans doute.

Soucieux de se rendre aussi méconnaissable que son chef, Goering ne porterait plus qu’une seule décoration : la médaille de l’encouragement au bien.

D’autre part, le gros maréchal se ferait maigrir pour démontrer que non seulement il désire changer son régime politique, mais qu’il entend également modifier son régime alimentaire.

Toutefois, le nouveau chef de l’Économie allemande n’a pu résister au plaisir de se commander un nouvel uniforme. On assure que celui-ci comporte un bicorne empanaché, une redingote à brandebourgs, une culotte de casimir, des bas blancs, des escarpins à boucles, un baudrier soutaché et une hallebarde.

Ainsi vêtu, Goering estimerait que son désir de neutralité ne peut plus être mis en doute. Il s’agit, en effet, d’un uniforme de Suisse.

Quant au Dr Goebbels, après avoir longuement cherché ce qui est de nature à le changer le plus complètement, il essaierait de se rendre beau.

En raison du travail considérable que cela représente, il n’est d’ailleurs pas très certain qu’il parvienne à ses fins.

Bien entendu, le camouflage envisagé ne s’en tiendrait pas uniquement aux chefs mais s’étendrait à tout et à tous.

Le Parti nazi deviendrait le Parti blanchi, de façon à laisser croire à sa guérison.

Le Régime autoritaire changerait également de nom ; il ne serait plus que le Régime obéissant, l’autorité risquant d’être considérée comme une marque d’entêtement.

Le livre-programme d’Hitler, Ma Guerre, continuerait à être en vente, mais prendrait le titre de Ma Paix.

GOEBBELS ÉCRIT À PIERRE DAC

Avec un rien d’étonnement, le vénéré rédacteur en chef de L’Os à moelle a reçu par la voie diplomatique une lettre qui lui parut parfaitement illisible. Elle n’était en effet rédigée en aucune langue digne de ce nom : écrite par Goebbels lui-même, elle se composait avant tout d’un stock infiniment varié d’aboiements, glapissements, éructations qui forment l’essentiel du style de ce ministre à la courte patte.

Nos connaissances en ornithologie nous ont permis de traduire cette lettre qui fourmille de noms d’oiseaux.

Monsieur et tête de cochon,

Si j’ai recours à des formules de politesse, c’est pour vous faire savoir mes volontés suprêmes, après que vous aurez répondu aux explications que je réclame de votre gueule de raie, comme nous disons, nous autres diplomates.

Dans le dernier numéro de votre chiffon de papier, vous avez consacré un article de première page à quel sujet ? Au fumier. Oui, au fumier, sans autre précision. Eh bien ! je vous le dis, triste résidu d’une race abâtardie, le Reich ne peut tolérer une pareille insolence : quand on fait de l’ironie à propos du fumier, ce n’est pas seulement notre Führer (heil !) qui se sent visé ; le maréchal Goering (heil !) en prend aussi sa petite part, le général von Brauchitsch (heil !) se trémousse d’indignation et moi-même (heil ! heil ! et heil !), j’en ai des sueurs tièdes au niveau du plexus solaire. Mais ce n’est pas tout, entendez-vous, lamentable fond de poubelle : s’en prendre au fumier, c’est attaquer l’Allemagne tout entière, collective, totale, une et indivisible.

Fumier über alles, voilà notre devise. Et si ça ne vous plaît pas, fœtus endimanché, vous n’avez qu’à le dire ; nous nous chargeons de vous protéger. Et quand nous protégeons quelqu’un, vous savez où ça le mène.

En conséquence, moi, Goebbels (heil ! heil ! trois fois heil ! six fois heil ! et puis de l’heil comme s’il en pleuvait !), je vous dis ceci : « Hürscht ! Kraftanschin Rendorf Schweinigerfresse !Triibzigweinighinkelgronensprutz ! À bon entendeur… »

Très touché par cette aimable littérature, Pierre Dac a dit : « Veuillez répondre à M. Goebbels que je le prie de me foutre la paix. »

Mais prenons garde : une paix à la Goebbels, ce serait sûrement une paix boiteuse.

LONDRES

Pierre Dac n’a pas entendu l’appel du 18 juin, mais il en a entendu parler. Il a aussitôt décidé qu’il était de son devoir de rejoindre, à Londres, l’équipe réunie par le général de Gaulle. Il y parvient le 30 octobre 1943 après avoir, entre autres, traversé les Pyrénées à pied sous la neige et passé un an et demi dans diverses prisons espagnoles en dormant parfois sur une paillasse. Jusqu’au mois d’août 1944, au micro de la BBC, il est l’un des « Français qui parlent aux Français ». Le chansonnier met alors tout son talent au service du moral de son pays. Sa popularité est telle que l’impact auprès des auditeurs est immense. Chaque soir, peu après 21 h 30, Pierre Dac est au micro le temps d’une chanson ou d’un éditorial. Certains de ses textes méritent leur place au panthéon de la polémique.

30 octobre 1943 : première intervention au micro après son arrivée à Londres :

ÇA ME FAIT TOUT DRÔLE

« L’ensemble de mes sensations depuis mon arrivée à Londres peut se traduire par cette simple phrase : “Ça me fait tout drôle.” Il va de soi que le mot “drôle” doit être pris ici non au sens littéral, mais au sens curieux, bizarre, troublant, bref, pour employer une expression renouvelée des Grecs et des Truands réunis, il signifie que “j’en prends un bon coup dans le porte-pipe”.

Quand je me promène tranquillement dans les rues, les bras ballants ou les mains dans les poches, sans sentir à mes poignets la désagréable meurtrissure des menottes, quand je marche sans éprouver le choc au cœur provoqué par la sensation d’être filé, prélude à une imminente arrestation, ça me fait tout drôle !

Ce qui me fait peut-être le plus drôle de tout, ce sont les nuits ; les nuits que je passe maintenant dans un lit, alors que pendant de longs mois je n’ai eu entre mes os et le ciment que l’espace de ma patience et de mon espérance. Encore que la prison offrait pour moi l’avantage — tout relatif — d’une situation nette et totalement dépourvue d’équivoque : j’étais dedans, c’était net et précis, et je n’avais qu’une pensée : en sortir ; par contre, quand j’en étais sorti, je vivais avec la crainte constante d’être interviewé par des reporters de l’Ordre nouveau, qui, sous prétexte de me faire visiter l’exposition de “la matraque pour tous”, m’auraient incontinent remis à l’ombre. Et dans l’état de demi-veille qui précède mon sommeil, je me remémore mes nuits de France, nuits que continuent à vivre tous les camarades connus ou inconnus qui mènent le combat contre les gouapes hitléro-collaborationnistes. Nous nous réunissions souvent le soir ; parfois il en manquait à l’appel. L’un de nous demandant : “Alors, Charles ou André, ou Jean ?” un autre répondant : “Il y est” la conversation continuait ainsi :

— Interrogé ?

— Oui.

— Torturé ?

— Oui.

— Et alors ?

— Il n’a rien dit.

C’était tout ; nous nous séparions en nous disant : “À demain.” Et nous ajoutions mentalement : “Peut-être.” Chacun rentrait chez soi et se couchait, à moitié habillé ; le programme se déroulait alors dans l’ordre quotidien ; valise prête au pied du lit, brusques réveils, sueurs au front au moindre craquement, tout bruit, toute voix devenant hostile et suspect.

Ça me fait tout drôle d’évoquer tous ces souvenirs, qui s’affirment à ma mémoire, à mesure qu’ils s’éloignent dans le temps. Il y a bien des choses encore qui me font tout drôle depuis mon arrivée à Londres, comme par exemple pouvoir écouter la radio sans être contraint de prendre, sous l’évier, la position du cor de chasse ; couché, ne plus entendre cet hallucinant bruit de bottes sur le pavé ni ces chants dont nous font bénéficier ces messieurs de la Wehrmacht sitôt qu’ils sont plus de deux ; ne plus voir les mascarades tragico-comiques du SOL ni les lamentables défilés d’enfants qu’on fait marcher au pas en les obligeant à chanter Maréchal, nous voilà. Ça me fait tout drôle aussi de penser que bientôt, nous aussi, nous pourrons chanter Maréchal, nous voilà, mais pas du tout dans le sens voulu par les auteurs de ce joli morceau de littérature pseudo-musicale.

Pour conclure, ça me fait tout drôle de voir flotter les drapeaux alliés et de ne plus avoir devant les yeux l’obsession de l’étendard à croix gammée. Ça me fait tout drôle de me savoir à trente-cinq minutes de Paris. Ça me fait tout drôle d’être accueilli par les Anglais avec autant de sympathie et de gentillesse. À plusieurs reprises, depuis que je suis ici, j’ai senti ma gorge se serrer. Mais je me raidis, car le jour où je me donnerai la permission de laisser couler mes larmes sera celui où je remettrai les pieds sur la terre de France.

Parce que, n’est-ce pas, ce jour-là, ça me fera tout drôle. »

1er janvier 1944 : la victoire des alliés est proche : à la BBC, personne n’en doute.

MESSAGE DU 1ER JANVIER

« Je ne peux m’empêcher, en ce premier jour de l’an 1944, d’évoquer l’atmosphère des premiers de l’an d’avant-guerre et ce qu’ils pouvaient avoir, à certains égards, de conventionnel. Naturellement, pour ceux qu’on aimait vraiment, l’échange de souhaits était sincère ; mais il y avait tous les autres, et je me souviens qu’en fin de journée, après avoir encaissé et rendu une quantité industrielle de vœux, lorsque je rencontrais, d’aventure, encore un quidam, avant même que celui-ci n’ouvre la bouche, je lui disais, ou plutôt lui hurlais : “Merci, je vous souhaite la même, et à l’envers.” Et les lettres, les cartes de visite, les cadeaux, les fleurs, les bonbons avec toujours l’arrière-pensée d’oublier quelqu’un ; bref, ça tournait souvent à la corvée. Corvée qu’on blaguait, dont on riait, en raison de son côté traditionnel un peu suranné et, cependant, à tout prendre charmant.

Depuis trois ans, le rire a disparu ; les bonbons, les cadeaux aussi, et les fleurs qui restent on les apporte sur les tombes anonymes de nos camarades que la Gestapo a suppliciés parce qu’ils voulaient demeurer des hommes fiers et libres. Les souhaits qu’on échange presque à voix basse sont graves. D’ailleurs, on n’a pas besoin de se dire grand-chose : on se regarde droit dans les yeux, on se serre la main, bien fort, et ça suffit : on se comprend.

C’est parce que j’ai trop en mémoire le souvenir de ces premiers janvier écoulés que les vœux que je forme en ce premier de l’an, mes camarades de la Résistance, je vous les adresse d’une voix plus claire et plus assurée. J’ai vécu, au milieu de vous, bien des jours mauvais et durs ; j’ai connu, en prison ou traqué, les heures troubles où l’on n’a pas trop de toute sa volonté pour conserver son calme et son courage. Et c’est pour ça qu’aujourd’hui, du fond de mon exil, de toute mon âme, de toutes mes forces, je vous dis : “Bonne année, parce que je sais que ce sera la bonne, la grande année. Pour vous toutes et tous, pour les petits surtout, bonne santé, malgré les privations.”

Et puisque la tradition veut qu’au seuil de l’an nouveau on se donne l’accolade, laissez-moi vous embrasser tous, car je crois que l’immense espoir que je porte en moi me donne un cœur assez grand pour pouvoir le faire.

Bonne année, mes chers copains, bonne victoire, et à bientôt. »

10 mai 1944 : au micro de Radio-Paris, Philippe Henriot, éditorialiste au service de la propagande, donc des Allemands, attaque Pierre Dac en évoquant ses origines juives et en rappelant qu’il s’appelle en réalité André Isaac et qu’il est le fils de Salomon et de Berthe Kahn :

« … Dac s’attendrissant sur la France, c’est d’une si énorme cocasserie qu’on voit bien qu’il ne l’a pas fait exprès. Qu’est-ce qu’Isaac, fils de Salomon, peut bien connaître de la France, à part la scène de l’ABC où il s’employait à abêtir un auditoire qui se pâmait à l’écouter ? La France, qu’est-ce que ça peut bien signifier pour lui ?… »

Le lendemain, oubliant le profond sentiment d’écœurement qui l’habite, Pierre Dac lui répond au micro…

BAGATELLE SUR UN TOMBEAU

« M. Henriot s’obstine ; M. Henriot est buté. M. Henriot ne veut pas parler des Allemands. Je l’en ai pourtant prié de toutes les façons : par la chanson, par le texte, rien à faire. Je ne me suis attiré qu’une réponse pas du tout aimable — ce qui est bien étonnant — et qui, par surcroît, ne satisfait en rien notre curiosité. Pas question des Allemands.

C’est entendu, monsieur Henriot, en vertu de votre théorie raciale et national-socialiste, je ne suis pas français. À défaut de croix gammée et de francisque, j’ai corrompu l’esprit de la France avec L’Os à moelle. Je me suis, par la suite, vendu aux Anglais, aux Américains et aux Soviets. Et pendant que j’y étais, et par-dessus le marché, je me suis également vendu aux Chinois. C’est absolument d’accord. Il n’empêche que tout ça ne résout pas la question : la question des Allemands. Nous savons que vous êtes surchargé de travail et que vous ne pouvez pas vous occuper de tout. Mais, tout de même, je suis persuadé que les Français seraient intéressés au plus haut point, si, à vos moments perdus, vous preniez la peine de traiter les problèmes suivants dont nous vous donnons la nomenclature, histoire de faciliter votre tâche et de vous rafraîchir la mémoire :

1. Le problème de la déportation ;

2. Le problème des prisonniers ;

3. Le traitement des prisonniers et des déportés ;

4. Le statut actuel de l’Alsace-Lorraine et l’incorporation des Alsaciens-Lorrains dans l’armée allemande ;

5. Les réquisitions allemandes et la participation des autorités d’occupation dans l’organisation du marché noir ;

6. Le fonctionnement de la Gestapo en territoire français et en particulier les méthodes d’interrogatoire ;

7. Les déclarations du Führer dans Mein Kampf concernant l’anéantissement de la France.

Peut-être me répondrez-vous, monsieur Henriot, que je m’occupe de ce qui ne me regarde pas, et ce disant vous serez logique avec vous-même, puisque dans le laïus que vous m’avez consacré, vous vous écriez notamment : “Mais où nous atteignons les cimes du comique, c’est quand notre Dac prend la défense de la France ! La France, qu’est-ce que cela peut bien signifier pour lui ?”

Eh bien ! Monsieur Henriot, sans vouloir engager de vaine polémique, je vais vous le dire ce que cela signifie, pour moi, la France.

Laissez-moi vous rappeler, en passant, que mes parents, mes grands-parents, mes arrière-grands-parents et d’autres avant eux sont originaires du pays d’Alsace, dont vous avez peut-être, par hasard, entendu parler ; et en particulier de la charmante petite ville de Niederbronn, près de Saverne, dans le Bas-Rhin. C’est un beau pays, l’Alsace, monsieur Henriot, où depuis toujours on sait ce que cela signifie, la France, et aussi ce que cela signifie, l’Allemagne. Des campagnes napoléoniennes en passant par celles de Crimée, d’Algérie, de 1870–1871, de 14–18 jusqu’à ce jour, on a dans ma famille, monsieur Henriot, lourdement payé l’impôt de la souffrance, des larmes et du sang.

Voilà, monsieur Henriot, ce que cela signifie pour moi, la France. Alors, vous, pourquoi ne pas nous dire ce que cela signifie, pour vous, l’Allemagne ?

Un dernier détail : puisque vous avez si complaisamment cité les prénoms de mon père et de ma mère, laissez-moi vous signaler que vous en avez oublié un : celui de mon frère. Je vais vous dire où vous pourrez le trouver ; si, d’aventure, vos pas vous conduisent du côté du cimetière Montparnasse, entrez par la porte de la rue Froidevaux ; tournez à gauche dans l’allée et, à la 6e rangée, arrêtez-vous devant la 8e ou la 10e tombe. C’est là que reposent les restes de ce qui fut un beau, brave et joyeux garçon, fauché par les obus allemands, le 8 octobre 1915, aux attaques de Champagne. C’était mon frère. Sur la simple pierre, sous ses nom, prénoms et le numéro de son régiment, on lit cette simple inscription : “Mort pour la France, à l’âge de 28 ans”. Voilà, monsieur Henriot, ce que cela signifie pour moi, la France.

Sur votre tombe, si toutefois vous en avez une, il y aura aussi une inscription : elle sera ainsi libellée :

PHILIPPE HENRIOT

Mort pour Hitler,

Fusillé par les Français…

Bonne nuit, monsieur Henriot. Et dormez bien. Si vous le pouvez… »

CHANSONS DE LONDRES

LES GARS DE LA VERMINE

SUR L’AIR DES GARS DE LA MARINE (1943)

Quand on est un salaud
Un vrai, un pur, un beau
On se met au service
De la maison Himmler (bis)
Puis on fait le serment
D’obéir total’ment
Quels que soient ses caprices
Aux ordres du Fuhrer (bis)
La croix gammée sur l’œil
On montre avec orgueil
Qu’on est un grand champion
Dans la course à l’abjection

REFRAIN

Voilà les gars de la vermine
Chevaliers de la bassess’
Voilà les Waffen SS
Voyez comme ils ont fière mine
C’est dans le genr’ crapuleux
Ce qui s’fait d’mieux
Avant qu’on ne les extermine
Regardez-les consciencieus’ment
Voilà les gars de la vermine
Du plus p’tit jusqu’au plus grand
Du simple voyou à Darnan
ILS SONT ALLEMANDS

La Complainte de fin d’année

sur l’air de La Romance de Paris (1943)

musique de Charles TRÉNET

Une année finit, l’autre commence,
L’un après l’autre les mois s’avancent
Apportant dans leur cortège bleu
La promesse de jours plus heureux
Et pendant que la Victoir’ s’apprête
À revêtir ses habits de fête
Le voil’ noir des désastres s’étend, oui
Sur le Reich et ses derniers Amis.

C’est la complainte des nazis,
Le crépuscule avant la nuit,
Qui met au cœur des Hitlériens
L’âpre terreur du lendemain.
Elle exprime par ses accents
La sourde angoiss’ du châtiment

Dans la tempête et dans les cris
C’est la complainte des nazis (bis)

Miliciens, mouchards, tristes apôtres
Cett’ complainte est également la vôtre
Vous, les traîtr’s, les vendus, les vomis,
Vous les lâches, elle est la vôtre aussi
Tortionnair’s, bourreaux et mercenaires
Elle rythme votre heure dernière
Collaborateurs écoutez-la bien
C’est pour vous que chante ce refrain

C’est la complainte des nazis
C’est la complainte des pourris
Qui met au ventre des salauds
La peur d’la corde ou du poteau
Elle accompagne en quelques mots
L’agonie de l’ordre nouveau

À vos potenc’s homm’s de Vichy
C’est la complainte des nazis (bis)

La Polka du désarroi

sur l’air de La Polka du Roi (1944)

musique de Charles TRÉNET

I

Connaissez-vous la nouvell’ danse
Qui fait fureur partout chez les nazis
C’est un cocktail de révérences
De pas d’cours’ et de saut d’cabri
Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! (bis)
Quelle trouvaille
Quelle pagaye
Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! (bis)
C’est la, c’est la polka du désarroi.

II

Dans cette danse réaliste
Trois figur’s se suiv’nt en décomposant
Un’ figur’ longue, un’ figur’ triste
Et un’ figur’ d’enterrement
Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! (bis)
Quelle attitude
Quelle inquiétude
Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! (bis)
C’est la, c’est la polka du désarroi.

III

À un’ cadenc’ sans cesse accrue
Les collaborateurs la dans’nt toutl’temps
Le cœur battant, la têt’ perdue
Tout agités de tremblements
Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! (bis)
Quelle colique
Quelle panique
Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! (bis)
C’est la, c’est la polka du désarroi.

M.O.U

En 1965, à l’heure de la première élection du président de la République au suffrage universel, Pierre Dac se porte candidat à la magistrature suprême. Il crée un parti qu’il baptise le M.O.U., c’est-à-dire le Mouvement Ondulatoire Unifié, dont le cri de ralliement est : « Les temps sont durs, vive le M.O.U. »

Sous la pression des conseillers du général de Gaulle, que ce canular n’amuse pas du tout, Pierre Dac va se retirer en expliquant ainsi sa décision : « Jean-Louis Tixier-Vignancourt se présente au nom de l’extrême droite. Dans la course à l’Élysée, il y a désormais plus loufoque que moi, je n’ai plus la moindre chance… »

Tout avait commencé par une conférence de presse à l’Élysée-Matignon, le restaurant-club où se retrouvaient alors les têtes d’affiche du Tout-Paris. Le candidat, accueilli par une marée de photographes, avait félicité les cuisiniers en train de faire griller des poulets avant de répondre, avec gravité, aux questions des journalistes présents.

— Comment allez-vous, monsieur le Président ?

— À part quelques troubles glandulaires et une légère ptose stomacale, je me porte bien. Tranquillisez-vous, je n’ai pas l’intention d’avaler mon bulletin de naissance avant d’avoir rendu le dernier soupir.

— Que pensez-vous, monsieur le Président, du ministère de l’Éducation nationale ?

— C’est un problème très important. Il entre dans mes intentions d’en créer un.

— Comment comptez-vous, monsieur le Président, régler le problème de la circulation ?

— Il s’agit là d’un dossier extrêmement épineux qui est actuellement à l’étude de Me Legrand-Schlem, notaire à Issoubly-sous-l’Huy, dans le département de la Meuse.

— Quel est, monsieur le Président, votre point de vue sur l’Europe ?

— À ce problème majeur, nous sommes en mesure d’apporter non pas une solution, mais la solution : l’Europe des Suisses. Je m’explique : ce petit État a de tout temps, et au travers des pires bouleversements, suscité et gardé la confiance et les capitaux du monde entier.

Nous considérons donc que c’est vers ce but idéal que doivent converger tous nos efforts. Certes, ne nous faisons pas d’illusions, l’Europe des Suisses n’est pas pour demain. Toutefois, une première étape peut, dès maintenant, être hardiment abordée. Pour préparer les peuples à cette grandiose idée, nous préconisons la création dans chaque pays à vocation européenne d’un territoire suisse dont l’emplacement exact sera déterminé, en toute indépendance, par les divers gouvernements favorablement responsables.

— Comment envisagez-vous, monsieur le Président, les rapports franco-allemands ?

— Il entre dans mes intentions de poursuivre jusqu’à ce qu’on la rattrape la politique de rapprochement franco-allemand avec, toutefois, une nuance restrictive : il nous paraît indispensable de veiller à ce que ce rapprochement, aussi souhaitable soit-il, ne prenne pas une tournure exceptionnelle susceptible de finir en un corps à corps, comme ce fut le cas à trois reprises en quatre-vingt-quinze ans.

— En quels termes êtes-vous avec les chefs d’État étrangers ?

— Étant donné que nous ne nous sommes jamais rencontrés, ils sont excellents et nos opinions sont en parfait état de concorde.

Le lendemain, il avait adressé au préfet de police la lettre lui permettant de solliciter officiellement une place de président de la République. En dépit d’une légende qui prétend que la France est le pays de la courtoisie, ce courrier était demeuré sans réponse…

Monsieur le Préfet,

Ayant appris d’une manière fortuite, quoique fort honorable, qu’il y aurait peut-être prochainement une place vacante à la Présidence de la République, j’ai l’honneur, par la présente, de solliciter de votre haute bienveillance l’octroi de cette place que je me sens capable de remplir à votre entière satisfaction et au mieux des intérêts de votre maison.

Je tiens à votre disposition un curriculum vitae détaillé, ainsi que les certificats des maisons qui m’ont employé, d’où je suis toujours parti de mon plein gré et libre de tout engagement.

Je vous signale, à toutes fins utiles, que je possède un habit, une jaquette, un complet-veston croisé et que je porte avec une certaine désinvolture le chapeau claque, le bicorne et la chéchia.

Je vous serais fort obligé de bien vouloir me fixer un prochain rendez-vous afin que nous puissions débattre les conditions.

En l’attente d’une prompte réponse, je vous prie d’agréer, Monsieur le Préfet, ainsi que votre dame, l’assurance de ma parfaite considération sans préjudice de mes salutations distinguées et de mes civilités empressées.

À tout hasard, il avait même préparé un discours type, susceptible d’être prononcé n’importe où et n’importe quand, mais pas par n’importe qui…

Messieurs,

Les circonstances qui nous réunissent aujourd’hui sont de celles dont la gravité ne peut échapper qu’à ceux dont la légèreté et l’incompréhension constituent un conglomérat d’ignorance que nous voulons croire indépendant de leurs justes sentiments.

L’exemple glorieux de ceux qui nous ont précédés dans le passé doit être unanimement suivi par ceux qui continueront dans un proche et lumineux avenir un présent chargé de promesses que glaneront les générations futures délivrées à jamais des nuées obscures qu’auront en pure perte essayé de semer sous leurs pas les mauvais bergers que la constance et la foi du peuple en ses destinées rendront vaines et illusoires.

C’est pourquoi, messieurs, je lève mon verre en formant le vœu sincère et légitime de voir bientôt se lever le froment de la bonne graine sur les champs arrosés de la promesse formelle enfouie au plus profond de la terre nourricière, reflet intégral d’un idéal et d’une mystique dont la liberté et l’égalité sont les quatre points cardinaux en face d’une fraternité massive, indéfectible, imputrescible et légendaire.

NOUVELLES DE PARTOUT ET D’AILLEURS

L’Os à moelle ressemblant à tous les autres journaux d’informations, il était normal que Pierre Dac évoque, dans chaque numéro, les grandes informations de notre petit monde et les petites informations de notre grand monde. Et réciproquement.

De Paris :

Hier après-midi, vers 15 h 30 environ, au rayon de blanc d’un grand magasin printanier de la rive droite où elle était allée, de confiance, acheter les yeux fermés, mademoiselle Marie-Louise Basdufiacre, hôtesse d’accueil à l’Institut médico-légal, a sauté sur une occasion qu’elle n’avait pas vue, et pour cause. Affreusement déchiquetée, la malheureuse a expiré avant même d’avoir eu le temps de rendre le dernier soupir.

* * *

Le nommé Antonin Michazéreau, speaker en titre à la S.N.C.F., vient d’écoper de trente jours de mise à pied pour avoir, en complet état d’ivresse manifeste, annoncé au buffet de la gare de Lyon et à la cantonade : Les voyageurs pour la Belgique, le Luxembourg, la Hollande, l’Allemagne, la Norvège, la Suède, la Finlande et le Danemark sont priés de s’adresser à une autre gare, c’est pas ici.

L’HEURE DE LA SEMAINE

Lundi, à 15 heures et au quatrième clop de midi moins le quart, il sera exactement : mercredi 18 h 35. Pour les autres heures, veuillez vous reporter à votre montre habituelle.

ATTENTION AUX FAUX BILLETS

Des faux billets de dix francs sont actuellement en circulation. La contrefaçon est presque parfaite, mais, heureusement, quelques légers détails les signalent à l’attention d’un œil exercé.

Voici quelques-unes des particularités révélatrices :

1° Les faux billets ont un format sensiblement double de celui des vrais.

2° Il y a un zéro de trop au chiffre dix, et le mot finances est écrit avec deux T au lieu d’un.

3° Les allégories représentant Minerve et Mercure sur les vraies coupures sont remplacées sur les fausses par une scène de la vie des champs décrivant les difficultés qu’éprouve un plombier-zingueur malgache pour se confectionner un sandwich à la gabardine.

Pour finir, et pour ceux dont l’œil n’aurait pas toute l’acuité nécessaire à la perception d’aussi infimes détails, ajoutons qu’il suffit de faire brûler les billets douteux pour être fixé sur leur authenticité.

En effet, le tirage a été exécuté sur papier d’Arménie dentelé.

LA STATISTIQUE

Voici les chiffres communiqués par les services de la statistique et intéressant la période comprise entre le 2 juillet et le 4 septembre :

543 285 ; 6 282 826 ; 1 285 938 743. 601 ; 601 ; 602 ; 603 ; 604 ; 605 ; 106 ; 206 ; 306 ; 406 ; 506 ; 983 ; 882 ; 780 ; 680 ; 579.

Nous ne savons pas du tout à quoi se rapportent ces chiffres, mais nous sommes heureux de les communiquer à nos lecteurs qui auront ainsi toute latitude de les adapter suivant leur goût ou leur appréciation…

CIRCULATION

Le ministère de l’Intérieur nous prie de porter à la connaissance du public l’avis suivant :

« À partir du 18 juillet, les trottoirs d’en face devront être, sans exception, situés de l’autre côté de ceux auxquels ils font vis-à-vis. »

REMISE DE DÉCORATIONS

De Limoges. — Par fil à fil spécial.

Une émouvante et bien réconfortante cérémonie s’est déroulée dans la cour d’honneur d’une importante fabrique de la ville où, hier matin, il a été procédé à une grande et solennelle remise de décorations à certaines porcelaines citées à l’ordre de la vaisselle.

Ont été décorées :

225 assiettes creuses,

642 assiettes plates,

43 saucières,

9 plats à poisson,

9 soupières,

64 services à café

et de nombreuses soucoupes et tasses de thé. Nos sincères félicitations aux heureux récipiendaires et à leurs familles.

OS À MOELLE

Le 13 mai 1938 paraît le premier numéro de L’Os à moelle présenté par son rédacteur en chef comme « l’organe officiel des loufoques ». Cent huit semaines durant, jusqu’au 31 mai 1940, date de l”entrée des Allemands dans Paris, Pierre Dac va réaliser quatre grandes pages diffusées, chaque vendredi, à quatre cent mille exemplaires, dans les familles, les cours de lycée et les casernes. Un record absolu dans l’histoire de la presse d’avant-guerre ! Une aventure qui, dans une logique n’ayant rien de loufoque, a débuté par un éditorial désormais historique, sobrement intitulé : « Pourquoi je crée un journal ».

Depuis quelque temps, on sentait que quelque chose allait se produire : chacun avait comme une sorte de pressentiment, une espèce de vague prescience d’événements définitifs : c’était impalpable, aérien, imprécis, volatil et cependant presque concret dans sa fluidité embryonnaire ; les gens respiraient difficilement, oppressés par cette attente dont on sentait qu’elle se raccourcissait à mesure qu’elle s’allongeait : les nerfs se tendaient à tel point que nombre de ménagères faisaient sécher le linge dessus pour leur faire prendre patience.

Et puis, un soir, un trou se produisit dans le voile des nuées de l’avenir : mes camarades et moi-même, réunis dans l’arrière-salle du Grand Café des Hémiplégiques Francs-Comtois, eûmes soudain la révélation de ce que le monde attendait de nous. Nous n’avions plus à hésiter ; notre devoir était tout tracé et la porte de l’espoir s’entrouvrait à deux battants sur la fenêtre donnant sur la route de l’optimisme et de la bonne humeur : l’idée, la grande iDée avec un grand D était née, L’Os à moelle était virtuellement créé.

Cependant je vous dois quelques explications, car je ne doute point que d’aucuns esprits subtils et retors ne vont pas manquer de me demander le pourquoi des raisons qui ont milité en faveur de ce titre L’Os à moelle. Pourquoi L’Os à moelle ?

Ce titre, L’Os à moelle, est véritablement l’expression synthétique de nos buts et de nos aspirations. C’est tellement facile à comprendre que je juge parfaitement inutile de donner des explications qui ne feraient qu’embrouiller la chose comme par laquelle je vous expose la clarté de nos intentions.

N’oublions pas, en outre, que l’os à moelle fait partie intégrante de notre patrimoine et qu’il remonte à une antiquité qui n’a son équivalent que dans les temps les plus reculés. De tout temps, l’os à moelle a été vénéré et son influence astrale reconnue par les personnalités les plus marquantes telles que Nicolas Flamel, Pichegru et Jules Grévy.

Au temps des Gaulois, le fameux gui qu’adoraient ces derniers n’était autre que l’os à moelle qui, à l’époque, n’était pas encore passé du règne végétal au règne minéral : les campagnes celtes verdissaient à l’ombre des ossamoelliers, au pied desquels les comiques en vogue chantaient leurs plus désopilants refrains dont l’un des plus célèbres : Le druide a perdu son dolmen, est parvenu jusqu’à nous.

Au cours des siècles, l’Os à moelle subit de nombreuses métamorphoses et même une éclipse totale sous la Révolution française : aujourd’hui, nous assistons à son apothéose et à sa cristallisation définitive sous la forme du présent journal.

Voilà pourquoi, amis lecteurs, nous avons choisi ce titre : L’Os à moelle ! Nous tâcherons de nous en montrer dignes et de le maintenir sur le chemin du sourire et de la saine plaisanterie ; nous éviterons évidemment toute bifurcation politique, car nous voulons bien être loufoques mais pas fous.

Vous savez tout maintenant ; il ne me reste plus qu’à souhaiter à notre journal tout ce que nous pouvons lui souhaiter afin qu’il puisse accomplir l’œuvre à laquelle il est dévolu dans une atmosphère propre à regrouper les bonnes volontés éparses dans un climat dont l’indé-fectibilité ne le cédera qu’à une euphorie sereine, indélébile et entièrement prise dans la masse.

POÉSIE

Amoureux de la littérature en général et de Victor Hugo en particulier, Pierre Dac s’est amusé, en 1938, à parodier un poème célèbre, Après la bataille. Depuis, d’innombrables lycéens ont récolté un zéro pointé en récitation pour avoir involontairement déclamé ce qui suit, à la place du texte réclamé par leur professeur.

APRÈS LA BATAILLE

Mon père, cet anchois au sourire andalou,
Suivi d’un nénuphar qu’il aimait entre tous
Pour son faux col vert neige fait en pierre de taille,
Parcourait en nageant la foire à la ferraille,
Où se tenaient, pensifs, des melons accroupis…
Soudain, son gros orteil crut percevoir des cris…
C’était un hérisson voltigeant sur la route,
Qui brûlait son chandail pour mieux casser la croûte,
En criant : « Un chou-fleur pour cirer mes souliers !..
Ou bien un bec de gaz pour me laver les pieds !.. »
Mon père, ému, tendit au nénuphar fidèle
L’obélisque à vapeur où trempait sa bretelle
Et dit : « Mouche la jambe à cet oiseau blessé,
Et brûle-lui l’œil droit avec un fer glacé. »
À ce moment précis, surgissait du Rat Mort,
En marchant sur les mains, un boa constrictor
Qui lança sur mon père sa veste en alpaga.
Le coup passa si près qu’un hareng se noya,
Et qu’un éléphant blanc tomba dans sa soupière.
« Hurrah ! » cria mon père, se mordant la paupière.

LA LINOTTE

Écrit en 1952, ce texte poético-loufoque a presque aussitôt été enregistré par Fernandel. Un disque devenu quasiment introuvable, passionnément recherché par les collectionneurs.

« Née des amours du Rhône et de la Saône, la Linotte, charmante petite rivière, prit sa source, par un clair matin d’avril, au pied de la colline de Fourvières, sous le saint patronage de Notre-Dame du même nom sanctifié. Toutes les divinités lacustres et fluviales de la région étaient présentes à sa naissance et les plus heureux présages semblaient présider à sa destinée.

Ses premières années s’écoulèrent douces et tranquilles.

Son père, le Rhône, établit, en aval de Lyon, un barrage pour que l’eau dont elle était nourrie fût exempte d’impuretés et de souillures.

Gâtée et dorlotée par sa mère, la Saône, elle devint vite un adorable petit ruisselet, puis un ravissant ruisseau qui faisait l’admiration de tous et de toutes.

Petit ruisseau deviendra grand, lui murmurait parfois le vent par les chaudes soirées d’été. En effet, elle grandit et, de ruisseau, un beau jour, devint rivière. Ah ! la délicieuse petite rivière que la Linotte ! Et comme son nom lui allait bien !

Gracieuse, fine, claire, limpide, avec un teint transparent et délicat qui lui donnait un aspect d’infinie pureté.

… Un peu étourdie, aussi…

Elle s’allongeait paresseusement, s’étirait, serpentait à travers les vignes, s’arrêtant parfois sur un banc de galets pour s’offrir à la caresse du soleil qui la faisait miroiter de mille feux étincelants. Les peupliers, au passage, lui faisaient signe de leurs basses branches, les roseaux se penchaient tendrement sur elle et les saules pleuraient des larmes de joie et d’émotion en la voyant si joliment couler.

Bref, sautant, caracolant, courant, malgré la défense de ses parents, après les libellules et les papillons, sous l’œil indulgent des ajoncs, car on sait que les ajoncs sont de braves joncs.

La nuit, la lune lui prêtait, pour jouer, ses plus beaux reflets d’argent et n’omettait jamais, en s’en allant, de lui laisser un grand croissant pour son petit déjeuner.

La brise et le zéphyr venaient lui murmurer les beaux refrains qu’ils avaient rapportés de leurs lointains voyages.

Et puis, un jour qu’elle avait fait une course plus longue que d’habitude, elle aperçut, au détour d’un rocher, un magnifique torrent qui dévalait à toute allure. Le flot battant, elle s’arrêta net dans sa course, le courant coupé. Ce fut le coup de foudre !

Et la nuit suivante, le beau torrent vint la rejoindre dans son lit… Il la quitta au matin, sur la promesse de confluer légalement avec elle. Hélas ! Promesse de torrent, autant en emporte le vent ! Il disparut et la pauvre petite Linotte, inconsolable, se mit à dépérir… Elle devint trouble, grise, puis verte et se dessécha peu à peu… Des traînées de sable, de vase apparurent. Des rides, des plis, des sillons flétrirent sa surface jadis si limpide, si translucide…

En vain, ses parents lui donnèrent-ils leurs plus beaux poissons, elle n’y prêta même pas attention. En vain, son oncle, le Gave d’Oloron, lui envoya-t-il ses plus belles pierres… elle s’étiolait de plus en plus. Et puis, un soir d’hiver, comme ivre de désespoir, elle sortit de son lit, malgré le froid glacial, et fonça droit devant elle.

Ecumant de souffrance, rugissant comme une lionne blessée, elle emporta tout sur son passage : troncs d’arbres, ponts, barrages, tout fut balayé comme fétu de paille…

Son père, le Rhône, fit un crochet pour tenter de lui couper la route ; elle se cacha au creux d’une vallée, bondit par-dessus les canaux, se cogna dans une écluse, fit demi-tour, repartit en sens inverse et arriva enfin en vue de l’Atlantique. Tous les cours d’eau, alertés par les sirènes et les tritons, se mirent à sa poursuite…

Trop tard !

La Linotte, en une ruée sauvage, se jeta dans l’Atlantique, qui l’engloutit à jamais…

Le Rhône et la Saône prirent le deuil et se couvrirent de brouillards épais.

Longtemps, leurs flots demeurèrent noirs et les bateliers se signaient en les entendant gronder de douleur…

Et parfois, en mer, quand les bateaux de pêche sont au large, un marin étonné s’écrie : Curieux, ça, y a plus de courant ici, on dirait qu’on est sur de l’eau morte.

Eh oui, brave pêcheur, de l’eau morte !..

C’est l’âme de la petite rivière qui, de temps en temps, remonte à la surface pour rappeler aux humains trop sceptiques qu’on peut encore mourir d’amour… »

QUESTIONS ESSENTIELLES

À l’éternelle et triple question, toujours demeurée sans réponse : « Qui suis-je, d’où viens-je, où vais-je ? », le philosophe Pierre Dac a répondu : « Je suis moi, je viens de chez moi et j’y retourne. » Mais, à travers chroniques et éditoriaux, il s’est également penché sur d’autres questions presque aussi essentielles…

L’ESCLAVAGE N’EST PAS MORT

Je croyais jusqu’à ces temps derniers, et sur la foi des conquêtes sociales issues de la Révolution française, que l’esclavage était aboli.

Naïve était ma candeur et saugrenue ma puérile confiance. Il n’en est rien : l’esclavage subsiste toujours, d’une manière particulière, certes, mais néanmoins agissante et positive.

Ce qu’il y a d’effrayant, c’est que cette forme d’esclavage s’étale cyniquement, publiquement, au grand jour, sans même se donner la peine de se dissimuler.

Je pensais sincèrement n’avoir jamais à reprendre la plume pour protester contre de pareilles pratiques que j’étais en droit d’estimer définitivement révolues. La dernière croisade que j’entrepris dans cet ordre d’idées remonte à un an et demi environ ; j’écrivis à cette époque un virulent article intitulé : « Libérez les ballons captifs ». Tous les hommes de cœur, y compris ceux de trèfle et de carreau, m’encouragèrent dans cette campagne, car, comme moi, ils avaient compris la honte qui rougissait le front de la société responsable du maintien dans un honteux servage de malheureux ballons auxquels il manquait la parole pour se défendre et faire prévaloir leurs droits à l’égalité de traitement avec les autres ballons.

Satisfaction me fut donnée ; il n’y a plus de ballons captifs ; seules subsistent des saucisses reliées au sol par des cordes. Mais il y a aussi loin d’une saucisse ficelée à un ballon captif que d’un harmonium à un chapeau Cronstadt.

Et voilà que ça continue ! Et voilà qu’il me faut repartir en guerre contre d’abominables abus ! Car, citoyens, il y a encore des taxis qui ne sont pas libres ! En pleine démocratie ! En plein épanouissement de la civilisation !

C’est comme j’ai la douleur de vous le dire ; je me suis livré à une enquête très serrée ; à diverses reprises, j’ai hélé un taxi, et non pas une fois, mais dix, le chauffeur m’a répondu en baissant la tête et son drapeau : « Pas libre. » Le malheureux, en proférant ces mots, semblait accablé par le poids d’un immense chagrin et ses yeux me faisaient comprendre à mi-voix l’injuste arbitraire d’une pareille situation.

Eh bien ! non, ça ne continuera pas ! Il faut que ce scandale cesse ! Qu’au temps du Moyen Age il y ait eu des taxis pas libres, ça s’explique ; mais pas maintenant. Il faut que les Chambres se réunissent au plus tôt en séance publiquement secrète ou secrètement publique, à leur choix ; il faut qu’elles votent de toute urgence une loi accordant la liberté totale, pleine et entière, aux taxis. Nous voulons, nous exigeons que cette réforme soit effectuée dans les quarante-huit heures ; nous voulons que, lorsque nous appellerons un taxi et que nous demanderons au chauffeur : « Êtes-vous libre ? » celui-ci puisse nous répondre fièrement : « Oui, je le suis ! »

Et ce « oui, je le suis » sonnera comme une clameur de triomphe et comme une revanche inéluctable sur un passé périmé qui ne doit plus renaître.

Alors, quand à nos oreilles ne résonnera plus ce lamentable « pas libre », quand les drapeaux des taxis flotteront audacieusement au vent et que les compteurs ne compteront plus que sur eux-mêmes, alors, mais alors seulement, nous pourrons être fiers d’être les fils d’une démocratie qui, à ce moment, pourra hautement se vanter d’être la belle-sœur par alliance de la République et de son indéfectible destin.

Libérez les taxis ! À bas l’esclavage !

Tout le monde doivent être égaux !

GRANDEUR ET DÉCADENCE DU SALSIFIS FRIT

Sic transit ! Ainsi va la vie ! À quoi tient la gloire ? À peu de chose, et le philosophe a raison qui dit : « Quand les cent bouches de la renommée se taisent, ça fait plus de bruit que lorsqu’elles parlent ! » Fragilité des choses d’ici-bas ! Enfin, rien ne sert d’épiloguer à perte de temps, mais il est cependant difficile de demeurer insensible devant l’étrange destinée du salsifis frit. J’entends d’ici, aussi bien que si je n’y étais pas, de graves personnages s’écrier : « Est-ce bien le moment de s’occuper de pareilles billevesées ? » Notre souci d’impartialité et d’objectivité constitue à lui seul la meilleure réponse aux insinuations malveillantes ; si, aujourd’hui, j’ai cru bon de m’occuper du salsifis frit, c’est que je sais les répercussions qu’il peut avoir sur notre économie générale.

Gambetta lui-même, qui n’était certes pas homme à jouer à la marelle au sein de l’Assemblée nationale, n’a-t-il pas écrit : « Quand le salsifis frit décroît, le peuple s’effrite «  ?

Je viens de passer quelques nuits à relire attentivement l’histoire du salsifis frit ; je conseille à tous mes concitoyens d’en faire autant, car elle est particulièrement édifiante. Les faits sont là, probants, irréfutables, et la conclusion qui s’en dégage est la suivante : « Un gouvernement qui n’a pas de politique du salsifis frit n’a aucun espoir d’arriver à ses fins. »

Chez les Phéniciens, le salsifis frit était révéré au même titre que le bœuf Apis chez les antipodistes. Au Mexique, récemment encore, c’est lui qui remplaçait le gui porte-bonheur à l’époque des grandes marées de demi-saison, et bien rares sont ceux qui n’ont point conservé dans un repli de leur mémoire le souvenir de la charmante « Ballade du salsifis frit » de Paul Pons et Raoul le Boucher ; les premières strophes chantent encore à mes oreilles ; je ne puis me retenir de les citer :

Ô salsifis !
Salsifis frit
Honneur à qui
Même sale s’y fie
Frit !

Quelle tendresse, quelle poésie bucolique en ces quelques vers emplis d’une émotion contenue ! Hélas ! le salsifis frit ne jouit plus de la grande faveur du public ; les jeunes générations, si elles ne l’ignorent pas encore complètement, ont une fâcheuse propension à s’en désintéresser.

Aussi je pense que ce n’est qu’accomplir petitement mon devoir que d’attirer l’attention de nos gouvernants sur cette grave question pendant qu’il en est temps encore. Nous ne demandons pas, évidemment, la création d’un ministère du Salsifis frit ; ce n’est certes pas le moment pour l’État de se mettre de nouveaux frais sur les reins ; mais, dans un pur esprit de désintéressement, animés seulement par l’amour du bien public, mes camarades et moi nous nous déclarons tous prêts à nous occuper bénévolement de l’institution d’un Office du salsifis, moyennant simplement un honnête émargement budgétaire dont nous fixerons le taux d’un commun accord et suivant les circonstances.

Il nous faut une politique du salsifis frit ; les États totalitaires n’en ont pas : c’est ce qui causera leur perte ; profitons-en ; qu’on nous fasse confiance ; notre plan est à pied d’œuvre et nos responsabilités prêtes à être assumées ; nous n’attendons qu’un signe de « ces messieurs » pour entrer en action. Qu’il ne tarde pas trop, sans quoi, dépassés par les événements, nous ne pourrons que déplorer les conséquences indépendantes de notre volonté, dont le résultat sera la faillite de l’esprit démocratique et l’asservissement latéral de la liberté dirigée.

ROMAN POLICIER

Au début des années cinquante, le roman policier américain envahit la France. Le succès des premières « Série Noire », une collection créée par Marcel Duhamel, donne l’idée à Pierre Dac d’écrire à son tour, un « polar » particulièrement haut en couleur…

Quelques extraits du dernier roman policier inédit du célèbre écrivain anglo-saxon, JAMES DANIEL HO HOM HASS GUESCHI :

PASSE LA POGNE MINIATURE

Traduit de l’américain et en correctionnelle par Slalom Jérémie Menerlache.

Prologue

Johnny Cannaghan, le célèbre détective privé reçoit un jour un étrange coup de téléphone d’un mystérieux inconnu qui lui donne rendez-vous dans la pièce à côté.

Méfiant, Cannaghan laisse tomber et, se faisant passer pour son propre beau-frère, il entre en rapport avec un nommé Dick Slogan, dont la sœur Judy est la maîtresse de Jack Leggins, le chef du gang des tractions à turbine de sinistre réputation. C’est à ce moment qu’intervient un certain Pedro y Gomez y Rodriguez y Gonzalès y Ramirez y Tirlachassdeau, entrepreneur de raz de marée au service d’une puissance étrangère dont la fille Dolorès entre au couvent par une porte et sort par l’autre.

Chapitre XXIII

Johnny Cannaghan est assis à son bureau. Son mâle visage porte les stigmates de la fatigue mais, toujours élégant, il a les traits tirés à quatre épingles.

Bérénice, sa secrétaire, se tient debout devant lui avec, sous le bras, une serviette-éponge bourrée de documents.

— Vous n’avez besoin de rien ? lui dit-elle.

— Non, merci.

— Très bien, je vous l’apporte tout de suite.

Et elle sort en fredonnant la dernière scie en vogue à Broadway : Si tu n’en veux pas, j’la remets dans mon blue-jeans, ça ne mange pas de biscottes.

Chapitre XVI

Deux heures plus tard.

Johnny Cannaghan pénètre à pas feutrés dans la villa « My good love snack », ce qui en français et en hébreu peut se traduire par Montre-moi ton lino je te ferai voir ma moquette

Promenant dans l’ombre le faisceau lumineux de sa torche électrique, il découvre, tapie dans une encoignure, sa secrétaire Bérénice.

— Qu’est-ce que tu fous là ? dit-il.

— Je prépare mon trousseau.

— Personne dans la maison ?

— Si.

— Qui ?

— Vous et moi.

Chapitre 203

Johnny Cannaghan arpente nerveusement son bureau et ronge son frein à un tel degré qu’il a fallu à trois reprises en changer la garniture.

— Une fille qui vous demande, annonce Bérénice.

— Fais-la entrer !

La fille, c’est Judy, la maîtresse de Jack Leggins, un beau châssis avec des pare-chocs où il faut.

— Hello ! fait Johnny, qu’est-ce qui t’amène ?

— Un taxi.

— Je vois. Et alors ?

— Johnny, y a longtemps que je voulais te le dire, je t’ai dans les hormones !

— Non !

— Si, j’en ai marre de Jack Leggins et si tu veux l’avoir, je peux te dire où il est.

— C’est bon. On verra. Seulement, je te préviens, si jamais t’essaies de me doubler…

— Oh ! Johnny, tu me connais mal et il ne tient qu’à toi de me connaître davantage…

— Ça va, on en reparlera !

— Johnny, reprend-elle, tu ne veux pas que… Nous deux ?

— C’est pas le moment, dit-il, se dégageant.

— Oh, tu sais, fait-elle, vexée, c’est pas tellement pour la bagatelle, c’est plutôt histoire de prendre quelque chose avant de sortir.

Dans une pinède, en Californie.

Cannaghan, pour feinter Jack Leggins, a posté un peu partout des hommes à lui, camouflés les uns en nouveau-nés qui se portent mutuellement sur les bras, les autres en pins maritimes.

Un de ces derniers porte un bracelet-montre à une basse branche. Cannaghan s’en approche et dit :

— Vous êtes un vrai pin ou un faux pin ?

— Je suis un faux pin, répond le pin. Je suis l’inspecteur Eggs and Bacon qu’on a peint en pin, suivant vos instructions.

— En somme, constate Johnny, vous êtes un pin peint ?

— À vos ordres, fait le pin, en essuyant la résine qui coule de son front.

Chapitre 205

À Londres, dans Soho, le quartier des mauvais garçons de la capitale britannique.

Un brouillard d’une exceptionnelle densité enveloppe la ville d’un angoissant linceul. Pas un bruit ne trouble cette atmosphère de cauchemar dans laquelle tout s’estompe, se confond, se dilue visqueusement.

Tout à coup, à l’angle de Schpoutzmoutz Street et de Jibremol Gardens, un cri terrible retentit, lugubrement et mystérieusement étouffé.

Qui donc avait poussé ce cri ?

Qui ? Qui ? Qui ?

C’était un homme qui, trompé par la brume et n’y voyant strictement rien, venait de se moucher avec le nez d’un autre, en croyant que c’était le sien.

Chapitre 146

À proximité d’un pavillon isolé au milieu d’un pâté de maisons en croûte, Johnny Cannaghan est à l’affût dans un champ grégorien, derrière une baie steeple-chase.

Le silence est absolu, total, inquiétant. Puis, des chuchotements, des craquements, des pas furtifs. Cannaghan, alerté, les muscles tendus, se ramasse sur lui-même d’abord puis dans le caniveau, car un type vient de lui placer une droite capable de mettre à gauche tout ce qu’il avait devant lui.

Chapitre 11

Le même soir, dans la banlieue de Brooklyn, près d’un pont de chemin de fer qui enjambe le canal.

L’endroit, sinistre, est complètement désert. Deux policiers en uniforme font une ronde en se tenant par la main.

— Sale coin ! fait le premier.

— À qui le dites-vous, fait le second.

— Mais à vous, mon vieux, puisque il n’y a personne d’autre.

Soudain, un brutal coup de frein, le bruit d’une portière qu’on claque, une rafale de mitraillette, et un corps violemment projeté atterrit à leurs pieds.

— Oh, oh ! fait le premier, les macchabées volent bas ce soir.

— Oui, signe d’orage, fait le deuxième.

— Y a un papier épinglé sur la poitrine du type !

— Voyons. Oh ! Oh ! Quelque chose d’écrit…

— Quoi donc !

— Voyez vous-même : Zut pour celui qui le lira.

Écœurés, les deux hommes s’éloignent et s’enfoncent respectivement, l’un dans la nuit et l’autre un clou dans la fesse droite.

Voilà. Et maintenant, repos pour le suspense, vacances pour la bagarre, assez d’émotions fortes pour aujourd’hui et la suite à un de ces jours…

SCHMILBLICK

À l’inverse d’une idée reçue, le « Schmilblick » n’a pas été inventé par Coluche ou par Guy Lux. Au début des années cinquante, Pierre Dac, d’origine alsacienne, donne naissance à ce mot en même temps qu’à l’extraordinaire invention des frères Jules et Raphaël Fauderche…

« C’est dans la nuit du 21 novembre au 18 juillet de la même année que les frères Fauderche ont jeté les bases de cet extraordinaire appareil dont la conception révolutionnaire bouleverse de fond en comble toutes les lois communément admises tant dans le domaine de la physique thermonucléaire que dans celui de la gynécologie dans l’espace.

Voici les principales caractéristiques de cette géniale invention.

Le Schmilblick des frères Fauderche est rigoureusement intégral, en ce sens qu’il peut à la fois servir de Schmilblick d’intérieur, grâce à la taille réduite de ses gorgomoches, et de Schmilblick de campagne grâce à sa mostoblase et à ses deux glotosifres qui lui permettent d’urnapouiller les istioplocks même par les plus basses températures.

L’un des principaux éléments du Schmilblick est la papsouille à turole d’admission qui laisse passer un certain volume de laplaxmol, lequel, comme nul ne l’ignore, n’est autre qu’un combiné de smitmuphre à l’état pur et de roustimalabémol sulsiphoré. Le laplaxmol, après avoir été soumis à un courant polyfoisé de l’ordre de 2 000 spickmocks exactement — moins, ce ne serait pas assez, plus ce serait trop —, se transforme alors en troufinium filtrant, non pas à l’état métalbornique, ce qui serait non seulement ridicule, mais encore totalement inopérant, mais bel et bien à l’état guilmanuré, d’où formation de gildoplate de raboninite, élément neuromoteur et fondamental du Schmilblick.

La mise en marche du Schmilblick est, vous allez en juger, d’une déconcertante facilité puisqu’elle s’opère par simple rivaxion de la rabruche.

Automatiquement, le flugdug — le flugdug métranoclapsoïdique, naturellement, autrement, ça n’aurait aucun sens —, le flugdug, donc, entraîne, par le jeu de sa liquemouille et de ses trois spodules, le bournoufle du grand berdinière, qui faisant pression sur la rutole de sibergement libère la masse des zavaltarépodes, lesquels poussent le clampier dans la direction du viret d’alcalimon. Jusqu’à ces derniers temps, il y avait à ce stade un risque permanent de calcifrage par suite du passage du flagdazmuhl dans le calcif du propentaire de nortification.

Or, il a suffi aux frères Fauderche de brancher un simple schpatzinock du commerce sur le bidule d’échappement et deux pepsoïdaux clatinomalfoireux sur l’artimon préférentiel pour placer le Schmilblick en position idéale d’évernescence pornogyrotringloïdale, d’où élimination radicale et radicale-socialiste de tout risque d’accident — plus de saturation par accumulation des gaz splélémétriques, désormais fulmiférés par le lavalnaplage électronique des onazbiplucks, plus d’autogaltralaminage puisque l’utilisation rationnelle, dans les clangons paphomoteurs de la force extraphalzaroïdique, laquelle, comme nul ne l’ignore, est proportionnelle au carré des ondes talardinconcentriques.

Tel est, dans ses lignes essentielles, le Schmilblick de Jules et Raphaël Fauderche, que les plus hautes autorités scientifiques internationales s’accordent à reconnaître, non seulement comme la plus étonnante découverte de tous les temps, mais encore et surtout comme la seule panacée possible au sein d’une humanité klakmufément rénovée dans le cadre grandiose d’une civilisation schnapso-pifotroniquement et schmilblickement pacifiée. »

THÉÂTRE

Incollable sur le théâtre classique, le poète Pierre Dac s’est amusé, au début des années trente, à parodier Phèdre de Jean Racine. Adorant se déguiser, il a régulièrement interprété ce sketch dans un cabaret parisien, Chez Odett’, avec, à ses côtés, le maître des lieux, René Goupil, dit Odett’, ainsi que Fernand Rauzéna, son fidèle complice à la radio. Un monument de la loufoquerie devenu un classique.

PHÈDRE

PERSONNAGES

PHÈDRE

SINUSITE (1re servante de Phèdre)

PET-DE-NONNE (2e servante)

HIPPOLYTE

THÉRAMÈNE

LE CHŒUR ANTIQUE

LE CHŒUR ANTIQUE (gueulant)

Ô puissant Dieu des Grecs, je viens sous votre loi

Faire entendre en ces lieux ma douce et faible voix.

De Phèdre et d’Hippolyte au lourd passé de gloire

Je veux ressusciter la tragique mémoire…

Phèdre aimait son beau-fils, Hippolyte au cœur pur,

Qui lui ne voulait pas de cet amour impur.

Ce que vous entendrez ici n’est pas un mythe

Mais le récit vécu de Phèdre et d’Hippolyte.

(Le chœur antique sort et Hippolyte et Théramène paraissent.)

THÉRAMÈNE

Tu me parais bien pâle et triste à regarder

Qu’as-tu donc, Hippolyte ?

HIPPOLYTE

Je suis bien emmerdé !

THÉRAMÈNE

C’est un sous-entendu mais je crois le comprendre.

Va, dis-moi ton chagrin, je suis prêt à l’entendre.

HIPPOLYTE

Le dessein en est pris, je pars, cher Théramène,

Car Phèdre me poursuit de ses amours malsaines.

THÉRAMÈNE

Et Aricie alors ?

HIPPOLYTE

Ah ! Ne m’en parle pas !

Quand j’évoque la nuit ses innocents appas

J’ai des perturbations dedans la tubulure

Car cette Aricie-là je l’ai dans la fressure,

Elle est partout en moi, j’en ai le cerveau las,

J’ai l’Aride ici et j’ai l’Aricie là !

THÉRAMÈNE

Elle a pris je le vois et tes sens et ta tête…

HIPPOLYTE

Ah ! Je veux oublier le lieu de sa retraite !

THÉRAMÈNE

La retraite de qui ?

HIPPOLYTE

La retrait’ d’Aricie

Qu’elle sorte de moi ! Aricie la sortie !

(On entend une trompette jouer : As-tu connu la putain de Nancy…)

THÉRAMÈNE

Mais qui vois-je avancer en sa grâce hautaine ?

N’est-ce pas de l’amour la plus pure vision ?

C’est l’ardente sirène, la sirène des reines,

C’est Phèdre au sein gonflé des plus folles passions !

PHÈDRE entrant avec ses servantes

Oui, c’est moi, me voici. Tiens, c’est toi, Théramène ?

Que viens-tu faire ici ?

THÉRAMÈNE

Je venais, souveraine

Vous redire à nouveau mon récit tant vécu…

PHÈDRE

Ton récit je l’connais, tu peux te l’foutre au cul !

À l’écouter encor’ j’en aurais du malaise

Il y a trop longtemps que Théramèn’ ta fraise !!!

(Théramène, ulcéré, s’incline et sort. Phèdre voit Hippolyte.)

PHÈDRE

Hippolyte ! Ah ! Grands dieux, je ne peux plus parler

Et je sens tout mon corps se transir et brûler !

HIPPOLYTE

Ô rage ! Ô désespoir ! Ô détestable race !

PHÈDRE

Par Jupiter je crois qu’il me trait’ de pétasse !

SINUSITE

Laissez-le donc, maîtresse, il ne,veut point de vous !

PHÈDRE

Et moi j’en veux que j’dis, et j’l’aurai jusqu’au bout !

(À Hippolyte)

N’as-tu donc rien compris de mes tendres desseins ?

T’as-t-y tâté mes cuiss’s, t’as-t-y tâté mes seins ?

Ne sens-tu pas les feux dont ma chair est troublée.

HIPPOLYTE

C’est Vénus tout entière à sa proie attachée !

PHÈDRE

Oui, pour te posséder je me sens prête à tout !

Que veux-tu que j’te fasse ? Je suis à tes genoux…

Que n’ai-je su plus tôt que tu étais sans flamme…

HIPPOLYTE

Certes il eût mieux valu que vous l’sussiez, madame…

PHÈDRE

Mais je n’demand’ que ça !

HIPPOLYTE

De grâc’ relevez-vous…

PHÈDRE

Voyons tu n’y pens’s pas, je n’peux pas fair’ ça d’bout

HIPPOLYTE

N’insistez pas, madam’, rien ne peut m’ébranler.

PHÈDRE

Si t’aim’s pas ça non plus, j’ai plus qu’à m’débiner !

HIPPOLYTE

C’est ça, partez, madame, allez vers qui vous aime.

PHÈDRE

Par les breloqu’s d’Hercul’ je resterai quand même !

Ah ! Que ne suis-je assise à l’ombre des palmiers…

HIPPOLYTE

Et pourquoi donc, madame ?

PHÈDRE

Parc’que là tu verrais

Ce dont je suis capable et ce que je sais faire…

Je connais de l’amour quatre cent vingt-huit manières !

HIPPOLYTE

C’est beaucoup trop pour moi, madame, voyez-vous.

PHÈDRE

Dis, t’es pas un peu dingu’ ? Ça s’fait pas d’un seul coup !

Oui je sais distiller les plus rares ivresses…

C’est-y vrai, Sinusite et Pet-d’Nonne ?

LES SERVANTES (un peu gênées)

Oui, c’est vrai, chèr’ maîtresse…

HIPPOLYTE

Je ne serais pour vous d’aucune utilité

Je ne suis que faiblesse et que fragilité.

PHÈDRE

On n’te demande rien ! Je frai le nécessaire

T’as pas à t’fatiguer, t’auras qu’à t’laisser faire.

HIPPOLYTE

Le marbre auprès de moi est brûlant comme un feu…

PHÈDRE

J’suis pas feignant’ sous l’homme et j’travaill’rai pour deux !

HIPPOLYTE

Vos propos licencieux qui blessent les dieux mêmes

Point ne les veux entendre, c’est Aricie que j’aime.

PHÈDRE

Mais de quels vains espoirs t’es-tu donc abusé ?

Aricie est pucelle et n’a jamais…

HIPPOLYTE

Je sais !

Mais c’est cela surtout qui me la rend aimable…

PHÈDRE

Oui mais pour c’qu’est d’la chose elle doit être minable !

Allons, va, n’y pens’ plus et sois mon p’tit amant

Tu connaîtras par moi tous les enchantements !

HIPPOLYTE

De grâce apaisez-vous, je me sens mal à l’aise…

PHÈDRE

Viens, pour te ranimer j’te frai l’Péloponnèse !

HIPPOLYTE

Qu’est-ce encor’ que cela ?

PHÈDRE

C’est un truc épatant !

Ça s’fait les pieds au mur et l’nez dans du vin blanc

HIPPOLYTE

De tant de perversion tout mon être s’affole.

PHÈDRE

Ben qu’est c’que tu dirais si j’te f’sais l’Acropole.

HIPPOLYTE

Quelle horreur !

PHÈDRE

Comm’ tu dis ! Mais c’est bougrement bon…

Ça s’fait en descendant les march’s du Parthénon !

HIPPOLYTE

Prenez garde, madame, et craignez mon courroux !

PHÈDRE

C’est ça, vas-y Polyte, bats-moi, fous-moi des coups !

HIPPOLYTE

Vous frapper ? Moi, jamais, mon honneur est sans tache.

PHÈDRE

Mais y a pas d’déshonneur, moi j’aim’ ça l’amour vache…

Viens, tu s’ras mon p’tit homme et j’te donn’rai des sous…

HIPPOLYTE

Ah ! Que ne suis-je assis à l’ombre des bambous…

Je ne veux rien de vous, mon cœur reste de roche !

PHÈDRE (câline)

Qu’est-c’que tu dirais d’un p’tit cadran solaire de poche ?

J’te f’rai fair’ sur mesure un’ joli’ peau d’mouton

Et pour les jours fériés des cothurn’s à boutons…

HIPPOLYTE

Croyez-vous donc m’avoir en m’offrant des chaussures ?

C’est croire que mon cœur du vôtre a la pointure !

PHÈDRE

En parlant de pointure, si j’en juge à ton nez

Ell’ doit être un peu là si c’est proportionné !

HIPPOLYTE

Vous devriez rougir de vos propos infâmes

Vous me faites horreur, ô méprisable femme !

PHÈDRE

À la fin c’en est trop ! Mais n’as-tu donc rien là ?

HIPPOLYTE

Madame je n’ai point de sentiments si bas.

PHÈDRE

Les feux qui me dévorent ne sont pas éphémères…

Hippolyt’ je voudrais que tu me rendiss’s mère.

HIPPOLYTE

Ciel ! Qu’est-ce que j’entends ? Madame, oubliez-vous

Que Thésée est mon père et qu’il est votre époux ?

PHÈDRE

C’qui fait que j’suis ta mèr’, c’est pour ça qu’tu t’tortilles ?

Ben comm’ ça tout s’pass’ra honnêt’ment en famille.

HIPPOLYTE

Mais si de cet impur et vil accouplement

Il nous venait un fils, que serait cet enfant ?

PHÈDRE

Puisque je s’rais ta femme en mêm’ temps que ta mère

L’enfant serait ton fils en mêm’ temps que ton frère…

HIPPOLYTE

Et si c’était un’ fill’ qu’engendrait votre sein ?

PHÈDRE

Ta fill’ serait ta sœur et ton frèr’ mon cousin !

HIPPOLYTE

Ah ! Que ne suis-je assis à l’ombre des pelouses…

PHÈDRE

Tu parl’s ! Avec c’monde’là, qu’est-c’qu’on f’rait comm’ partouzes !

HIPPOLYTE

Assez, je pars, adieu !

PHÈDRE

Ah ! Funèbres alarmes,

Voilà donc tout l’effet que t’inspirent mes charmes ?

J’attirerai sur toi la colère des dieux

Afin qu’ils te la coupent !

HIPPOLYTE

Quoi, la tête ?

PHÈDRE

Non, bien mieux !

HIPPOLYTE

Vous êtes bien la fille de Pasiphaé !

PHÈDRE

Et toi va par les Grecs t’faire empasiphaer !

Sinusite et Pet-de-Nonne, venez sacrées bougresses,

Calmez mon désespoir, soutenez ma faiblesse…

PET-DE-NONNE

Elle respire à peine, elle va s’étouffer…

PHÈDRE

Ben, c’est pas étonnant, j’ai c’t’Hippolyt’ dans l’nez !

Je veux dans le trépas noyer tant d’infamie

Qu’on me donn’ du poison pour abréger ma vie !

SINUSITE

Duquel que vous voulez, d’l’ordinaire ou du bon ?

PHÈDRE

Du gros voyons, du roug’, celui qui fait des ronds.

Qu’est-c’que vous avez donc à m’bigler d’vos prunelles

Écartez-vous de moi !

(À Hippolyte)

Toi, viens ici, flanelle.

Exauce un vœu suprême sans trahir ta foi,

Viens trinquer avec moi pour la dernière fois.

(Les servantes apportent deux bols.)

À la tienne érotique sablonneux et casse pas le bol !

(Elle boit)

Ô Dieu que ça me brûl’, mais c’est du vitriol !

HIPPOLYTE boit

Divinités du Styx, je succombe invaincu

Le désespoir au cœur…

PHÈDRE

Et moi le feu au cul !

UTOPIE

À la fin des années cinquante, Pierre Dac est victime d’une grave dépression nerveuse. Selon son expression, il y a, en son for intérieur « quelque chose qui ne tourne pas rond dans le carré de l’hypothénuse ». À quatre reprises, il tente de mettre fin à ses jours. Heureusement, s’il sait jongler avec les mots, il est extrêmement maladroit de ses mains. La raison de sa déprime : le 28 octobre 1915, Marcel, son frère aîné, a été tué par les Allemands. Ce jour-là, Pierre a perdu toutes ses illusions sur l’espèce humaine. Il a alors commencé à bâtir, dans son imagination, un monde où, par exemple, on pratiquerait d’autres méthodes pour faire avouer les criminels.

LES AVEUX SPONTANÉS

— Alors, messieurs, c’est bien compris ? Pas de violences, pas d’énervement, pas de geste inconsidéré. Je ne tolérerai aucune défaillance. Et surtout, de la tenue, toujours de la tenue, encore de la tenue. Voyons un peu… Vous avez bien tous votre fleur à la boutonnière ? Bien. Rectifiez-moi ce nœud de cravate, il est de travers… Tournez-vous. Bon, qu’est-ce que c’est que cette pochette ?

— C’est une pochette-surprise, patron.

— Complètement déplacé, mon ami. Je ne veux pas de fantaisie intempestive… Vos mains maintenant. Eh bien, Euthymènes, pas de manucure cette semaine ?

— Je n’ai pas eu le temps, patron !

— Ce n’est pas une excuse. J’exige de mes inspecteurs qu’ils aient toujours des ongles impeccables et de la crème sur les mains. Tenez-vous-le pour dit. Et… Pas d’armes, j’espère ! Levez les bras… Eh bien, Tuculatum, qu’est-ce que ça signifie ? Une matraque ? Vous n’êtes pas un peu fou, non ?

— Mais, patron, je l’ai décorée avec des rubans et un bouquet de violettes !

— Oui, je sais, vous êtes un sentimental, mais, palsembleu, mettez-vous bien dans la tête, une fois pour toutes, que, quels qu’ils soient, tous les anciens procédés de passage à tabac et d’intimidation brutale sont définitivement et rigoureusement prohibés. Je n’y reviendrai pas. Eurydice, quelle heure est-il ?

— Moins dix, patron !

— Moins dix de quoi ?

— Je ne sais pas. Y a pas de petite aiguille à ma montre.

— Bon, alors, nous avons juste le temps, notre client ne va pas tarder. Euthymènes, arrangez les fleurs. Tuculatum, tamisez les lumières. Eurydice, branchez le pick-up… Un peu de musique douce, pour créer l’ambiance… L’ambiance est d’une importance capitale. La confiance par l’ambiance, c’est ma devise. Bon… tout est en ordre ? Parfait. Prêts ?… Alors, allons-y. Et n’oubliez pas qu’urbanité et civilité sont les deux mamelles des aveux spontanés… Saluons l’entrée de M. Jojo le Contagieux, directeur général du gang des tractions à vapeur… Bonjour, cher ami, quel bon vent vous amène ?

— C’est pas un bon vent, c’est la fin des haricots !

— Il est charmant ! Je me présente, commissaire Socrate, et voici les inspecteurs Eurydice, Euthymènes et Tuculatum. Permettez que je vous débarrasse de vos menottes et que je vous donne à la place un numéro de vestiaire… Voulez-vous une cigarette, un whisky, un gin-fizz, un dry Martini, un alexandra ?

— Je préférerais un bon coup de rouge.

— Ben voyons donc, qu’à cela ne tienne ! Une bouteille de chambolle-musigny pour notre invité…

— Moi, j’suis votre invité ?

— Evidemment… invité à dire la vérité.

— J’l’ouvrirai pas.

— Ne vous avancez pas trop ! Nous avons des moyens !

— Vous pouvez toujours y aller !

— Nous verrons ça plus tard. D’abord quelques petits renseignements : votre âge ?

— J’me rappelle pas !

— Curieux, ça, et comment ça se fait ?

— Ben, ça change tous les ans ; alors moi j’ai autre chose à faire que de tenir une comptabilité.

— Comme je vous comprends ! D’ailleurs on n’a que l’âge de ses artères.

— Ah ! J’suis pas au courant.

— Ça ne fait rien. Marié ?

— Ouais.

— Et que fait madame votre femme ?

— Elle se défend.

— Oui ? Et de quelle manière ?

— Elle est dans le commerce.

— Dans le commerce ? Quel commerce ?

— Ben… dans le commerce du… des… enfin, elle tient un clandé, quoi, une taule clandestine…

— Parfaitement, je vois… Pas d’enfants ?

— Si, une fille, elle est étudiante… Enfin, elle travaille avec sa mère. Ah, pas tout le temps, elle donne un coup de main les jours de presse. Elle arrive ces jours-là à faire du 22 à l’heure… Du 22 clients à l’heure naturellement. La semaine dernière, elle a expédié un bonhomme strictement de série, en 2’48"4/5e, pose, dépose, préparation, exécution et finition comprises…

— Jolie performance ! Tenez, Jojo, vous ferez parvenir ceci, de ma part, à votre charmante jeune fille, avec mes compliments et ma sincère admiration. Cela s’appelle « Soir de rafle » de chez Poulet… et ça sent bon !.. Parlons maintenant un peu de vous, mon cher Jojo, vous savez de quoi vous êtes accusé ?

— J’m’en cloque !

— Bien sûr, mais enfin, il est de mon devoir de vous le rappeler. Vous êtes accusé de l’attaque du vélo postal, de huit meurtres, quatre assassinats, dix-neuf cambriolages, un viol et deux contraventions pour défaut d’éclairage et stationnement illicite.

— J’suis pas au courant !

— Bien. Nous allons donc appliquer le premier degré. Inspecteur Euthymènes, à vous !

— Cher monsieur Jojo, au nom de l’amicale des Pèlerines roulées, voulez-vous me permettre de vous offrir ce coffret de douze cravates pure soie.

— Ah, ben alors, ah, ben alors ! C’est vachement chouette…

— Alors, Jojo, ces meurtres, ces vols, ces viols…

— J’suis pas au courant !

— Alors, désolé, deuxième degré, inspecteur Eurydice !

— M. le préfet de police se fait un plaisir de vous prier d’accepter cette boîte de cigares de La Havane, ainsi que la somme de 25 000 F pour vos œuvres.

— Ah ben, ça alors, fit Jojo, les mains tremblantes, en essayant de déglutir sans y parvenir parfaitement.

— Alors, Jojo, toujours pas au courant ?

— N… Non !

— Alors, troisième degré, inspecteur Tuculatum ?

— De la part de la Brigade cycliste féminine, ce chronomètre en platine et de la part de l’Association sportive des juges d’instruction, ce stylo et ce porte-mines en or 18 carats.

— Non, c’est trop ! hoqueta Jojo.

— Alors, Jojo ?

— Oui… Oui, c’est moi ! pour l’attaque du pédalo, le ratatinage et les cassements. D’accord, mais pour les deux contredanses, j’suis pas bon !

— Et le viol, Jojo, vous l’oubliez ?

— Ah ! la la ! Pas la peine d’en faire une terrine ! Ça, un viol ! Pas même une visite à la sauvette ! Je n’ai fait qu’entrer et sortir…

— Admettons… Mais ces deux contredanses ?

— Non, non, non et non ! C’est pas moi !

— Alors, tant pis, vous l’aurez voulu… Euthymènes, quatrième degré !

— Cher monsieur Jojo… permettez-moi de vous présenter Mlle Maria-les-Doigts-Souples, qui brûle d’envie de vous connaître…

— Jojo, enfin ! Depuis le temps que je t’ai dans la thyroïde, dit la dame. Mon Jojo, fais de moi ce que tu voudras ! J’suis ton esclave !

— Assez, assez, arrêtez, arrêtez ! hurla Jojo. J’en peux plus… J’vais me mettre à table !

— À la bonne heure, fit le commissaire. Messieurs, tous à la salle à manger des aveux spontanés où notre ami Jojo le Contagieux va enfin manger le morceau !

VIE QUOTIDIENNE

Toute la logique de l’absurde de Pierre Dac repose sur un détournement, réglé comme du papier à musique, de scènes de la vie quotidienne. La preuve, ces textes qu’il a écrits après avoir attentivement observé ce qui se passait autour de lui…

SCÈNES BRÈVES DE LA VIE QUOTIDIENNE

Un banc, au Jardin des Plantes, sur lequel sont assis deux hommes en colère et en tenue correcte et régulière

— Y a pas plus à tortiller du cuir chevelu pour friser droit que de tourner autour du pot pour onduler à froid, mais, faut dire ce qui est, y a plus de saisons.

— Non, en effet, y en a plus et la faute en est aux marchands.

— Quels marchands ?

— Les marchands des quatre-saisons, naturellement.

— Vous croyez ?

— J’en suis sûr, vu qu’à force de les vendre, il finit par ne plus en rester.

— C’est la seule explication.

Sur un banc communal du jardin municipal placé à l’ombre du buste équestre du général Paul-Emile de Mormoil-Neuville, à Piétinezy-les-Plates-Bandes, dans l’Yonne

— Excusez mon indiscrète curiosité, monsieur. Quel est donc le genre de tabac que vous fumez dans votre pipe et qui dégage une forte odeur bien agréable certes à l’odorat, mais singulièrement non tabagique ?

— Ce n’est pas du tabac que je fume dans ma pipe, monsieur.

— Ah ! Et quoi donc alors ?

— Une mixture composée d’un mélange de jambon, de bœuf, de saucisse, de saumon, de haddock, de lard et de hareng, le tout, je précise, à l’état frais.

— Tout s’explique ! Mais, dites-moi, quand vous avez fumé cette mixture charcutière, poissonnière et bovine, vous ne la mangez pas ?

— Bien sûr que si.

— Tout s’explique encore mieux !

Dans la jolie chambre à coucher d’un charmant foyer conjugal à Vizinpeux-la-Bellepoule, dans le Val de Grâce de Marne

— Dis-moi, mon chéri, est-ce que tu m’aimes ?

— Quelle question ! Bien sûr que je t’aime, ma chérie.

— Un peu ?

— Bien plus qu’un peu.

— Alors, beaucoup ?

— Bien plus que beaucoup.

— Passionnément, alors ?

— Bien plus que passionnément.

— Alors, à la folie ?

— Bien plus qu’à la folie.

— À en mourir, alors ?

— Oui, à en mourir.

— Alors, prouve-le-moi, mon chéri.

— Tout de suite, ma chérie.

Il prend un revolver, se fait sauter la cervelle et s’écroule définitivement pour le compte final.

— Pauvre chéri ! C’est pourtant vrai qu’il m’aimait à en mourir !

À l’angle de la rue des Patriarches et de la rue de l’Épée-de-Bois. Paris Ve

— Pardon, monsieur l’agent, l’hôpital Lariboisière, c’est où déjà ?

— Jeune homme, il est exactement situé au numéro 13 de la rue Ambroise-Paré.

— Et où se trouve-t-elle cette rue ?

— Entre le 95 de la rue de Maubeuge et le 154 du boulevard de Magenta.

— Et dans quel arrondissement se trouve la rue Ambroise-Paré, s’il vous plaît ?

— Dans le dixième arrondissement, jeune homme.

— C’est pas la porte à côté d’après ce que vous me dites, car ici, nous sommes dans le cinquième arrondissement. Alors, monsieur l’agent, comment dois-je m’y prendre pour me rendre à l’hôpital Lariboisière, s’il vous plaît ?

— Vous pouvez y aller à pied. Mais c’est loin. Alors, je vous conseille le métro.

— Merci largement, monsieur l’agent. À quelle station, s’il vous plaît ?

— À la station Censier-Daubenton. Tout près d’ici. Et vous descendez à Barbès-Rochechouart.

— Merci profondément, monsieur l’agent. Quelle ligne est-ce, s’il vous plaît ?

— Ligne numéro 12. Mairie d’Issy-Porte de la Chapelle, et réciproquement avec changement à la gare de l’Est, ligne numéro 4, Porte de Clignancourt-Porte d’Orléans, et inversement.

— Merci intensément, monsieur l’agent. Et où se trouve la station Barbès-Rochechouart, s’il vous plaît ?

— Elle est située au carrefour du boulevard Barbès, du boulevard de Rochechouart et du boulevard de la Chapelle, face à la rue de Rochechouart, qui commence au 2, rue Lamartine et finit 19, boulevard de Rochechouart, devant la place d’Anvers.

— Merci énormément, monsieur l’agent. Mais il n’y a pas d’autobus pour y aller ?

— Si, bien sûr !

— Quelle ligne, monsieur l’agent, s’il vous plaît ?

— C’est que ça commence à ne pas me plaire du tout. Vous verrez bien, c’est écrit dessus.

— Merci infiniment et immensément, monsieur l’agent. Dommage que je n’aie rien à y foutre, à l’hôpital Lariboisière, vu que je ne suis pas malade et que je n’ai personne à voir qui y soit hospitalisé, parce que, avec les renseignements que vous m’avez donnés, j’aurais pu y aller les doigts dans le nez et les yeux fermés.

— Non, mais dites donc, jeune homme, est-ce que vous n’êtes pas présentement en train de vous payer régulièrement ma tête ?

— Bien sûr que si, monsieur l’agent, autrement vous pensez bien que je ne me serais jamais permis de vous poser toute cette série de questions.

— Ah bon ! Parce que, hein ! Autant savoir à quoi s’en tenir !

WATER SAUCE

En 1943, en Angleterre, Pierre Dac découvre la cuisine anglaise. Il écrit alors : « Elle est entièrement basée sur l’eau, qui en est le principe fondamental et l’élément déterminant. Tout devant être bouilli, l’eau est le commencement et la fin de tout. » Une observation qui lui a permis d’imaginer la confection d’un plat, qu’il a baptisé « Water Sauce » :

Vous prenez un litre d’eau ordinaire que vous faites soigneusement bouillir. Pendant ce temps, vous prenez un autre litre d’eau, préalablement bouillie, et vous la faites tiédir au bain-marie et à feu doux. Quand c’est à point, vous versez dans votre premier litre d’eau le contenu du second, mais goutte à goutte et en remuant, pour éviter que ça attache.

Dans la préparation ainsi obtenue, vous versez alors la valeur d’un bon seau et demi d’eau, bouillie naturellement. Vous ajoutez la valeur de gros comme la tête d’un âne sur la pointe d’une épingle d’eau bouillie légèrement dégourdie, pour lier le tout convenablement. Vous mettez au four pendant 60 minutes en arrosant tous les quarts d’heure d’un verre d’eau bouillie pour gratiner. Vous démoulez, vous servez et vous n’avez plus qu’à vous en remettre à la suite des événements.

LA CONFITURE DE NOUILLES

Dans le domaine culinaire, Pierre Dac a également inventé d’autres recettes qui, pour des raisons qui nous échappent, ne figurent jamais sur les cartes des restaurants.

La confiture de nouilles remonte à une époque fort lointaine ; d’après les renseignements qui nous ont été communiqués par le conservateur du musée de la Tonnellerie, c’est le cuisinier de Vercingétorix qui eut, le premier, l’idée de composer ce chef-d’œuvre de la gourmandise.

Avant de semer la graine de nouille, les nouilliculteurs préparent longuement le champ nouillifère pour le rendre idoine à la fécondation et versent sur toute sa surface de l’alcool de menthe dans la proportion d’un verre à bordeaux par hectare de superficie ; cette opération, qui est confiée à des spécialistes de l’École de nouilliculture, est effectuée avec un compte-gouttes.

Après cela, on laisse fermenter la terre pendant toute la durée de la nouvelle lune et, dès l’apparition du premier quartier, on procède alors aux senouilles de la graine de nouille.

La nouille, encore à l’état brut, est alors soigneusement triée et débarrassée de ses impuretés ; après un premier stade, elle est expédiée à l’usine et passée immédiatement au laminouille, qui va lui donner l’aspect définitif que nous lui connaissons ; le laminouille est une machine extrêmement perfectionnée, qui marche au guignolet cassis et qui peut débiter jusqu’à 90 kilomètres de nouilles à l’heure ; à la sortie du laminouille, la nouille est automatiquement passée au vernis cellulosique, qui la rend imperméable et souple ; elle est ensuite hachée menu à la hache d’abordage et râpée. Après le râpage, la nouille est alors mise en bouteilles, opération très délicate qui demande énormément d’attention ; on met ensuite les bouteilles dans un appareil appelé électronouille, dans lequel passe un courant de 210 volts ; après un séjour de douze heures dans cet appareil, les bouteilles sont sorties et on vide la nouille désormais électrifiée dans un récipient placé lui-même sur un réchaud à haute tension.

On verse alors dans ledit récipient du sel, du sucre, du poivre de Cayenne, du gingembre, de la cannelle, de l’huile, de la pomme de terre pilée, un flacon de magnésie bismurée, du riz, des carottes, des peaux de saucisson, des tomates, du vin blanc et des piments rouges ; on mélange lentement ces ingrédients avec la nouille à l’aide d’une cuiller à pot et on laisse mitonner à petit feu pendant vingt et un jours. La confiture de nouilles est alors virtuellement terminée. Lorsque les vingt et un jours sont écoulés, que la cuisson est parvenue à son point culminant et définitif, on place le récipient dans un placard, afin que la confiture se solidifie et devienne gélatineuse ; quand elle est complètement refroidie, on soulève le récipient très délicatement, avec d’infinies précautions et le maximum de prudence, et on balance le tout par la fenêtre parce que ce n’est pas bon.

Voilà, mesdames et messieurs, l’histoire de la confiture de nouilles ; c’est une industrie dont la prospérité s’accroît d’année en année ; elle fait vivre des milliers d’artisans, des ingénieurs, des chimistes, des huissiers et des fabricants de lunettes. Sa réputation est universelle et en bonne ambassadrice elle va porter dans les plus lointaines contrées de l’univers, par-delà les mers océanes, le bon renom de notre industrie républicaine, une et indivisible et démocratique.

X…

Tout au long de la dernière guerre, les messages personnels codés ont permis aux résistants de communiquer à l’insu des nazis. Participant à Londres aux programmes français de la BBC, Pierre Dac les a entendus tous les jours. Il était logique qu’une fois la paix revenue, il en imagine d’autres, encore plus impossibles à décoder que les vrais.

MESSAGES PERSONNELS

Le camembert est dans la barbe du sapeur.

Le virage est à angle droit.

La parole est à la dépense.

Les chromosomes sont kleptomanes.

Le miroir ne renvoie pas l’image.

Les parallèles sont dissymétriques.

L’homme de Néanderthal fait de l’aérophagie.

Le chahut militaire est auvergnat.

Ni trop, ni trop peu ni trop glycérine.

Le satellite ne tourne pas rond.

La batterie est en danger.

Les trépassés sont dépassés.

La table d’écoute est bien garnie.

L’escalade commence au sous-sol.

L’astronome a la vue basse.

La choucroute n’est pas garnie.

L’haltérophile a les oreillons.

Le visagiste est hypermétrope et le paysagiste hypersonfroc.

L’alexandrin a mal aux pieds.

Le contractuel est paranoïaque.

Le prix Nobel est stabilisé.

Les biscuits secs refusent de se mouiller.

YOGI

C’est le classique des classiques. « Le Sar Rabindranath Duval » était, au départ, une parodie imaginée par Pierre Dac du plus célèbre des numéros de double vue : Myr et Myroska. Intitulée « Madame Arnica », elle a été créée par Pierre Dac et Francis Blanche, au début des années cinquante, à Paris, au théâtre des Trois Baudets, à Pigalle, et au Potofou, un cabaret de Saint-Germain-des-Prés. En 1960, Dac et Blanche se retrouvent à Lyon pour jouer ce sketch à l’occasion d’un « Musicorama » d’Europe 1. Une représentation prévue à 20 h 30, précédée d’un déjeuner prolongé chez Marius, un bouchon où l’on ne trouve de l’eau que dans l’évier réservé à la vaisselle. C’est dire l’état des duettistes lorsqu’ils entrent en scène…

— Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, j’ai le grand plaisir honorifique de présenter à vous ce soir, n’est-ce pas, tout à fait exceptionnellement dans le plus simple appareil, une beauté qu’on vient d’arracher, à on ne sait pas à quoi d’ailleurs ! De vous présenter le Sar Rabindranath Duval, qui est le descendant authentique des grands Sars, des grands visionnaires de l’Inde, n’est-ce pas ! Votre Sérénité…

— Hum ! Hum !

— Vous avez bien dîné déjà ? Bon ! Vous descendez des grands Sars de l’Inde, n’est-ce pas ?

— Oui.

— Vous êtes né dans l’Inde ?

— Je suis né dans l’Inde.

— À quel endroit de l’Inde ?

— Châteauroux.

— À Châteauroux ! Extraordinaire ! Vraiment ! D’ailleurs, je crois savoir de source sûre que votre père était hindou !

— Hindou, oui.

— Votre grand-père ?

— Hindou.

— Et votre arrière-grand-père ?

— C’était un dur.

— Voilà donc par conséquent, n’est-ce pas, il a depuis de longues années la pratique de la vision hindoue. Dites-moi, Votre Sérénité, vous avez le don de double vue ?

— Oui, je vois double.

— Il voit double ! Je m’en doutais un peu d’ailleurs ; vous voyez donc, mais c’est héréditaire ?

— Héréditaire !

— C’est atavique.

— Non, c’est à. moi !

— Je veux dire, c’est congénital !

— Non, c’est quand j’ai trop bu.

— Il faut dire, n’est-ce pas, je tiens absolument à préciser que Sa Sérénité fait de grands exercices tous les jours, quotidiennement presque, pour conserver son don de double vue. Il fait le yoga, n’est-ce pas ? Vous faites le yoga ?

— Oui, oui.

— C’est le yoga de…

— La Marine !

— Et il surveille également de très près son alimentation… Quelle est votre alimentation ? Qu’est-ce que vous prenez pour votre dîner ?

— Uniquement de la cuisine à l’huile.

— La cuisine des Sars ?

— La cuisine des Sars, oui !

— Oui, mais pourquoi ?

— Parce que les Sars dînent à l’huile !

— Les Sars dînent à l’huile ! Vraiment, ce n’est pas trop tiré par les cheveux du tout parce qu’il n’en a plus ! Alors, si vous permettez, nous allons nous livrer sur quelques personnes de l’assistance publique à des expériences tout à fait extraordinaires. Votre Sérénité, je vais vous demander de vous concentrer soigneusement… Voilà ! Vous êtes concentré ?…

— Je suis concentré.

— Il est concentré comme on dit chez Nestlé… parfait ! Votre Sérénité, concentrez-vous bien, vous êtes en transe ?

— Oui, je suis en transe napolitaine.

— En transe napolitaine, n’est-ce pas ? Votre Sérénité, concentrez-vous bien, et dites-moi, je vous prie, quel est le signe zodiacal de monsieur ?

— Monsieur est placé sous le double signe du Lion et du fox à poil dur.

— Oui, dites-moi quel est son caractère ?

— Impulsif, parallèle et simultané.

— Quel est son avenir ?

— Monsieur a son avenir devant lui, mais il l’aura dans le dos chaque fois qu’il fera demi-tour.

— Il est vraiment extraordinaire ! Voulez-vous me dire, à présent, quel est le signe zodiacal de mademoiselle ?

— Mademoiselle est placée sous le triple signe bénéfique de la Vierge, du Taureau et du Sagittaire avant de s’en servir.

— Ah ! C’est ça. II a raison ! Il a mis dans le mille, n’est-ce pas ? Il a mis dans lé mille, comme disait Jean-Jacques Rousseau. Votre Sérénité, au lieu de vous marrer comme une baleine… Excusez-nous, Sa Sérénité est en proie aux divinités contraires de l’Inde : Brahma et Vichnou. Brahma la guerre et Vichnou la paix. Voulez-vous me dire, s’il vous plaît, Votre Sérénité, quel est l’avenir de mademoiselle ?

— L’avenir de mademoiselle est conjugal et prolifique.

— Ah ! Prolifique ?

— Oui.

— Qu’est-ce que ça veut dire ? Elle aura des enfants ?

— Oui.

— Des enfants ?

— Des jumelles.

— Des jumelles !!! Combien ?

— Une paire avec la courroie et l’étui !

— Voulez-vous, à présent, je vous prie, me dire quel est le signe zodiacal de monsieur ?

— Ce monsieur est placé sous le signe de Neptune, Mercure au chrome.

— Quels sont ses goûts ?

— Monsieur a des goûts sportifs. Son sport préféré, le sport cycliste.

— Bien. Qu’il peut pratiquer sans inconvénient ?

— Oui, mais à condition toutefois de se méfier.

— Se méfier. De qui ? De quoi ?

— De certaines personnes de son entourage qui prétendent que sa compétence dans le domaine de la pédale exerce une fâcheuse influence sur son comportement sentimental.

— Ah ! Encore une fois vous avez mis dans le mille. Mais, dites-moi, qu’est-ce que vous lui conseillez municipal ?

— Je lui conseille vivement de ne pas changer de braquet et de surveiller son guidon.

— Votre Sérénité, tout à fait autre chose à présent. Pouvez-vous me dire quel est le sexe de monsieur ?

— Masculin.

— Oui. Vous êtes certain ?

— Oui. Vous pouvez vérifier.

— Non, non, on vous croit sur parole ! Et dites-moi, quelle est sa taille ?

— Un mètre soixante-seize debout, un mètre cinquante-six assis, zéro mètre quatre-vingt-trois roulé en boule.

— Et dites-moi, il pèse combien ?

— Oh… deux fois par mois !

— Non, non ! Excusez le Sar, n’est-ce pas, il ne comprend pas bien le français. Je vous demande quel est son poids P.O.I.X. ?

— Soixante-douze kilos cinq cents ! Sans eau, sans gaz et sans électricité.

— Oui, dites-moi quel est le degré d’instruction de monsieur ?

— Secondaire.

— Oui. Est-ce que monsieur a des diplômes ?

— Oui, monsieur est licencié GL.

— Licencié GL ? Qu’est-ce que ça veut dire ?

— Ça veut dire qu’il travaillait aux Galeries Lafayette et qu’on l’a foutu à la porte.

— S’il vous plaît, Votre Sérénité, concentrez-vous bien, combien monsieur a-t-il de dents ?

— Trente dedans et deux dehors !

— Voilà très bien ! Monsieur a-t-il des complexes ?

— Oui ! Monsieur fait un complexe… À certains moments, il prend sa vessie pour une lanterne.

— Et alors ?

— Et alors, il se brûle !

— Dites-moi, Votre Sérénité, mon petit bonhomme, dites-moi de quelle nationalité est madame ?

— Française.

— Oui. Et son père ?

— Esquimau !

— Et sa mère ?

— Pochette-surprise !

— Très bien !.. Et ta sœur ?

— Ma sœur, elle bat le beurre et quand elle battra…

— Bon, bon, oui, ça va !

— Escroc, voleur !

— Espèce de mal élevé, mauvaise éducation, excusez-le, il n’y a pas longtemps… Il en a une couche là-dessus ! Tiens, encore il y a trois ans, il n’avait même pas un plateau, il avait directement le pied de la table… Mais enfin, ça c’est autre chose… Votre Sérénité, pouvez-vous me dire, s’il vous plaît… ?

— Oui !

— Euh !

— Quoi ?

— Qu’est-ce que vous pouvez me dire ?

— Je peux vous dire que vous ne savez plus votre texte…

— Si vous étiez intelligent, dites-moi donc qu’est-ce que je dois vous demander à présent ? Votre Sérénité, pouvez-vous me dire, c’est très important, concentrez-vous, pouvez-vous me dire quel est le numéro du compte en banque de monsieur ?

— Oui.

— Vous pouvez le dire ?

— Oui !!

— Vous pouvez le dire ?

— Oui !!

— Il peut le dire !! Bravo ! Il est extraordinaire, il est vraiment sensationnel. Votre Sérénité, quelle est la nature du sous-vêtement de monsieur ?

— Monsieur porte un slip.

— Oui. De quelle teinte ?

— Saumon fumé.

— Tiens, tiens, en quoi est-il ?

— En chachlick mercerisé.

— Ah ! Il a un signe particulier ?

— Oui. Il y a quelque chose d’écrit dessus.

— Quoi donc ?

— Suivez la flèche.

— C’est merveilleux. Tout à fait extraordinaire ! Votre Sérénité, monsieur que voici que voilà a-t-il un signe particulier ?

— Oui, un tatouage.

— Ah ! Un tatouage ! Très intéressant ! C’est bien exact, n’est-ce pas ? Je ne le lui fais pas dire ! C’est bien exact ! Et où se trouve situé le tatouage de monsieur ?

— Je suis extrêmement fatigué, je m’excuse…

— Allons, allons, voyons… Monsieur Schumaker !

— … C’est très délicat et je suis fatigué.

— Il est dans un état épouvantable, excusez-le. Votre Sérénité, je vous demande où se trouve situé le tatouage de monsieur ?

— Le tatouage de monsieur est situé à un endroit que l’honnêteté et la décence m’interdisent de préciser davantage.

— Ah ! bon, mais qu’est-ce que vous entendez par là ?

— Oh ! par là j’entends pas grand-chose !

— Je vous prie de vous concentrer davantage, espèce de malotrou ! Alors, que représente le tatouage de monsieur, s’il vous plaît ?

— Bon ! Le tatouage de monsieur représente… enfin lorsque monsieur est en de bonnes dispositions… le tatouage représente : d’un côté la cueillette des olives en Basse-Provence, et de l’autre un épisode de la prise de la Smalah d’Abd el-Kader par les troupes du duc d’Aumale en mil huit cent quarante-trois.

— Ah ! Parfait ! Et de plus ?

— Et c’est en couleurs !

— Ah ! C’est en couleurs ! Bravo ! Mes félicitations, monsieur ! Vraiment, si, si, vraiment très bien ; mes compliments, madame ! Madame a de la lecture pour les longues soirées d’hiver, c’est parfait. Votre Sérénité, vraiment, vous avez été extraordinaire, c’est vrai, vraiment, il est vareuse… il est vareuse…

— Eh !..

— Non, il est unique, pardon, je me suis trompé de vêtement, mais ça ne fait rien. Il ne me reste plus qu’à envoyer des baisers à l’assistance publique. Bonsoir, mesdames, bonsoir, mesdemoiselles et bonsoir, messieurs.

DAC de Z à À

Le grand petit monde de Pierre Dac est composé de personnages sortis de son imagination qu’il a utilisés pendant cinquante ans, au hasard de ses sketches, éditoriaux et feuilletons. Une famille loufoque dont voici les membres principaux, cités par ordre analphabétique…

Sosthène Veauroulé

Léontine Vazymou

Albert Tunoulès

Célestine Troussecotte

Adjudant Tifrisse

Amadeus et Julius Schpotzermann

Johnny Pullmann

Commissaire Poiloluc

Révérend père Paudemurge

Sébastien Mouchabeux

Antonin Michazéreau

Slalom Jérémie Ménerlache

Isidore Lapilule

Nicolas Leroidec

Jonathan Lesrenforarrive

Alexandre Lehihan

Zorbec Legras

Léon Lamigraine

Guy Landneuf

Hubert de Guerlasse

Arthur Gouldebaume

Anatole Glockenspiel

Wilhem Fermtag

Jules et Raphaël Fauderche

Sylvain Étiré

Antoinette Duglambier

Jean-Marie Coldepatte

Gédéon Burnemauve

Napoléon Bougnaplat

Philémon Baucishuit

Marie-Louise Badufiacre

Marie-Chantal Avanterme

Moïse Asphodèle

Et réciproquement…